Fausse candidate au djihad : « Un voyage sans retour vers la haine la plus absolue »
Sur Internet, une journaliste s’est fait passer pour une jeune fille désireuse de faire son « djihad »

Fausse candidate au djihad : « Un voyage sans retour vers la haine la plus absolue »
La journaliste qui s’est infiltrée dans la nébuleuse de Daesh a noué sur le Net une relation avec un terroriste français qui n’était autre que l’un des bras droits de Mohamed El Baghdadi.

lle est devenue Mélanie pendant un mois sur les réseaux sociaux. Dans la peau d’une jeune convertie un peu paumée de 20 ans, la journaliste Anna Erelle est contactée très vite par Abou Bilel, un terroriste français originaire de Roubaix, délinquant multirécidiviste devenu l’un des bras droits de Mohamed El Baghdadi, le leader de l’organisation terroriste Daesh. La rencontre sur le Net a pris une heure.

Pour donner le change, elle adopte le hijab pour converser avec lui via Skype. Elle à Paris, lui en Syrie. Se noue une effarante relation au cours de laquelle la journaliste va tenter de comprendre les méthodes d’approche des djihadistes afin de convaincre des jeunes Françaises de les rejoindre.

Le livre racontant cette enquête livre un exemple glaçant des techniques utilisées par les djihadistes pour attirer de nouvelles recrues dans leurs filets via les réseaux sociaux.

Vraisemblablement tombé amoureux de l’avatar, le terroriste va lui proposer de l’épouser et tout mettre en œuvre pour la convaincre de le rejoindre en Syrie, via la Hollande et la Turquie, en cherchant à étendre son emprise sur celle qu’il croit être une jeune convertie.

La journaliste éprouvera également la force de frappe de l’organisation qui parviendra à la démasquer et à bouleverser son quotidien en France.

« Sud Ouest ». Pendant un mois, vous avez noué une relation par Internet avec un terroriste de Daesh sous la fausse identité de Mélanie, une jeune convertie à l’islam. Quel enseignement principal en tirez-vous ?

Anna Erelle. Il ne faut surtout pas les sous-estimer. C’est sans doute l’erreur qui a été commise dans les premiers temps. En apparence, ils donnent une image de gens peu cultivés. C’est calculé. Derrière, il y a des personnes très intelligentes et très organisées, avec des techniques de recrutement très abouties. Une personne fragile, un peu perdue, sans repères, peut se laisser prendre sur Internet. Ce qui est effrayant, c’est la facilité avec laquelle le contact se noue. En quelques minutes, Mélanie se trouve en relation avec ce terroriste, simplement après avoir visité un site djihadiste.

Les ressorts utilisés par ce terroriste pour convaincre Mélanie de se rendre en Syrie font penser aux techniques sectaires. En quoi, selon vous, peuvent-elles être efficaces sur des jeunes filles ?

Cela semble être des techniques éprouvées et rodées. C’est effectivement très proche des méthodes des gourous. De véritables techniques de commerciaux. Dès le début, Bilel, le terroriste, cherche les failles de Mélanie. Il la survalorise puis étend petit à petit son emprise, jusqu’à la rebaptiser. Il se place dans une posture de professeur. Il lui apprend des choses, même si la vision de l’islam véhiculée est plus que simpliste et fourmille de contradictions. De son côté, elle trouve un écho de la part de quelqu’un qui s’intéresse à elle. C’est très violent car une fois qu’elle est dans ses filets, il ne la lâche plus. Il devient omniprésent. Il essaie de la contrôler, de la façonner. Elle devient une marionnette. Mais si des personnes ont pu se faire piéger au début, maintenant les jeunes ne peuvent plus dire qu’ils ne savent pas de quoi il s’agit. Les événements de ces derniers jours nous l’ont cruellement rappelé. Ceux et celles qui partent savent maintenant qu’il s’agit d’un voyage sans retour vers la haine la plus absolue.

Fausse candidate au djihad : « Un voyage sans retour vers la haine la plus absolue »

Le terroriste dit vouloir épouser Mélanie. Pourquoi cherche-t-il des femmes françaises ?

Ils mettent en avant surtout des arguments de pureté dans la religion. La réalité, c’est que les femmes syriennes ou irakiennes ne veulent pas d’eux. Pour elles, les étrangers venus faire le djihad sont assimilés à des envahisseurs. Il ne cache pas non plus une sorte de désarroi culturel. Il cherche une femme capable de le satisfaire de façon, disons, plus occidentale…

Les djihadistes en proie à la misère sexuelle…

Il est très cash. Le deal qu’il propose à Mélanie, c’est : « Pendant que j’irai tuer des gens, tu prépareras la soupe avec des porte-jarretelles sous ta double burqa. » Tout un programme.

Peut-on parler de filière ?

Dans la situation que j’ai eu à connaître, je ne pense pas. Mais il est certain que Mélanie n’était pas la seule jeune fille approchée par Bilel. Dire combien ont franchi le pas est impossible. Les chiffres sont contradictoires, personne n’a une vision statistique précise. Mais je pense qu’elles sont beaucoup moins nombreuses qu’ils veulent le faire croire.

Que serait-il arrivé à Mélanie si elle s’était rendue en Syrie ?

Peut-être aurait-elle rejoint les femmes de Bilel, dans un premier temps en tout cas. Je pense que le mariage était vraiment préparé. Sans doute, pendant quelque temps aurait-elle évité d’être réduite à l’état d’esclave sexuelle de Daesh. Mais le sort de Yasmine, la jeune mineure censée l’accompagner, me paraît déjà plus incertain. Et que serait-il arrivé à Mélanie si elle avait déplu à son mari ? La violence qui se dégage des propos de Bilel lorsque Mélanie a le malheur de le contrarier ne laisse guère de place au doute.

Sur le Web, Mélanie côtoie des ados paumés, des aspirants djihadistes, des terroristes chevronnés, des agents secrets…

Le « dark Web » est effrayant pour cela. Tout ce petit monde est en relation, la plupart du temps sous de fausses identités. Tout le monde se ment, se surveille, et il est difficile de savoir qui est qui. J’ai la certitude d’avoir été contactée par une personne du renseignement français qui, sous un nom d’emprunt et de façon bienveillante, a essayé de me dissuader de rejoindre la Syrie. Par ailleurs, j’étais également en contact avec une source au sein de Daesh, sous mon vrai nom cette fois. Les deux terroristes étaient-ils finalement de mèche, je l’ignore… Il est clair que Daesh est l’organisation terroriste qui a le plus investi ce média, de façon parfaitement organisée, avec de véritables spécialistes.

À la fin de votre enquête, votre couverture est découverte, vraisemblablement à cause d’un numéro de téléphone. Cela implique des moyens de renseignement efficaces, même sur notre territoire…

Encore une fois, il ne faut pas les sous-estimer. Ils disposent de moyens technologiques très au point. Depuis la Syrie, Bilel a pu mettre en œuvre des moyens pour me toucher en France, via des connexions dans notre pays. Ils ont découvert mon identité, la « mère » de Mélanie a été contactée, le journal pour lequel je travaillais a été menacé. S’ils l’ont décidé, ils vous rendent fou.

Cette enquête vous a valu une fatwa. Comment vivez-vous ?

Je fais attention, mais je me refuse à céder à la paranoïa. Je suis très entourée par le journal qui a diffusé mon enquête. Je publie mon livre sous pseudonyme et j’ai interdiction pour l’instant de travailler sur l’islam radical. C’est le plus dur en ce moment, vu ce qui se passe. Il y a beaucoup de choses à dire, de questions que nous aurions dû soulever sans doute plus tôt ou différemment. Tout cela n’est pas tant une histoire de religion que de diffusion de la haine.

 – Sud-Ouest

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