בא Bô: « Ce mois-ci » ou l’art de sacraliser le temps (vidéo)

Et Dieu dit à Moïse et à Aharon en terre d’Egypte afin qu’ils l’explicitent: « Ce mois ci (hah’odech hazé) pour vous sera en tête des mois (roch h’odachim), il sera premier (richon) des mois de l’année (h’odché hachana) (Ex, 12, 2). »

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Pour les plus grands commentateurs de la Tradition juive, ce verset constitue en réalité la première de toutes les mitsvot spécifiquement prescrites aux Bnei Israël au moment où ils sont eux mêmes constitués en tant que peuple et afin que cette dimension reçoive tout son sens.

Celui-ci peut à son tour être perçu et explicité clairement si l’on ne perd pas de vue que cette collectivité humaine tente de sortir d’un long, d’un très long esclavage qui lui fait perdre le sens des deux coordonnées principales de la conscience humaine: l’espace et le temps.

L’espace se réduit pour les esclaves aux champs de corvée où ils façonnent à la chaîne des briques, avec de la boue et de la paille.

Quant au temps, il se dévide dans une suite de jours sans autre destin que leur infinie répétition.

De cette double atrophie, spatiale et temporelle, résulte le kitsour rouah’, l’étrécissement à presque rien de leur champ de conscience.

A quoi il faut ajouter le bépharekh, l’atrophie de leur parole qui ne trouve à s’exercer que pour l’exécution sans délais d’ordres qui se veulent sans réplique, sous la menace des gourdins.

C’est à la restructuration de ce champ de conscience, pour ne pas dire à sa structuration tout court, qu’est dévolue cette première prescription dont il faut s’attacher à comprendre la formulation et l’intention.

Il n’est guère aisé de définir ce qu’est le temps en soi.

Il s’agit ici du temps à la fois psychologique, celui d’êtres appelés à la liberté individuellement vécue, et du temps historique, celui d’un peuple appelé à assumer collectivement une vocation au sein de l’humanité.

Ce temps là se comprend selon trois modalité particulières mais qui s’intègrent les unes aux autres: le temps quotidien, celui des jours nommés yamim; le temps mensuel, celui que scandent les mois (h’odachim), et le temps annuel, celui de la chana. A quoi se rapportent-ils?

Le temps quotidien est celui de cette conscience minimale qui permet aux esclaves de simplement survivre.

Comme on l’a vu, ce temps- là est devenu celui des répétitions stériles, du piétinement bourbeux.

Aussi importe t-il de lui conférer une autre dimension, qui l’ouvrira à une autre perspective: le mois, en hébreu h’odech.

Vocable particulièrement significatif par lui même et au regard du contexte actuellement éclairé.

Par lui même puisque ce vocable est construit sur la racine H’DCh qui désigne le renouvellement, l’innovation, donc la reprise de la Création, par suite l’exact inverse de la répétition sans aucune progression sensible.

Ce temps nouveau doit faire l’objet d’une première perception active, d’une première prise de conscience, immédiate, événementielle, rendue par la formule ce « mois-ci (hah’odech hazé) ».

Et c’est en tant que tel qu’il deviendra non pas le premier mois, au sens ordinal, mais littéralement « la tête des mois »roch h’odachim, comme sera institué, dans une dimension supplémentaire de la durée, une tête de l’année: roch hachana.

De sorte que l’on passe d’un temps qui est surtout un non-temps, celui de l’asservissement des sens et de l’esprit, d’un temps pour ainsi parler décapité, à un temps où se relient le passé, le présent et l’avenir; la mémoire, la décision et le projet.

Et c’est une fois ce premier étayage réussi que s’instituera le temps proprement calendaire, celui de la succession ordinale des mois, lesquels de ce fait même formeront une autre dimension encore de la temporalité, celui de l’année, de la chana.

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Ce dernier vocable est construit sur la racine ChN qui désigne maintenant le changement; non pas la modification mécanique mais celle qui intègre la dimension préalable du h’odech, de l’innovation, mais démultipliée selon les douze visages du peuple, suivant les douze facettes d’une Création scandée par des saison diversifiées, celles de la pluie d’hiver (guéchem) ou de la rosée printanière (tal).

On comprend mieux pourquoi le verset précité précise que ces prescriptions sont données en terre d’Egypte, autrement dit sur cette terre qui était devenue pour les descendants de Jacob celle de la dissolution des esprits, de la lobotomisation spirituelle.

Toutes les mitsvot qui s’ensuivent, et particulièrement celles qui concernent l’agneau pascal seront comprises selon cette perspective, à partir d’un temps qui se remembre et de corps jusque là pulvérisés, qui se rejoignent en plein clarté de l’esprit, sachant que l’Histoire est également redevenue printanière.

Raphaël Draï zatsal

Source

 Rachi sur la Paracha Bo

Nous allons décortiquer le commentaire de Rashi sur quelques versets de la Paracha. Les explications sont tirées du livre « Rashi Hamméforash ». Le texte de Rashi en Français est tiré principalement du site « sefarim.fr » et est en fait celui du « Houmach avec Rachi » des éditions Gallia. J’y ai apporté de très légères modifications.

Le texte en gras est celui de la Torah ; le texte est celui de « Rashi Hamméforash » et la traduction (en italique) de Rashi proprement dite.

Les merveilles de Rashi !!

Exode Ch. 10 v. 1 :

וַיְדַבֵּר אֱלֹקִים , אֶל-מֹשֶׁה; וַיֹּאמֶר אֵלָיו, אֲנִי ה״

D.ieu [Eloqim] parla à Moïse, Il lui dit: « Je suis l’Éternel.

וַיְדַבֵּר אֱלֹהִים אֶל מֹשֶׁה. דִּבֵּר אִתּוֹ מִשְׁפָּט עַל שֶׁהִקְשָׁה לְדַבֵּר וְלוֹמָר לָמָּה הֲרֵעוֹתָה לָעָם הַזֶּה:

Eloqim parla à Moshé Il est écrit « Eloqim » en lieu et pace de Hashem (le tétragramme) et de même le terme « parler » est redoublé en disant וַיְדַבֵּר (parla) et וַיֹּאמֶר אֵלָיו « Il lui dit », car Il a instruit son procès (voir II Melakhim 25, 6) en lui faisant des reproches pour s’être exprimé en termes durs lorsqu’il lui avait demandé : « Pourquoi as-tu fait du mal à ce peuple ? » (supra 5, 22). C’est pourquoi il est écrit וַיְדַבֵּר (parla) qui exprime la rudesse et « Eloqim » qui montre l’attitude de D.ieu sous la forme de justice et de procès.

Exode Ch. 6 v. 1 :

וַיֹּאמֶר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה, בֹּא אֶל-פַּרְעֹה: כִּי-אֲנִי הִכְבַּדְתִּי אֶת-לִבּוֹ, וְאֶת-לֵב עֲבָדָיו, לְמַעַן שִׁתִי אֹתֹתַי אֵלֶּה, בְּקִרְבּוֹ.

L’Éternel dit à Moïse: « viens vers Pharaon; car moi même j’ai appesanti son cœur et celui de ses serviteurs, afin que je mette tous ces prodiges autour de lui

וַיֹּאמֶר ה’ אֶל מֹשֶׁה בֹּא אֶל פַּרְעֹה. וְהִתְרָה בּוֹ:

Hachem dit à Moshé : Viens vers Pharaon Le verset n’a pas explicité pour quel besoin il est allé chez Pharaon, mais de ce qui est écrit plus loin (au verset 3) on comprend que c’est en vue de le mettre en garde. Le verset à abrégé et c’est comme s’il avait dit « viens vers Pharaon Et mets-le en garde.

שִׁתִי. שִׂימִי שֶׁאָשִׁית אֲנִי:

Afin que je mette (littéralement : « moi mettre ») le mot שִׁתִי a plusieurs acceptions, et ici il signifie « je mets » comme dans le verset (supra Ch. 4 v. 11)

מִי שָׂם פֶּה לָאָדָם

Qui mets une bouche à l’homme ?

Le suffixe en י désigne la première personne du singulier c’est à dire Afin que moi, je mette.

Exode Ch. 6 v. 2 :

וּלְמַעַן תְּסַפֵּר בְּאָזְנֵי בִנְךָ וּבֶן-בִּנְךָ, אֵת אֲשֶׁר הִתְעַלַּלְתִּי בְּמִצְרַיִם, וְאֶת-אֹתֹתַי, אֲשֶׁר-שַׂמְתִּי בָם; וִידַעְתֶּם, כִּי-אֲנִי יְהוָה.

et afin que tu racontes à ton fils, à ton petit-fils, ce que j’ai fait aux Égyptiens et les merveilles que j’ai opérées contre eux; vous reconnaîtrez ainsi que je suis l’Éternel. »

הִתְעֲלַלְתִּי. שִׂחַקְתִּי כְּמוֹ כִּי הִתְעֲלַלְתָּ בִי. הֲלֹא כַּאֲשֶׁר הִתְעוֹלֵל בָּהֶם הָאָמוּר בְּמִצְרַיִם וְאֵינוֹ ל’ פּוֹעַל וּמַעֲלָלִים שֶׁאִ »כ הָיָה לוֹ לִכְתּוֹב עוֹלַלְתִּי כְּמוֹ וְעוֹלֵל לָמוֹ כַּאֲשֶׁר עוֹלַלְתָּ לִי. אֲשֶׁר עוֹלֵל לִי:

Ce que j’ai accompli (hith‘alalti) la racine du verbe utilisé est עלל et lorsqu’il est conjugué au Paâl [indicatif] signifie « j’ai fais une action », et lorsqu’il est conjugué au Hitpaêl pronominal], comme dans notre cas est un langage de jeu et sa signification est Je me suis joué, comme dans : « parce que tu t’es jouée (hith‘alalt) de moi » (Bémidbar 22, 29) ; et de même « comme il s’est joué (hith‘alél) d’eux » (I Shémouel 6, 6), à propos de l’Egypte. Le mot hith‘alalti ne peut pas avoir le sens d’action ou d’exploit, car le texte aurait dû porter, dans ce cas : ‘olalti, comme dans : « tu leur as fait (‘olél) comme tu m’as fait (‘olalta) » (Eikha 1, 22) et : « ce qui m’a été fait (‘olal) » (Eikha 1, 12).

Exode Ch. 6 v. 3 :

וַיָּבֹא מֹשֶׁה וְאַהֲרֹן, אֶל-פַּרְעֹה, וַיֹּאמְרוּ אֵלָיו כֹּה-אָמַר יְהוָה אֱלֹהֵי הָעִבְרִים, עַד-מָתַי מֵאַנְתָּ לֵעָנֹת מִפָּנָי; שַׁלַּח עַמִּי, וְיַעַבְדֻנִי.

Moïse et Aaron se rendirent chez Pharaon et lui dirent « Ainsi parle l’Éternel, D.ieu des Hébreux: ‘Jusqu’à quand refuseras tu de fléchir devant moi? Laisse partir mon peuple, pour qu’il m’adore!

לְעַנֹת. כְּתַרְגוּמוֹ לְאִתְכְּנָעָא וְהוּא מִגְּזֵרַת עָנִי. מֵאַנְתָּ לִהְיוֹת עָנִי וְשָׁפָל מִפָּנַי:

De t’humilier (lé‘anoth) il ne s’agit pas d’un langage de souffrance et de tristesse [le noun aurait été alors avec un daghesh] mais c’est un langage d’humiliation et de soumission C’est ainsi que le rend le Targoum Onqelos « pour t’humilier ». Le mot lé‘anoth est de la même racine que ‘ani (« pauvre ») c’est à dire : « Jusqu’à quand refuseras-tu de te faire pauvre et humble devant moi ? ».

Article « Paracha Bo – 5 Divré Torah par Jardindelatorah » mis à jour en 2020

 

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