ToLeDoT 5782: histoire d’une famille, histoire d’un peuple (vidéo)
Pour quelles raisons, dans la parasha précédente, la Torah nous donne-t-elle tant de détails au sujet de la famille dont est issue Rebecca ? C’est parce que, nous apprend le Or HaHayim1, lorsqu’il s’agit de faire « descendre » (du ciel) une grande âme ou une âme pure, il faut l’envelopper d’écorces (klippoth) pour éviter qu’elle ne subisse des dommages. Sa généalogie entoure donc Rivka pour éviter qu’elle ne soit abimée en chemin.
Cette sidra nous entraîne vers trois pôles de réflexion importants sur lesquels de très nombreux exégètes font de merveilleux commentaires. Au sujet du début du texte de la lecture de cette semaine, aussi bien au sujet de cette conjonction « et » que du mot « toledot » et du fait que l’on nous rappelle qu’Isaac est le fils d’Abraham. Les sages s’interrogent sur la répétition de la généalogie d’Isaac puisque depuis la section de Vayéra où l’Ange Michaël a annoncé à Abraham et Sarah que l’année d’après naîtrait Isaac. Pourquoi donc est-il nécessaire de rappeler qu’Isaac est le fils d’Abraham ? Pour le Sifté Hakhamim que nous avons déjà cité, Rashi et d’autres, cette conjonction vient rattacher cette péricope à la précédente où a été évoquée la généalogie d’Ishmaël. Pourtant, en regardant de près la façon d’orthographier le mot Toledoth2 lorsqu’il est question d’Ishmaël le mot s’écrit 3 sans la lettre vav ni avant ni après. La présence de la lettre vav dans ce mot donne deux sens très différents selon la position occupée dans le vocable : le premier vav indique un potentiel et le second indique une réalisation qui doit s’opérer. Dans le Tanakh tout entier, le mot toledoth peut s’orthographier de quatre façons différentes et, tel qu’il apparaît à la fin de Hayé Sarah, « toledoth Ishmaël » se distingue de manière unique par l’absence totale de « vav » ce qui procure une allusion : lorsque Sarah se voyant tristement stérile suggère à son illustre époux un mariage avec Hagar. Ces deux fils donneront à leur tour naissance à deux peuples différents : le peuple juif et le peuple ismaélite.
Les deux fils nés à Abraham sont issus de deux femmes différentes en tous points ; ils sont issus de deux matrices différentes. En revanche, les deux fils nés à Isaac sont tous deux nés de la même femme, de la même matrice mais, eux aussi engendreront des nations différentes et ennemies, et la Torah insiste sur la description des deux bébés jumeaux mais juste sur le plan de la conception et de la naissance car tous deux sont différents en apparence et en nature.
Le thème de l’aînesse préoccupe toutes les générations de penseurs en effet si l’on veut illustrer la question d’une grossesse gémellaire, il apparaît clairement que si l’on dépose dans un récipient un objet puis qu’on en dépose un second il apparaît clairement que l’objet déposé en second ressortira du récipient le premier et celui qui fut introduit en premier en ressortira en second auquel cas, pour quelle raison considère-t-on celui qui apparaît le premier comme aîné au détriment de celui qui fut conçu en premier mais sort en second ???
En réalité, les Sages se sont penchés avec intérêt sur la question en étudiant le cas de plusieurs « passations » d’aînesse dans l’histoire de l’Humanité et, leurs conclusions sont les suivantes : Lorsque fut commise la faute d’Adam et Eve et qu’HaShem leur cousit des tuniques de peau, la tunique d’Adam ne fut pas transmise à l’aîné (Caïn) mais à Seth qui n’était pas l’aîné mais il s’agissait d’un tsadik et, par la suite, cette tunique fut transmise non pas de fils aîné en fils aîné mais de tsadik en tsadik faisant apparaître l’investiture d’aîné selon deux angles différents : le premier étant l’angle généalogique donnant un privilège généalogique et aussi l’angle de la transmission des biens et donc tout ce qui concerne la matérialité et le second étant le point de vue cultuel et tout ce qui concerne la spiritualité. Pendant toutes ces années (2500 environ) qui séparèrent les générations se succédant entre Adam et Eve jusqu’à la promulgation de la Torah, les fils aînés étaient chargés du culte et de présenter les sacrifices. Dès le Mont Sinaï, cette charge fut celle de la tribu de Lévy et des Cohanim.
La tunique de cuir d’Adam fut donc transmise à Seth car Caïn avait tué son frère et la tunique ne lui fut pas offerte puis, de Seth elle appartint à Mathusalem puis à Noé, puis à Shem car c’est de Shem que naîtrait Abraham et ses descendants. Pourtant la tunique appartint à Nimrod qui fut un chasseur « hors catégorie » et, lorsqu’Esaü s’étonna du fait que la chasse était mauvaise Jacob lui fit comprendre que tant que ce roi détiendrait la tunique Esaü ne parviendrait pas à chasser comme il le souhaitait ! C’est alors qu’Esaü conçut un dessein funeste : tuer Nimrod pour se saisir de la fameuse tunique et, ce jour où Esaü demanda à son frère de le nourrir eurent lieu plusieurs événements : ce jour-là Abraham venait de mourir et Jacob était en train de cuire des lentilles pour les endeuillés. Esaü arriva éreinté d’une journée de chasse où il eut l’opportunité de tuer Nimrod pour s’approprier cette fameuse tunique qu’il convoitait depuis si longtemps. Esaü avait acquis désormais l’assurance de chasser avec succès jusqu’à la fin de sa vie. Cependant, Rivka avait caché cette tunique entre temps. Jacob, pour sa part comprit que dorénavant, Esaü ne pourrait plus être l’aîné (présenter les sacrifices puisqu’il avait tué Nimrod. Ceci vint conforter son opinion selon laquelle lui Jacob était réellement l’aîné car il existe un principe selon lequel la décision de faire un acte l’emporte sur le fait établi en hébreu : « עלה במחשבה » (conception d’une idée) et « יצא לביצוע » (mise à exécution) en termes clairs : la conception d’un enfant prévaut le moment de l’accouchement. Et, si l’on en vient à considérer le fait que l’action eut lieu dans le but d’avoir UN enfant donc Jacob et le deuxième (qui naquit en second) n’était pas dans cette intention de procréation. Le projet donna donc la suprématie voulue à Jacob sur Esaü.
Les exégètes, à propos du premier verset de la Torah développent ce raisonnement : il est écrit :ברא ….. בראשית (bereshith bara) que l’on traduit habituellement « au début HaShem créa le monde ». Or, dans la Tradition rabbinique on a coutume de « comprendre » que le mot bereshit désigne non seulement la Torah mais désigne aussi Israël ce qui éclaire notre lanterne différemment ainsi, nous apprenons, qu’avant de « créer » Israël et avant de lui donner la Torah, HaShem a créé un monde de « 70 » nations (70 étant un symbole de pluralité) et Israë est donc apparu comme la première nation après que furent créées les autres destinées à recevoir le peuple de D….
Israël est donc l’aîné des deux frères car il n’a pas de sang sur les mains, parce que Jacob qui fut Israël, après le combat avec l’Ange, est le plus apte à rendre un culte à HaShem, parce qu’Israël est le seul à suivre la Torah, parce que Jacob fut conçu le premier.
La Torah donne un autre exemple de « vente » du droit d’aînesse ainsi, lorsque Joseph se présente à Jacob pour recevoir sa bénédiction (voir parashat Vayehi), Jacob impose ses mains sur ses petits-enfants Ephraïm et Menashé et Joseph pense que le poids des ans empêche le vénérable patriarche d’agir correctement. Or, Jacob octroya ainsi l’aînesse à Ephraïm car il su par prophétie que c’est d’Ephraïm que naîtra Yéhoshoua ben Noun qui conduisit le peuple après le décès de Moîse… La valeur n’attend pas le nombre des années ????
Caroline Elishéva REBOUH
1 Rav Hayim Ben Atar (1696-1743)
2 Le mot TOLEDOTH appartient à la racine youd-lamed-daleth soit yéléd = enfant, leholid = faire naître, accoucher ; leyda = accouchement ; yoledeth = accouchée. Par extension, le mot TOLEDOTH signifie généalogie et histoire. Le mot toledoth peut s’écrire tav-vav-lamed-dalet-vav-tav. Mais il peut s’écrire sans vav du tout ou bien avec un vav entre tav et lamed, ou bien avec un vav entre le daleth et le tav à la fin ou avec deux vav.
3 Pour la seule et unique fois dans le Tanakh tout entier.