Un an et deux mois après la chute de Ben Ali en Tunisie, les femmes tunisiennes sont à la fois fières d’en avoir fini avec la tyrannie, mais aussi dans l’expectative.Un an et deux mois après la chute de Ben Ali en Tunisie, les femmes tunisiennes sont à la fois fières d’en avoir fini avec une tyrannie qui a duré 23 ans, mais aussi dans l’expectative.

Elles manifestent notamment une certaine inquiétude face aux récentes démonstrations de force des salafistes.

La joie d’en avoir fini avec la tyrannie

La fin de la dictature est « un acte majeur, fondateur » pour Sana Ben Achour, professeur de droit public à l’université tunisienne .

Il marque même, selon cette ancienne présidente de l’association des femmes démocrates « la fin d’un cycle, la fin du long règne colonial ».

Elle apprécie aussi la « fin des lois répressives sur la presse, les associations et les partis, qui ont si longtemps plombé la vie politique tunisienne ».

De son côté, l’historienne Sophie Bessis rappelle que « les femmes ont joué un rôle de premier plan » dans la lutte contre la dictature, puis dans la révolution tunisienne.

L’héritage : des avancées toutes relatives

Les droits des femmes en Tunisie ont souvent été qualifiés d’avancés par rapport à ceux des autres pays musulmans, « mais on est encore loin de l’égalité », explique à L’Express Amira Yahyaoui, présidente de l’ONG Al Bawsala, « boussole de la démocratie » qui entend contribuer au « réveil citoyen » dans le processus de démocratisation.

Pour elle, Ben Ali a leurré les observateurs en « réduisant la question des femmes à une question vestimentaire » : le dictateur mettait en scène un prétendu modernisme en s’entourant de femmes en jupe et en interdisant le voile dans les lieux publics.

Or les femmes « ne reçoivent toujours qu’un tiers d’un héritage contre les deux tiers pour les hommes », rappelle-t-elle à titre d’exemple.

Et une femme tunisienne ne peut épouser un non musulman, alors qu’un homme peut se marier avec une femme d’une autre religion.

Une transition « périlleuse mais exaltante »

Au cours de la période de transition -« périlleuse mais exaltante », selon les termes de Sana Ben Achour- entre le départ de Ben Ali en janvier 2011, et l’élection de l’Assemblée constituante en octobre, les femmes se sont trouvées face à des signaux contradictoires: elles ont certes obtenu « que le code électoral rende obligatoire la parité sur les listes de candidats », souligne Sophie Bessis, et « l’extension du droit de vote aux compatriotes vivant à l’étranger, la reconnaissance de l’éligibilité aux citoyennes et citoyens ayant la double nationalité », complète-t-elle.

Mais de fait, « elles n’ont représenté que 7% des têtes de listes » et « ne sont que 23% des députés de l’Assemblée constituante », nuance-t-elle.

Signaux d’alerte

Avec l’arrivée au pouvoir d’une coalition où le parti islamiste Ennahdha est majoritaire, « les alertes se multiplient », s’inquiète Sophie Bessis: ministres et responsables contestent les dispositions légales existantes, en particulier sur l’adoption ou la monogamie, stigmatisent au nom de l’ordre moral les mères célibataires »…

Sana Ben Achour espère que « les rétrogrades de cette coalition voire ses ultras-conservateurs seront mis en minorité par les leurs, dont beaucoup sont des défenseurs des droits humains », mais elle regrette que dans les discussions de l’Assemblée constituante, « le débat procédurier et les tractations partisanes » prennent le pas sur les questions de fond.

« La démocratie réelle semble déjà prise en otage par la démocratie instrumentale » déplore-t-elle.

Amira Yahyaoui constate que dans les débats de l’assemblée constituante, les élus d’Ennahdha, y compris des élues femmes, tirent prétexte de la différence physique entre hommes et femmes pour substituer à la notion d’égalité celle de « justice entre l’homme et la femme ».

Sophie Bessis déplore quant-à elle que « des ministres et des responsables contestent les dispositions légales existantes, en particulier sur l’adoption ou la monogamie, stigmatisent au nom de l’ordre moral les mères célibataires, comme pour sonder le degré de réceptivité de la population à leurs thèses ».

La menace salafiste

Les idées conservatrices véhiculées depuis des années par la propagande des chaînes satellitaires arabes ont gagné une partie de la population

L ‘entrée en scène de plus en plus visible des salafistes en Tunisie inquiète les Tunisiennes interrogées par L’Express, en particulier leur vision « articulée sur le maintien de la subordination institutionnelle des femmes aux hommes », selon les termes de Sana Ben Achour.

Fondée sur « un islam imaginaire et coupé de son histoire « , la vision du monde des salafistes pourfend la démocratie, la liberté et l’égalité.

Sana Ben Adour rappelle au passage que ce discours trouve du carburant « dans les « peurs » occidentales de l’arabe, de l’islam et des mosquées ».

Plus grave, ajoute-t-elle, ces « discours de haine dont la violence est inouïe se présentent » comme une liberté d’expression ».

Sophie Bessis s’indigne du « silence assourdissant » des nouvelles autorités devant les exactions des groupes salafistes.

Nombre de Tunisiens jugent que le gouvernement est beaucoup plus sévère à l’encontre des manifestations sociales ou syndicales, fait remarquer Amira Yahyaoui, qu’à l’égard des salafistes.

Quelles perspectives pour les femmes ?

Les « idées conservatrices véhiculées depuis des années par la propagande des chaînes satellitaires arabes » ont bien gagné une partie de la population qui  » a déjà modifié ses pratiques sociales et ne trouverait rien à redire à un recul de la loi « , observe Sophie Bessis.

Et certains élus conservateurs verraient bien les femmes retourner à la maison. Mais ceux-là « se trompent, affirme Sana Ben Achour.

Jamais les femmes ne tunisiennes ne renonceront à leur salaire, à leur autonomie financière gage de leur dignité ».

D’ailleurs l’idée de renvoyer les femmes dans leurs foyers une problématique de riches, fait valoir Amira Yahyaoui.

« Dans les milieux modestes, et notamment à la campagne, les femmes travaillent et contribuent aux revenus du ménage. »

Même sur la question du contrôle des naissances on ne reviendra pas en arrière (Le taux de fécondité, 2 enfants par femme, a rejoint celui des pays occidentaux).

Et « Il ne faut pas, conclut Sophie Bessis, sous-estimer la profondeur du processus de sécularisation de la société tunisienne et le refus d’une partie non négligeable de la population de le remettre en cause ».

Catherine Gouëset / L’ Express.fr

le 08/03/2012

http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/les-droits-des-femmes-en-tunisie-ce-n-est-pas-qu-une-affaire-de-jupe-ou-de-voile_1090892.html

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