Cinq colonnes sans Une ?

Le titre, sur cinq colonnes à la une, du Figaro du vendredi 9 mai 2014, « De plus en plus de juifs quittent la France pour Israël », constitue en soi un événement. Mais autant cette « nouvelle » est bombastique, autant l’explication qui en est donnée dans la page entière qui lui est consacrée, l’annule par son caractère anodin.

Le scénario de l’article est résumé dans le sous-titre, à savoir que ce départ n’a rien à voir avec « la progression du sentiment antisémite dans l’Hexagone ».

On se demande alors pourquoi on en fait un titre de tête, si les Juifs s’en vont comme d’autres émigrent en Australie ou à Londres…

Or, le scoop, c’est justement le départ des Juifs pour Israël dans un climat marqué par 14 ans d' »antisionisme ».

Ce qu’il y a de fascinant avec ce « non-événement » à la une, c’est de constater que, du début à la fin, l’antisémitisme n’aura pas été reconnu pour ce qu’il est par l’opinion autant que par les pouvoirs publics.

Commencée sous la formule trompeuse de « tensions inter-communautaires », une formule qui rend les victimes co-responsables des agresseurs, cette époque se termine dans la même occultation de l’antisémitisme, sous le couvert d’une émigration de confort et de choix.

La plainte des Juifs de France aura été ignorée et méconnue du début à la fin.

Il ne faut pas nier, certes, que pour une catégorie d’immigrants, la raison du départ peut effectivement venir de l’attrait du pays des start-ups, de la plage tel avivienne et d’une économie en croissance, voire de la qualité des études.

Mais tout acteur social n’est pas un sociologue et, s’il se donne des motifs et des raisons d’action, il ne maîtrise pas totalement les tenants et aboutissants d’une situation, au point de méconnaître l’ambiance qu’il quitte parmi ses raisons de partir.

Les raisons qu’ils se donne font écran au mouvement qui le pousse à partir, d’autant qu’elles sont toujours restées obscurcies dans le débat public.

N’ignorons pas par ailleurs, qu’il y a aussi une façon noble de choisir Israël, celle qui devrait être la plus répandue mais qui reste rarissime, en vertu d’un choix positif et pas sous le mode de la fuite.

Toutes ces éventualités que j’envisage s’effacent cependant comme dune de sable au vent, quand on visionne l’interview du président du CRIF par le même journal, en prélude à ces cinq colonnes, qui abonde dans le désamorçage symbolique du phénomène et donc dans sa perte de sens.

Le journal pense comme lui.

Certains remarquent néanmoins que les qualités de vie qu’il attribue à Israël, les raisons du départ, sonnent en retour comme des critiques de la société française qui ne les présente pas ou plus.

Je ne peux cependant m’empécher de relever dans le traitement lénifiant du départ des Juifs par «Le Figaro,» un stigmate du genre de ceux qui ont construit l’atmosphère du départ.

« En passant », le journaliste se sent obligé, quand il évoque l’alya d’après la guerre de 1967, de glisser: « lors de laquelle Israël a triomphé de la coalition arabe et occupé la Cisjordanie en violation de la légalité internationale », une affirmation totalement gratuite et mensongère si on omet de dire que ce territoire, auparavant sans détenteur légal, était déjà illégalement occupé par la Jordanie qui l’avait envahi en 1948 et en avait chassé les Juifs tandis qu’au lendemain de la guerre qu’ils avaient déclenchée, 8 pays arabes édictaient « les 3 non de Karthoum » (non à la paix, non à la négociation, non à la reconnaissance d’Israël).

Sans doute ce journaliste est-il trop jeune pour que sa connaissance aille jusqu’à cette période « reculée »…

Si des Juifs quittent la France pour Israël, ce n’est pas uniquement pour fuir l’antisémitisme endémique du monde musulman actuel mais aussi et surtout une société européenne qui les a abandonnés.

Ce fut un sentiment réel et puissant, dès 2001, quand un black out (on l’a su plus tard: gouvernemental) total a fait peser une chappe de plombe sur 500 agressions, restées sans condamnation ni répression.

Les Juifs se sont sentis abandonnés par l’Etat, mais aussi la justice et les organes d’information dont les biais idéologico-politiques systématiques ont installé une ambiance génératrice d’hostilité envers les Juifs.

La gestion politique du problème français de l’immigration par la religion a par ailleurs lourdement impliqué les Juifs qui se sont vus communautarisés depuis le sommet à des fins de « pacification » au risque d’une dénationalisation symbolique rampante (résumée dans l’expression de Mitterand lors de la guerre du Golfe: « les deux communautés »), là où il aurait fallu se reposer sur la citoyenneté.

Shmuel Trigano

*Sur la base d’un article paru dans Actualité juive le vendredi 23 mai 2014

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Armand Maruani

{{Tous ces  » verbeux  » vivent dans leur confort intellectuel et dans leur Tour d’ivoire , loin des réalités .}}

{{Et quand des Juifs se font assassiner et que les familles hurlent leurs douleurs ils ferment leur fenêtre pour ne rien entendre .}}

{{Ensuite ils regardent Al Djazeera ou écoutent Radio Palestine pour se donner bonne conscience et ensuite ils ouvrent leur gueule quand il faut qu’ils la ferment .}}