TERRORISTES DES 7 ET 9 JANVIER : AUTRES PISTES

 

A défaut de troubles identitaires… ils ne sont pas sans personnalité.

Il est évident que les trois terroristes, Chérif, Saïd Kouachi et l’autre tueur Amedy Coulibaly, qui ont exécuté dix-sept personnes et blessé douze autres  n’étaient pas des malades mentaux au sens où la psychiatrie, voire la psychanalyse l’entendent lors d’expertises, autrement dit, du point de vue d’une quelconque irresponsabilité mentale. Ils étaient en toute conscience, pleinement responsables de leurs actes, un mot bien faible, plutôt alors, responsables de leurs pulsions meurtrières, assassinats qu’ils ont commis de la façon la plus froide et déterminée possible. La question d’une faille identitaire demeure, puisque justement l’identité, se constitue en partie au stade du miroir. Elle y trouve en tout cas son assise pour que le sujet en devenir ne perde pas le lien qu’il a avec ses objets intérieurs et avec les autres, lien ici, en partie aboli. Ces terroristes n’étaient pas non plus dénués de personnalité, laquelle relève pour ce qui concerne la psychanalyse, de la structure. Je parlerai donc ici de personnalité, et non bien entendu, de maladie mentale. La folie ne participe d’ailleurs pas de la nature, mais d’un degré dans la structure qui fait que tel sujet, pour tout un tas de raisons, peut basculer dans une jouissance mortifère dont un des aboutissements peut être l’assassinat, au titre d’une dé-liaison entre la pulsion de vie et la pulsion de mort, libérant cette dernière dans le réel de l’horreur, soit en tuant, soit en se tuant, parfois les deux…Et cette dimension de la personnalité que j’évoque ne peut être, dans le cas de nos trois assassins, que la paranoïa, de forme mais pas de fond, alors que leurs instructeurs, manipulateurs et entraîneurs au meurtre relèvent sans doute de la manipulation, de la perversion. Personnalités paranoïaques orientées donc  vers trois cibles et pas n’importe lesquelles : les humoristes de Charlie Hebdo et ceux qui travaillaient avec eux, assignés  à la même projection meurtrière, les policiers et les juifs. 

 

Les-cliches-pedophiles-de-Kouachi-et-Coulibaly

 D’un Dieu qui ne rit pas : qui le sait ? 

Essayez de faire rire un paranoïaque ! Si vous y arrivez, il est en bonne voie de guérison et de soulagement d’un symptôme qui, sinon, ne donne aucune  place au rire. Personne ne peut rire d’un Dieu ou de son prophète, encore moins les humoristes et les caricaturistes. Pour celui qui relève de la personnalité paranoïaque, tout est à prendre au sérieux, jusqu’à celui dont il croit qu’il le regarde de travers, celui qui chaque jour passe à la même heure devant chez lui et qui ne peut-être par conséquent que l’amant de sa femme, sans même se poser la question si cet automobiliste ne sort pas tout simplement de son bureau chaque jour à la même heure. Le jaloux pathologique est le candidat idéal pour la paranoïa…Il démontre cela dans un discours d’une implacable logique, un discours géométrique comme on dit, si bien que s’interroger sur lui-même lui est impossible. Ainsi dit-on encore : le paranoïaque n’est pas divisible. Aussi dit-il : « ce n’est pas moi, c’est l’autre, l’autre qui est la cause de mon tourment, l’autre qui m’empêche de vivre mes certitudes, l’autre encore, ce radicalement étranger qui par sa présence ou son existence vient mobiliser cette part d’étrangeté qui demeure en moi. (Logée en moi depuis le stade du miroir ou pour me constituer j’ai été confronté à un autre de moi-même. J’ai aussi dû accepter pour être un futur « je » d’être moi et un autre de moi renvoyé par mon image, mon reflet…) Depuis, pour éviter de m’interroger sur ma part d’étrangeté, c’est toujours l’autre qui me persécute, qui est coupable ». Ce candidat-là, à la paranoïa ne peut pas se remettre en question, qui plus est quand il pense agir au nom d’un Dieu ou de son prophète qu’il pense détenteur d’une vérité qu’il ne peut pas relativiser, tant elle l’enveloppe d’une certitude inébranlable. Au moins là, avec lui, il est entier, sans faille en lui, sans castration. Tout est sérieux et pour la personnalité paranoïaque, rien n’est de la rigolade. Autrement dit, pour ne pas devenir des meurtriers au nom d’un Dieu, le pauvre mortel doit déjà pouvoir rire de son Dieu, même s’il y croit, de ses paroles, et se moquer aussi de lui-même…Ne pas prendre au sérieux ce Dieu et ne pas prendre au sérieux une parole qui sinon deviendrait totalitaire et totaliserait alors le sujet qui finirait alors par y croire dur comme fer, dur comme faire…un meurtre en son nom, au nom aussi d’un grand Autre, une parole qui le transcende en le nazifiant, en le fascisant. Les travailleurs de Charlie Hebdo étaient donc la cible toute désignée des assassins du rire et de la dérision. Eux étaient au service d’un Dieu qui ne rit pas et dont ils ne riaient pas de lui sinon qu’à être troublés, ébranlés dans leur certitude identitaire déjà trop emmurée pour ne plus pouvoir leur garantir un certain nouage avec le social. 

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Les garants de l’ordre social 

Les policiers ne sont évidemment pas les seuls garants de l’ordre social, mais ils en sont un des maillages. Ils garantissent tant bien que mal ce qui permet de vivre ensemble à condition qu’ils soient aussi maillés par des lois qui organisent et commandent leur profession dans un ordre  si possible démocratique…Ces hommes et ces femmes en tenue ou pas qui font respecter la loi en deviennent ses représentants. A ce titre ils sont sujets à nombre de  représentations, de projections imaginaires, de transferts dont ils sont les objets, tantôt de haine, de respect, parfois d’admiration, d’identifications, voire, d’amour, mais c’est rare… Or après le stade du miroir (entre 6 et 18 mois),

L’autre grande étape qui structure le petit d’homme, et qu’il traverse ou pas, ou avec difficulté, c’est l’œdipe, lequel termine de l’inscrire dans une structure de personnalité, reconduite à l’adolescence Ainsi, avons-nous trois structures décrites par Freud : névroses, psychoses et perversions. Le passage par l’œdipe permet à l’enfant de s’identifier aux idéaux promus par la loi du père : interdit du meurtre, interdit de l’inceste et interdit de l’anthropophagie. Mais le père est une fonction, une fonction paternelle qui se décline poursuit Lacan en Noms du père. Le travail en est un par exemple. Ainsi y-a-t-il un père imaginaire, celui qui est soumis aux représentations de l’enfant, un père symbolique, celui qui garantit ces interdits, un père réel, celui qui est le père « en chair et en os », mais aussi celui qui  jouit sans entrave et décide par exemple qui peut vivre et qui peut mourir….C’est le père de la horde primitive décrit par Freud dans Totem et tabou.

 

Faute qu’il y ait chez certains sujets introjection de la loi paternelle symbolique, ils vont vouloir se heurter à ceux qui représentent le père imaginaire : la justice, la police, les militaires, l’uniforme quoi ! Les policiers qui ont été tués sont justement des représentants de cette loi imaginaire, et à ce titre ils représentent la loi du père imaginaire, le dernier rempart des interdits quand ils ne fonctionnent plus…. Ils sont donc des substituts, qui peuvent occuper une fonction paternelle imaginaire. Ils subiront donc les assauts haineux ou amoureux ou respectueux de ceux qui veulent s’y confronter quand le père symbolique a fait défaut. La haine assassine des terroristes vise donc la loi imaginaire à travers ceux qui justement la représentent. Gardiens de cet ordre ou gardiens de la paix dans la cité, à savoir, les policiers, les militaires…Dans la personnalité paranoïaque, le père symbolique fait défaut. Le sujet ne peut donc pas s’y reconnaître ou être reconnu par lui. Il ne peut donc pas s’identifier aux trois interdits qui fondent l’ordre social. C’est pourquoi, faute de pouvoir être reconnu par un père, fut-il un vrai père qui aurait été symbolisable, il lui faut donc tuer ses représentants imaginaires, pour obtenir la reconnaissance d’un autre père, le père réel celui de la horde primitive décrite par Freud, celui qui peut jouir du meurtre et de la mort, celui qui lui propose par exemple des femmes dans l’au-delà, alors que sur terre, le père de la horde souvenons-nous  interdit à ses fils d’en profiter. Sur terre, la frustration sexuelle de ces terroristes est aussi un enjeu qu’il faudrait analyser…Ce père réel-là promet à leurs adorateurs le paradis. Ils connaîtront l’enfer. Ainsi les terroristes s’identifient-ils facilement à des mouvements comme Daesh et dans les mots d’ordre djihadistes et islamistes…Troisième victime : les juifs. Eux aussi ont  à voir avec un père qu’il faut éliminer, mais ce n’est pas le père réel, c’est le père symbolique.

 

Les passeurs de  la religion du père.

Le triomphe du polythéisme sur le monothéisme a introduit un nouvel ordre du monde, non plus fondé sur les Dieux qui parfois pouvaient devenir des hommes, commettaient aussi l’inceste avec leur fille, trompaient leur femmes déesses elles aussi, en un ordre vertical centré autour du Dieu Un, vecteur d’interdits et de responsabilités, pour garantir à l’homme la possibilité de vivre en harmonie avec son voisin, sa famille… Une liberté contrainte et, en quelque sorte, qui promeut le désir plutôt que la jouissance,  désir ainsi offert aux humains comme seule possibilité de « vivre ensemble » comme on dit aujourd’hui. Ce nouvel ordonnancement du monde, ce sont les juifs qu’ils l’ont inventé sous la forme du monothéisme. Et à ce titre, Moïse en créant le juif comme l’écrivait Freud a inventé la religion du père. Le judaïsme, c’est la première religion du père….Ce n’est donc pas pour rien que les meurtriers s’attaquent aussi aux juifs comme garants, tenants et passeurs de la religion du père. L’Œdipe, c’est en quelque sorte la version laïque ou athée du monothéisme juif, édifié sur la religion du père. Et c’est sans doute aussi pourquoi, ils sont éternellement la cible de ceux qui veulent détruire ce qu’il reste d’originel à la fonction paternelle laquelle organise et noue le lien social. Les représentants de cette origine sont les juifs, comme reste, dont les meurtriers du père veulent nécessairement se débarrasser. Les juifs sont donc des garants symboliques, de la préservation du lien social. Une des causes de l’antisémitisme est donc aussi le meurtre sans cesse réitéré du père.

 

Ce n’est sans doute pas pour rien que ces assassins étaient sans foyer familial, carencés d’un père symbolique, parfois sans père du tout, sans re-père en somme, délinquant peut-être, ce qui ne les excuse pas mais permet peut-être de comprendre leur fonctionnement à type de personnalité paranoïaque celle-là même qui les soumet à la jouissance meurtrière d’un père réel dont ils vont être les serviteurs « fous ».

 

 Ainsi, ces assassins, en tuant ceux qui riaient et faisaient rire, ne voulaient pas moins que d’obtenir la reconnaissance d’un Dieu introuvable mais qu’ils pensaient avoir trouvé, et dont ils n’avaient retenu que la face obscure, à laquelle ils se sont identifiés pour tuer. Ainsi, ils ont tué ceux qui étaient chargés de faire respecter la loi d’un père imaginaire. Ainsi, ils ont tué des juifs, en tant que passeurs et transmetteurs d’un ordre symbolique, qui garantit le lien social centré autour de l’interdit du meurtre. Alors les tueurs, arrivés au tournant de leur course de vie n’ont rien voulu savoir d’autre que la mort dont ils allaient désormais pouvoir jouir.

 

Jean-Marc ALCALAY

Psychologue clinicicien, psychanalyste

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