Tribune des généraux, ex-Brigades rouges: «Une étrange morale à géométrie variable»

FIGAROVOX/CHRONIQUE – Face aux réactions indignées qui ont suivi la tribune de militaires publiée sur le site de Valeurs actuelles, et aux élans de compassion pour les anciens terroristes des Brigades rouges arrêtés en France, Gilles-William Goldnadel fustige une certaine morale à deux vitesses.

Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Chaque semaine, il décrypte l’actualité pour FigaroVox.

Au programme: la tribune des militaires dans Valeurs actuelles et certaines réactions à l’arrestation d’anciens terroristes des Brigades rouges.

Commençons par les soldats ulcérés. Leur texte est sujet à grande polémique et même à poursuites disciplinaires. L’auteur de cette chronique n’aspire pas à l’objectivité puisqu’il est l’avocat du responsable principal et de certains de ses militaires signataires. Mais il ne lui est pas interdit de pouvoir le défendre avec honnêteté.

Par quelle dénaturation d’un texte clair et net qui ne nécessitait pas une exégèse sophistiquée, certains beaux esprits ont-ils pu y lire un appel au putsch ou à la sédition? Depuis que je pose cette question, nul n’a été dans la capacité de me mettre sous le nez, une phrase, trois mots ou une virgule qui puissent entrer dans la catégorie frondeuse précitée.

Sur le plan moral, il n’est pas absolument interdit à un soldat de se lamenter sur le devenir de sa patrie. Même publiquement, contrairement à ce que se figurent des juristes de circonstances qui se plaisent à croire que sous prétexte que l’on ferait partie de la «Grande Muette» on serait tenu au mutisme absolu. Hélas pour eux, la jurisprudence la plus récente autorise le militaire à s’exprimer pour autant qu’il le fasse sans injure ni violence. C’est d’ailleurs dans le cadre de ce régime de liberté encadrée que le général Lecointre en personne, qui aujourd’hui veut guerroyer contre ces militaires qui s’expriment… les invitait il n’y a pas si longtemps à s’exprimer. Ainsi, en 2018, il dénonçait le «mutisme militaire» dans lequel les hommes de la Grande Muette s’étaient «enfermés».

Convaincu que «les armées ont disparu du bruit de fond de la société», il souhaitait lors d’une rencontre à l’École Militaire, que les militaires actifs prennent la plume, sans se cantonner aux aspects «techniques» de leur métier. (Opinion Politique, 29 avril 2021).

Il semble donc, avec sa ministre de tutelle, assez mal venu de chercher mauvaise querelle politique ou juridique à ceux qui ont suivi ses conseils avec zèle.

Par conséquent, des soldats tant épris de leur patrie qu’ils sont prêts à lui sacrifier leur vie, pouvaient bien vitupérer l’époque angoissante, regarder l’immigration illégale et incontrôlée comme l’invasion du territoire national, et y voir un lien avec le terrorisme et l’insécurité. Ce qui nécessitait moins une longue-vue qu’un certain courage intellectuel et moral, ainsi effectivement qu’on s’en est aperçu.

Ces soldats avaient le droit de le claironner publiquement et même de sonner l’alarme.

Que l’on s’alarme autant de cette alarme, voilà qui est alarmant.

Mais la grande déraison est ailleurs. Elle habite comme souvent dans la différence de traitement appliquée par les professionnels du sermon moralisateur.

Il devrait être acquis aux débats de la science politique que le moraliste de gauche applique sélectivement ses grands principes en fonction de l’objet soumis à son observation.

Supposons en effet que l’ensemble des serviteurs publics, militaires compris, soient soumis à une obligation de réserve sans réserve. Dans cette hypothèse hardie, si les autres fonctionnaires et préposés publics étaient voués au silence, j’aurais davantage compris tout le bruit.

Mais tel n’est pas le cas en France. Certains seraient tenus de rester bouches cousues tandis que d’autres pourraient se livrer impunément aux pires extravagances.

C’est ainsi que tandis que la ministre des Armées, pour la plus grande exultation d’un chef de l’extrême gauche qui hier appelait à «l’insurrection», veut sanctionner des militaires désespérés, une ministre de la justice, il n’y a pas longtemps, refusait de sévir contre des magistrats en activité qui injuriaient sur leurs murs des opposants politiques ou des parents de victimes assassinées. Même le Conseil Supérieur de la Magistrature demeura l’arme au pied.

Il me faudra, contre l’avis du parquet lui aussi géométriquement bancal, aller en justice pour obtenir enfin condamnation de magistrats indignes des devoirs de leur charge.

Si le texte militaire querellé est putschiste, alors une grande majorité des Français ont l’humeur frondeuse, car 58 % des Français l’ont approuvé selon un sondage Harris Interactive pour LCI.

Faute morale et erreur stratégique cumulées: si le ministère des Armées et l’état-major avaient eu connaissance de ce sondage, je ne suis pas sûr qu’ils auraient décidé aussi imprudemment d’emprunter le chemin d’une guerre dont ils ont déjà perdu la bataille des idées.

C’est ce deux poids et deux mesures institutionnalisé, qu’une grande partie du peuple ne peut plus accepter.
Second sujet de méditation sur l’esprit troublé d’une certaine morale médiatique.

Ainsi que le notait Guillaume Perrault dans sa remarquable analyse: «la question des anciens terroristes italiens d’extrême-gauche condamnés par la justice dans leur pays pour des crimes de sang pendant les «années de plomb» installés en France et réclamés par Rome réapparaît en pleine lumière.» (Le Figaro, jeudi 29 avril).

La question réapparaît, on le sait, parce que sept membres des Brigades rouges ont été interpellés en France, à la demande de l’Italie, le 28 avril.

Beaucoup se sont réjouis mais d’aucuns se sont lamentés. M. Mélenchon a «imploré» leur libération. Parmi d’autres réactions de la même farine d’indulgence, Sylvia Zappi, journaliste au Monde, n’a pas hésité à tweeter: «Depuis les années 1980, ces gens-là sont sous la protection de la France, ont refait leur vie ici, sont installés au vu et au su de tous avec leurs enfants… et au petit matin on vient les chercher, 40 ans après les faits?» Et la journaliste d’ajouter au comble de la mansuétude compassionnelle: «Tellement honte ce matin». On se souvient que son journal avait longtemps défendu l’innocence d’un Battisti, en fuite et condamné, jusqu’à ce que celui-ci reconnaisse sa culpabilité.

En ce qui me concerne, non seulement je n’ai pas honte mais je suis satisfait pour le peuple italien, gauche comprise, et surtout pour les familles des victimes de cette extrême-gauche, qui fit tant de morts chez les policiers, les militaires, les magistrats et les journalistes.

Sans vouloir faire de procès d’intention aux précités, je ne jurerais qu’ils auraient manifesté autant de compassion s’il s’était agi d’anciens terroristes d’extrême droite. Me concernant, ma satisfaction de voir justice rendue et exécutée aurait été strictement identique. En l’espèce, Le Monde a préféré appeler les terroristes brigadistes «activistes». Privilège lexical ordinairement réservé aux palestiniens.

Voici donc cette étrange morale à géométrie variable appliquée cette fois à la punition tardive: une femme pourrait accuser de viol, sans aucune preuve, 40 ans après, un homme public dans une affaire prescrite et le faire condamner à la mort civile. Mais des assassins en fuite, condamnés pour terrorisme par un pays démocratique dans une affaire en cours mériteraient la compassion des indignés par profession.

Toujours cet ADN moral à deux branches.

Par Gilles William Goldnadel le 03 05.2021

Gilles-William Goldnadel. JOEL SAGET/AFP

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Elie de Paris

Quelque chose qui cloche aujourd’hui, dans la perception événementielle…
On court vers le sombre, les ténèbres, et on fuit la Lumière. Étonnant.
En fait, pas tant que ça !
Dans nos apocryphes, Qumran entre autres, il est ecrit, sans ambiguïté, la confusion entre la Lumière et les tenebres, et la Guerre, finale, entre les Fils de la première, contre ceux des secondes. C’est exactement ce qui se produit sous nos yeux… Les scriptuaires esseniens avaient-ils un sens si prononcé de l’anticipation, ou certains réfugiés de l’Ecole des Prophètes s’étaient-ils réfugiés en leur sein ?
Segolene aurait appelé cette propension « l’inversitude » 🙂 !