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Comment un patient aveugle a recouvré en partie la vue grâce à une thérapie génique.

Ses cellules rétiniennes ont été «reprogrammées» et il a pu revoir des objets simples. Explications.

L’optogénétique a révolutionné les neurosciences expérimentales depuis les années 2000 en permettant d’activer avec un simple signal lumineux des neurones préalablement modifiés génétiquement pour être rendus sensibles à la lumière. Mais rares étaient ceux qui pensaient alors que cette technique, qui nécessitait d’introduire des fibres optiques dans le cerveau des animaux, puisse un jour être «détournée» pour redonner la vue à un patient aveugle, fût-ce partiellement. C’est pourtant cet exploit que vient de réaliser une équipe internationale composée de chercheurs de l’Institut de la vision (Sorbonne Université-Inserm-CNRS), de l’hôpital des Quinze-Vingts, à Paris, de l’Institut d’ophtalmologie moléculaire et clinique de Bâle (IOB), de l’université de Pittsburgh et de la société GenSight Biologics.

«J’ai toujours été très intéressé par les neurosciences expérimentales mais ce qui me guide depuis toujours, c’est de répondre aux besoins des patients», souligne José-Alain Sahel, fondateur de l’Institut de la vision, cofondateur de GenSight Biologics et premier auteur de la publication parue lundi dans Nature Medicine«J’ai été ému quand j’ai appris que ce patient avait enfin pu discerner un objet.» Âgé de 58 ans au début du protocole, cet homme avait perdu la vue depuis une dizaine d’années à la suite d’une rétinopathie pigmentaire, la première cause de cécité héréditaire. Elle provoque la dégénérescence progressive des photorécepteurs, les cellules qui transforment le signal lumineux en signal électrique utilisable par le cerveau.

L’optogénétique a permis de contourner les photorécepteurs pour rendre directement les cellules nerveuses oculaires (les cellules ganglionnaires) sensibles à la lumière. Les chercheurs ont injecté un vecteur viral pour modifier le génome de ces cellules afin qu’elles se mettent à produire des opsines, des protéines sensibles à la lumière à leur surface. «D’ordinaire, les cellules ganglionnaires ne sont pas sensibles à la lumière, détaille Serge Picaud, le directeur de l’Institut de la vision. Leur rôle habituel est de transmettre au cerveau un signal électrique transformé et amplifié en amont par les autres cellules rétiniennes.» Pour que la technique fonctionne, le patient devait néanmoins porter des lunettes-caméra spécifiques qui transforment ce qu’elles «voient» en un signal lumineux de couleur ambre, seule couleur qui active les opsines utilisées ici. Les cellules modifiées étant nettement moins sensibles à la lumière que les photorécepteurs, les lunettes permettent aussi d’amplifier le signal.

Il faut par ailleurs compter quatre à six mois pour que l’expression des opsines soit suffisante. Et un délai au moins aussi long pour réapprendre au cerveau à traiter des signaux visuels. Mais le résultat est là: une dizaine de mois après avoir bénéficié de cette thérapie, le premier patient a pu percevoir et localiser des objets. Les électroencéphalogrammes réalisés ont confirmé que lorsque le patient portait les lunettes les aires visuelles de son cerveau se réactivaient. «On ne peut dissocier l’innovation thérapeutique de la réadaptation, insiste le Pr Sahel. Le patient a ici un rôle très actif, petit à petit il va s’approprier la stimulation. Les signaux reçus par les cellules ganglionnaires ne sont pas les mêmes que les signaux naturels.» Pour cette raison, la vision retrouvée reste très partielle. «Nous sommes très lucides, nous ne donnons pas beaucoup d’espoir aux patients. Ils savent que leur participation a plus de chances d’aider d’autres patients qu’eux-mêmes. Ce n’est qu’une première étape de franchie mais on ne peut qu’être heureux quand on obtient de tels résultats», se réjouit le Pr Sahel, qui salue le caractère de «battants» des sept personnes incluses jusqu’ici dans cet essai.

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«Mieux on comprendra comment le cerveau se réadapte, mieux on pourra prédire l’efficacité de la méthode», commente le Pr Rava Azeredo da Silveira, directeur de recherche à l’École normale supérieure et directeur du groupe Neurosciences théoriques et computationnelles au IOB, qui n’a pas pris part à ces travaux.

Plus d’une quinzaine d’années auront été nécessaires pour parvenir aux premiers résultats de cette thérapie. Mais elle pourrait déboucher rapidement sur des applications diverses. «La très bonne tolérance à ce traitement peut en faire une thérapie d’avenir pour d’autres pathologies dégénératives de la vision, comme la DMLA sèche», relève Magali Taiel, directrice médicale de GenSight Biologics. Pour le Pr Rava Azeredo da Silveira, au-delà de la prouesse technologique, cette publication «rappelle que les grandes avancées trouvent leur source dans la recherche fondamentale ; si des chercheurs ne s’étaient pas intéressés aux protéines présentes dans les algues, l’optogénétique n’existerait peut-être pas!». Les opsines ont en effet été découvertes dans des algues unicellulaires à la fin des années 1990. D’autres sont aujourd’hui issues de bactéries.

Par  – Le Figaro

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