Photos de l’Élysée: «Quand la com’ remplace la politique»

FIGAROVOX/TRIBUNE – L’Élysée a publié plusieurs séries de photos, signées Soazig de La Moissonnière, sur les réseaux sociaux d’Emmanuel Macron. La sémiolinguiste Élodie Laye Mielczareck analyse la stratégie de communication du président de la République.

Photos de l'Élysée: «Quand la com' remplace la politique»

Elles font beaucoup parler d’elles : ce sont les photographies d’un Emmanuel Macron mal rasé et déambulant en sweat-shirt au sein du Palais de l’Élysée. Que nous racontent ces signes visuels de la présidence actuelle ? De la campagne présidentielle ? Et de notre époque ? Décryptage.

Cela nous rappelle des souvenirs : en 2013 et 2014, nombreux sont les papiers de journaux sur Hollande, «l’inattendu va-t-en guerre». Syrie, Mali, Irak, l’ancien président de la République occupe alors une place qu’on ne lui attendait pas. Est-ce par soucis de filiation qu’Emmanuel Macron occupe désormais le même terrain ? Ce dernier n’a pas attendu la guerre en Ukraine pour s’y mettre en scène. Le look mal rasé avait alors fait son apparition durant la pandémie. En quelques semaines, l’évolution sémantique du président prenait des allures de montagnes russes. Début mars 2020, il convoquait, fraîchement sorti du théâtre, un champ lexical festif et épicurien : «la vie continue, il n’y a aucune raison, mise à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sortie». Mi-mars, la pandémie se construisait cette fois autour d’un imaginaire belliqueux, c’est l’apparition du fameux «nous sommes en guerre». Finalement, la «vraie» guerre sera arrivée bien assez tôt. En février 2022, le conflit lancé par Vladimir Poutine va permettre une autre scénographie présidentielle, toujours par la com’, et orchestrée par la photographe officielle, Soazig de La Moissonnière. Avec comme un air de déjà-vu, le président de la République s’affiche désormais dans de nouveaux vêtements, dont la couleur ne doit rien au hasard : jean bleu foncé, sweat-shirt kaki, comme les couleurs militaires d’un Zelensky en plein combat.

Le président ukrainien sait utiliser les images et vidéos pour toucher les cœurs. C’est sans doute cette capacité émotionnelle qui attire notre président français. Élodie Laye Mielczareck

Cette stratégie du caméléon n’est ni anodine, ni anecdotique. Elle est symptomatique. En linguistique, il existe un principe fondamental : le fond et la forme sont indissociables. Comme le recto verso d’une feuille de papier nous apprend Ferdinand de Saussure, fondateur de la linguistique moderne. La tactique du président se résume donc ainsi : se rapprocher de la forme pour toucher le fond. Nombreux sont ceux qui se sont aperçus que Zelensky a remporté la guerre des images. Il était d’ailleurs ce matin même sur CNN, via un enregistrement, pour faire ses condoléances à la famille du journaliste américain Brent Renaud, décédé sur le territoire ukrainien. Le président ukrainien sait utiliser les images et vidéos pour toucher les cœurs. C’est sans doute cette capacité émotionnelle qui attire notre président français. Se rapprocher de la forme, à travers une apparence commune et des images similaires, pour en viser les mêmes résultats : la capacité à être visible aux yeux de tous.

En sémiologie, cette discipline universitaire qui analyse les signes, l’analyse des images s’effectue toujours à différents niveaux. L’image est d’abord analysée seule, comme un système fermé. Puis de manière contextuelle, en fonction de la date de parution, du support, des événements. Dans le cadre qui nous intéresse, la publication des portraits sur le compte Instagram officiel de l’Élysée, en pleine campagne présidentielle, sert de socle au storytelling d’un président en guerre, sur le terrain 24/24, qui n’a pas le temps de faire campagne. Est-ce par soucis de filiation à Paul Ricœur qu’Emmanuel Macron déroule en permanence une identité narrative ? On se souvient que pour le philosophe, la compréhension de soi passe par le fait de se raconter. Cette narration est au fondement de notre identité. Or l’ancien élève du philosophe est devenu maître dans l’art de se mettre en scène, de se (la) raconter, de se mettre en scène «lui-même», comme sujet agissant et providentiel. Notons au passage que le «narratif», mot à la mode, d’Emmanuel Macron emprunte en ce début 2022, davantage à Mars qu’à Jupiter.

Et la séquence tombe plutôt bien. Elle est une échappatoire aux débats avec les autres candidats, elle est une «preuve» que le président est l’homme de la situation, elle évince tout débat sur le bilan du quinquennat. L’absence de sommeil, les négociations continuelles, les dossiers à traiter : tout est suggéré par la barbe, les yeux fermés, les pochettes de papier à la main. La campagne présidentielle est devenue une campagne de presse. Le cliché instantané, façon «Insta», est cette fois prévu pour durer plus de 30 secondes. Il fait parler, il est relayé. Sur les réseaux sociaux ou dans la presse, on s’assure que le message passera car on le sait bien, le choc des photos est toujours plus fort que le poids des mots. Emmanuel Macron est avant tout un pur produit de sa génération et de son époque. Il avait senti la tendance de fond, très post-moderne et séduisante, du «en même temps». Un président de l’oxymore, «ni de droite ni de gauche», «et de droite et de gauche», qui neutralise les opposés sans pour autant arriver à les dépasser.

La vidéo ou la photographie n’imitent plus la réalité, elles se font passer pour elle. Élodie Laye Mielczareck

Comment parler de post-modernité sans évoquer les travaux du philosophe Jean Baudrillard ? Visionnaire de génie, celui-ci proposait déjà (il y a plus de 40 ans !) la distinction entre dissimulation et simulation. Selon lui, la caractéristique première de notre époque était le fait d’accorder plus d’importance aux signes qu’au réel. Dans Simulacres et Simulation, le philosophe dépeint cet «hyperréel » : «Il ne s’agit plus d’imitation, ni de redoublement, ni même de parodie, mais d’une substitution au réel des signes du réel». Autrement dit, la vidéo ou la photographie n’imitent plus la réalité, elles se font passer pour elle. La séquence des photographies élyséennes, cliché Insta prises «sur le vif», n’existe pas qu’en parallèle de Zelensky. Elles substituent à un univers technocratique, froid et rationnel, loin des Français, un imaginaire de l’empathie et de l’action, plus que jamais sur le terrain.

Ce «meurtre de la réalité», cette disparition du réel, est davantage permise par les réseaux sociaux. Et Baudrillard nous le rappelle, plus les technologies avancent, plus la réalité se «virtualise». Une course au réel et à l’hallucination réaliste sans issue : «quand un objet est exactement semblable à un autre, il ne l’est pas exactement, il l’est un peu plus.» Or, c’est précisément ce supplément de réalité qui produit chez nous, Homo sapiens, ce sentiment particulier de «jouissance». Une jouissance qui, selon Baudrillard, nous amène à rechercher toujours plus de «réel», au point de ne plus trouver le moindre intérêt à ce qui existe. Jouissance de l’hallucination, Emmanuel Macron ne se contente pas d’être le double de Zelensky, il est Zelensky en un peu plus : un peu plus guerrier, un peu plus actif, un peu plus providentiel, un peu plus mal rasé, un peu plus décoiffé. De quoi se permettre d’être réélu sans livrer bataille ?

Élodie Laye Mielczareck est sémiolinguiste, spécialisée dans le langage verbal et non verbal. Elle publie Déjouez les manipulateurs (Éditions du Nouveau Monde, 2016), La Stratégie du Caméléon (Cherche Midi, 2019) et Anti Bullshit (Eyrolles, 2021).

Photos de l'Élysée: «Quand la com' remplace la politique»

Clichés d’Emmanuel Macron mal rasé et déambulant en sweat-shirt au Palais de l’Élysée. Photo Instagram @SoazigdelaMoissonnière

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marc

Soazig de La Moissonnière
Que du Beau monde autour de macron

Moi C’est Samuel de Sarcelles
Si Macron croit nous impressionné avec son look
il se trompe, ce président est une coquille vide
Macron c’est le néant