On se fait en Europe de dangereuses illusions sur l’Iran

Il est bien difficile d’ouvrir aujourd’hui en France ou en Europe, un débat serein sur le programme d’armement nucléaire de l’Iran. Il y a un accord international, et il fonctionne. Fermez le ban !
Le sujet est amalgamé à d’autres thèmes hyper-critiques dans une campagne incessante de démolition de l’image du président des États-Unis. La machine médiatique institutionnelle dûment pilotée par les pouvoirs du Vieux continent ne ferait pas autrement si elle désirait exciter la tension émotionnelle pour euthanasier la réflexion. Pourtant cette question de la nucléarisation d’un régime aussi belliciste et indifférent aux droits humains sera l’une des questions les plus délicates de la prochaine décennie. Elle a déjà des implications cruciales dans la vie du Moyen-Orient, mais aussi de l’Amérique et de l’Europe.
En décidant le 12 janvier dernier qu’il reconduirait le gel des sanctions imposées à l’Iran pour la dernière fois, sauf réaménagement substantiel de l’accord du 14 juillet 2015, Donald Trump a mis ses alliés européens devant un dilemme : soit ne rien faire et voir les États-Unis quitter l’accord nucléaire dans les 120 jours, soit entrer dans une nouvelle coalition occidentale pour acculer le régime khomeiniste à renoncer effectivement à tout espoir d’obtenir un jour l’arme tant convoitée. Dans la première hypothèse, une fois les sanctions rétablies par Washington, les entreprises européennes entretenant des liens technologiques, financiers et commerciaux avec l’État iranien s’exposeraient à la Justice américaine dont chacun connait la rudesse.
Pour l’instant, sous la conduite de Federica Mogherini, la responsable de la politique étrangère de l’Union européenne, Trump s’est heurté à une fin de non recevoir. La veille de la déclaration présidentielle, Mogherini avait réuni les principaux ministres des affaires étrangères européens ainsi que leur homologue iranien, Mohammed Javad Zarif, pour afficher une détermination commune. S’amorçait une étrange coalition entre l’Europe et l’Iran, suivis logiquement par la Russie et la Chine, contre les États-Unis. Il est intéressant de noter cette proximité particulière, cette empathie qui lie l’Europe à des partenaires aux mains couvertes de sang frais. Le régime iranien invité à la concertation de Bruxelles venait de réprimer chez lui, avec la sauvagerie qui est sa marque de fabrique, des émeutes de la faim à grande échelle. Les co-concertants ne songèrent pas à témoigner publiquement de leur possible émotion.
Devant cet a priori européen, il faut reprendre le problème à la base. Est-il concevable pour les Occidentaux de laisser l’Iran se doter à terme du binôme bombe-missile ? L’accord nucléaire de juillet 2015 constitue-t-il un bon rempart contre cette éventualité ? De ce point de vue, les requêtes de Donald Trump sont-elles pertinentes ?

Des démocraties peuvent-elles accepter que l’Iran détienne l’arme nucléaire ?

Les Occidentaux donnaient une réponse claire à cette question avant l’ouverture des négociations sous l’égide d’Obama en 2013. C’était non, pas d’armes nucléaires, et ils exigeaient le démantèlement pur et simple des installations nucléaires de l’Iran.
Le programme nucléaire actuel de l’Iran avait été initié par Khomeiny après la guerre avec l’Irak. Ce programme était clandestin. Des dissidents du régime révélèrent en 2002 l’existence d’une usine d’enrichissement de l’uranium à Natanz et d’un réacteur nucléaire à eau lourde à Arak, ouvrant une décennie de jeu au chat et à la souris entre la république islamique et les Occidentaux. Il s’ensuivit une série de 7 résolutions de l’ONU et un système de sanctions pour tenter (vainement) de soumettre l’Iran à la volonté commune, d’autant que les découvertes d’installation clandestines se multipliaient (usine de Chiraz, de Fordow). Dans les années 2011/2012, l’interdiction d’importation du pétrole iranien décrétée par l’Union européenne et la prohibition des transactions en dollars édictée par les États-Unis mettaient l’Iran à genoux (dévaluation du rial, inflation et croissance négative). Le régime était voué à la capitulation. Mais avec le concours d’Obama et de sa conseillère Valérie Jarett, il allait bientôt remporter une victoire stratégique éclatante et inespérée.

a) Dans des régimes totalitaires le noyau dirigeant est susceptible d’adopter des comportements suicidaires

En 2011 et 2012, les Européens et Américains témoignaient par leur fermeté de l’importance de l’enjeu. De nombreux exemples avaient montré que le noyau dirigeant d’un État totalitaire peut adopter une attitude suicidaire s’il est convaincu qu’il est à la veille de son renversement. S’il possédait l’arme nucléaire, les dommages seraient vertigineux.
En 1962, au cours de la crise de Cuba, Fidel Castro implora Khrouchtchev dans une lettre du 26 octobre de déclencher une attaque nucléaire préventive contre les États-Unis, et il ne cessa de plaider dans ce sens durant les 13 jours de l’affrontement. A l’évidence, Castro savait que Cuba serait annihilé en riposte, que des millions de ses concitoyens allaient mourir. Mais il en faisait fi. Son régime comptait plus que tout. Il voulait surtout que sa destruction soit payée par les blessures les plus cruelles infligées à l’ennemi.
En janvier 1991, sûr d’être renversé par l’avancée de la coalition dirigée par les Américains Saddam Husssein, mit le feu à 700 puits de pétrole koweitiens et il fit déverser entre 4 et 6 millions de barils de pétrole dans le Golfe. Il escomptait déclencher l’équivalent d’un hiver nucléaire et une catastrophe écologique irréversible. Si elle réussissait, cette manœuvre ne lui apportait aucun bénéfice stratégique : il s’agissait simplement pour lui de venger son régime juste avant de périr, quitte à sacrifier un nombre indéterminé de vies irakiennes et arabes.
En 2013, de même, Bachar Assad transgressa deux fois de suite la ligne rouge tracée par Barack Obama sur l’utilisation de gaz chimique par le régime syrien. Les menaces de rétorsions américaines ne l’avaient pas dissuadé d’entrer dans l’ère de la guerre civile chimique, au risque d’être crucifié par les cruise missile et les B52..
Ces trois exemples montrent que des régimes menacés sont prêts à utiliser tous moyens à leur disposition, même suicidaires, pour survivre ou se venger Mais dans ces trois cas, le régime n’avait pas d’arme nucléaire. Les conséquences de leurs derniers spasmes furent limitées.
Par contre, depuis environ deux ans, le régime coréen du Nord est parvenu à tester des bombes nucléaires fiables, (la bombe H peut-être), et des missiles (intercontinentaux ?) pour les délivrer. Le système d’armes coréen est encore expérimental et les vecteurs ne sont sans doute pas encore assez nombreux pour échapper aux missiles anti-missiles américains. Néanmoins, il y a là une menace gigantesque à terme, une poignée de têtes brûlées de Pyongyang prenant en otage des millions de vies de leurs adversaires désignés du moment. Ces gens se comporteront avec les civils du camp adverse exactement comme ils se comportent avec leur propre peuple. La vie humaine est pour eux quantité négligeable. Tout indique qu’à la veille de se disloquer, un régime au format de celui de Kim Jung Un utilisera effectivement son arme nucléaire. Les États-Unis le savent, le statu quo est exclu. Aux Européens responsables de ne pas réduire ce choc stratégique en un concours de « Trump bashing »
De son coté, le régime iranien est aussi une dictature ultra minoritaire. Sa colonne vertébrale se réduit à quelques poignées de mollahs extrémistes et corrompus, une garde prétorienne rompue depuis des décennies à la guerre et la répression (les Gardiens de la Révolution) et un réseau dense de milices civiles cruelles et fanatisées (les Bassidj). Un tel régime, avec son coté messianique, sa corruption généralisée et son ambition hégémonique est tout à fait susceptible de se comporter à la façon de Castro ou de Saddam si sa fin approche. Un armement nucléaire à l’échelle de l’Iran serait un risque majeur pour toute la planète, et ferait l’effet d’un tremblement de terre sur les régimes et les relations politiques locales. Qui pourrait empêcher alors l’Iran, par exemple, de faire la loi sur les détroits d’Ormuz et de Bal el-Mandel, si vitaux pour les Arabes, l’Europe, les États-Unis et même l’Asie ? Qui pourrait l’empêcher de vassaliser et piller les théocraties richissimes du Golfe ?

b) La prolifération, l’absence de coopération et les risques d’erreur sont une assurance pour l’apocalypse.

Le premier effet à attendre de la marche de la Corée du Nord et de l’Iran vers l’arme nucléaire est la prolifération nucléaire locale, les pays voisins cherchant à annuler la menace en développant leur propre arsenal. Ce processus est aujourd’hui en cours aussi bien au Moyen-Orient que dans l’Asie de l’Est. Au Moyen-Orient, les candidats sont l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Égypte. En Asie de l’Est, le Japon, la Corée du Sud, peut-être Taiwan et le Vietnam.(1) Au cours de la guerre froide, la dissuasion à deux (États-Unis / URSS) a donné lieu à de nombreux incidents réglés tant bien que mal dans un contexte de coopération antagonique. Les deux entités se reconnaissaient et avaient un désir partagé d’éviter les risques d’erreur ; ils ne voulaient pas d’une montée non intentionnelle aux extrêmes. Dans une figure à trois, quatre ou cinq pays, la dissuasion devient ingérable. Chacun peut simuler par des moyens électroniques une attaque d’un protagoniste contre un autre, susceptible de déclencher le feu entre ses adversaires. Il ne faut pas oublier que ces pays sont proches les uns des autres, et qu’en cas d’alerte, le temps disponible pour analyser les donnés satellitaires et mener une contre-enquête est infime.
Ce n’est pas tout. Les pays proliférants peuvent n’entretenir aucune relation, ne pas reconnaître officiellement tel adversaire (cas de l’Iran/Israël ou de l’Iran/Arabie) et ne pas pouvoir gérer par un dialogue en direct l’écho radar d’une attaque qui n’est peut-être pas effective. En septembre 1983, les satellites soviétiques décelèrent deux attaques de missiles provenant des États-Unis. L’officier de garde n’eut que quelques minutes pour se persuader de l’erreur et dissuader sa hiérarchie de lancer une contre-attaque nucléaire. Le 13 janvier dernier, une alerte a été diffusée dans la population de Hawaï, annonçant l’arrivée d’un missile balistique en provenance de Corée du Nord. Cet incident traité comme un fait divers par les média était en fait porteur d’une information majeure : dans un espace en vigilance (Kim Jung Un a menacé de frapper Hawaï), utilisant les moyens ultra sophistiqués des Américains, une grave erreur d’interprétation a pu être commise. Imaginons alors ce que vaudront les analyses de données des Iraniens, des Coréens du Nord, des Saoudiens, etc. Que se passera-t-il si une alerte radar est mal interprétée dans un contexte de tension internationales et de discours martiaux, climat qui règne aujourd’hui entre l’Iran et l’Arabie saoudite ?
Pire encore, une dissuasion efficace exige de maintenir un potentiel de contre-frappe en cas d’attaque et d’annihilation de l’état-major du dispositif nucléaire global. Il faut donc consentir un certain degré d’autonomie à des pôles de décision décentralisés exécutant leur mission en toute autonomie, en fonction de l’information à leur portée. Le problème est de savoir comment pensent et se comportent ceux à qui on donnera le pouvoir d’appuyer sur le bouton de la seconde frappe. S’agira-t-il de sous-fifres fanatisés ou de personnalités capables de supporter des tensions extrêmes ? Les États-Unis disposent d’une procédure très complexe pour sélectionner ces personnalités exceptionnelles, qui est loin d’être à la portée des actuels candidats à la bombe. En serait-il de même des officiers des Gardes de la Révolution iraniens, ou des généraux d’autres pays totalitaires où le lien de confiance est assis exclusivement sur l’allégeance et l’idéologie ?
Tout cela montre que contrairement à la minoration orchestrée en France du risque d’un Iran nucléaire, et à la prudente rationalité imputée au régime iranien, « héritier d’une grande civilisation » où la « population est remarquablement formée », les ingrédients de la folie nucléaire sont tous réunis si les mollahs ajoutent le nucléaire à leur arsenal.
C’est à présent que se pose la question de la valeur de l’accord nucléaire de 2015 comme garantie que l’Iran n’aura pas la bombe.

Le JCPOA (2), un gruyère perméable même à des camions

JCPOA est le nom du fameux accord d’Obama, négocié à Vienne, qui a la particularité rare de n’avoir été signé par aucun de ses protagonistes.(3) L’amiral James Stavridis, ancien commandant interallié de l’OTAN, le qualifia de « gruyère » ajoutant que « l’on pourrait faire passer un camion par certains de ses trous. » Il n’est pas très difficile de comprendre pourquoi.
L’idée centrale de l’accord, imposée par les Iraniens, c’est de passer de l’exigence initiale du démantèlement des installations nucléaires (centrifugeuses, réacteurs, etc) au simple gel de ces installations. L’Iran conserve donc en vertu de l’accord la possession de l’intégralité de son appareil de production de l’arme nucléaire, il en assure la garde et il le met lui-même en sommeil.
Si l’on s’interroge sur l’aptitude de cet accord a conjurer le risque d’un Iran nucléaire, il faut comprendre comment il intervient aux différentes étapes de la mise au point de l’arme (4). Pour obtenir une arme atomique opérationnelle, il faut réunir au moins trois éléments : une certaine quantité de combustible nucléaire, soit de l’uranium enrichi entre 80 et 95% soit du plutonium, un dispositif de militarisation de l’arme, et des missiles balistiques pour assurer la « délivrance » sur la cible choisie.
Combustible : Les Iraniens ont poursuivi simultanément les deux filières possibles, celle de l’uranium et celle du plutonium.  L’accord prévoit une quasi suspension de l’enrichissement de l’uranium, avec un stock maximal de 300 kg enrichi à 3,67% soit 50% du temps nécessaire pour obtenir du combustible militaire . Mais il y a les « sunset clause », c’est-à-dire les délais à l’issue desquelles les restrictions sont caduques (8 à 10 ans pour le nombre de centrifugeuses et les contrôles de l’AIEA (5), et 15 ans pour le degré d’enrichissement). Par ailleurs le réacteur à eau lourde d’Arak était censé être transformé en réacteur à eau légère, incapable de produire un uranium militarisé. Il ne l’a pas été.
Donc il suffit à l’Iran d’attendre et il pourra produire autant de combustible militaire qu’il le voudra. D’un coté le réacteur d’Arak, toujours à eau lourde, peut être aisément reconfiguré pour traiter à nouveau le plutonium, et de l’autre l’Iran est autorisé par l’accord à faire de la recherche pour moderniser ses centrifugeuses (elles passent du type IR1 et IR2 en 2015, à IR6 et IR8 désormais, des modèles beaucoup plus productifs). En tout état de cause, les principales restrictions de l’accord seront caduques en 2023.
Militarisation : C’est un processus technique complexe. Il faut d’abord la technologie des détonateurs multipoints, mais aussi miniaturiser l’engin et procéder à l’usinage hémisphérique du combustible, de façon à donner à l’arme la forme d’une ogive ajustée au logement prévu dans le vecteur balistique. Le problème, c’est que si les usines d’enrichissement et les réacteurs nucléaires sont des installations imposantes et difficiles à dissimuler, le processus de militarisation est facile à maquiller. Il se déroule dans des bases militaires ordinaires. On peut rapidement effacer les traces de ces opérations. La clandestinité est assurée dans la mesure où le régime des mollahs interdit toute inspection étrangère au prétexte du droit de toute nation au secret militaire. Sur ce chemin, l’AIEA, laissée seule (6) face au très irascible moloch iranien, a négocié des auto-inspections, les mollahs collectant eux-mêmes les échantillons de contrôle et réunissant les documents recherchés par l’organisation internationale !
Missiles balistiques : Une ogive nucléaire n’a aucune valeur si l’on ne peut pas l’envoyer sur sa cible, éventuellement à un continent de distance. C’est pour cela qu’un armement nucléaire opérationnel et non décoratif, exige la mise en œuvre de programmes de missiles. On parle alors d’ICBM (Intercontinental Ballistic Missile). Comme le soulignait crûment Ashton Carter, le secrétaire à la défense d’Obama : « La raison qui nous pousse à prévenir un programme d’ICBM est que le « I » de ICBM veut dire « intercontinental », soit l’aptitude à voler depuis l’Iran jusqu’aux États-Unis » Bien observé ! Et cependant, les missiles balistiques ont été exclus de la négociation par l’Iran avec l’assentiment d’Obama qui n’en était pas à une couleuvre près, de sorte que l’accord nucléaire de Vienne ne prévoit strictement rien à leur sujet. (7) L’accord laisse l’Iran libre de les développer à son gré. Et il ne s’en prive pas. En septembre 2017 par exemple, il a testé un nouveau missile à têtes multiples, le Khoramshahr, d’une portée de 2.000 kilomètres (8) .
Pour donner une idée de l’état d’esprit des chefs iraniens, il faut avoir en tête la réponse cinglante que réserva le Brig. Gen. Hossein Salami, commandant en second des Gardiens de la révolution, à Emmanuel Macron. A la mi novembre 2017, celui-ci avait exprimé sa préoccupation devant le programme balistique de Téhéran et suggéré des négociations. Voici la réponse : « Si nous avons limité la portée de nos missiles à 2.000 km, ce n’est que la technologie nous fasse défaut. Nous suivons une doctrine stratégique. Tant que nous avons considéré que l’Europe n’était pas une menace, nous n’avons pas augmenté la portée de nos missiles. Mais si l’Europe veut devenir une menace, nous accroîtrons la portée de nos missiles. » (9) Trivialement, cela veut dire : « si tu oses parler encore de nos missiles, nous te viserons au visage ». Nous ne connaissons pas la réponse de Macron.
En vertu de ce qui précède, on voit qu’il faut toute la finesse et la vista de Federica Moghérini pour conclure que l’accord nucléaire « fonctionne, rend le monde plus sûr et empêche une course à l’armement nucléaire potentiel dans la région. »(10) Téhéran respecte à moitié la restriction sur le combustible nucléaire (il n’a pas converti Arak en réacteur à eau légère). Il sait que ses centrifugeuses modernisées lui permettront de produire très rapidement le combustible militaire voulu en quantité voulue. Téhéran poursuit la militarisation de sa bombe en toute quiétude, puisque l’AIEA a renoncé à inspecter ses sites militaires. Enfin, Téhéran met toutes ses forces dans le développement du programme d’ICBM, son talon d’Achille, le secteur où il doit faire des progrès pour pouvoir délivrer ses ogives en plein dans le mille, à Tel Aviv, à Paris ou à Washington. Tout se passe comme si l’Iran avait décidé de tirer tout le parti possible d’une levée des sanctions (un pactole de 100 milliards de dollars, et des ouvertures économiques en Europe), tout en complétant son programme nucléaire (par la modernisation des centrifugeuses, la sanctuarisation de Fordow (11) et le développement des missiles intercontinentaux.) A l’évidence l’accord d’Obama est le cadre idéal pour mener à bien le grand objectif du régime et exploiter au maximum la victoire stratégique offerte sur un plateau par l’ancien président américain.

Les requêtes de Donald Trump sont-elles fondées ?

Dans son adresse du 12 janvier, Donald Trump révèle qu’il a signé à contre cœur la poursuite du gel des sanctions. Son entourage et les plus sérieux analystes américains lui avaient suggéré de tout faire pour « corriger » les failles de l’accord de 2015 avec le concours de ses alliés, plutôt que rompre l’accord, en l’absence de solution alternative.  Il a voulu laisser une chance à cette éventualité en laquelle il ne croit pas.
C’est pourquoi il s’est engagé à sortir de l’accord si dans les 4 mois, les alliés européens et le Congrès ne lui présentent pas une loi stipulant quatre grands principes :
1 – Des inspections immédiates et sans restrictions sur tous les sites susceptibles d’intéresser les inspecteurs internationaux. Il s’agit ici de faire sauter l’interdiction de visiter les bases militaires où l’on travaille sur les techniques de militarisation de la bombe ;
2 – L’allongement de délai de mise au point de la bombe si l’Iran prenait soudainement l’initiative d’en produire une (break out) Le délai stipulé par l’accord est de 1 an, ramené à 7 mois du fait de la modernisation des centrifugeuses, et à zéro mois selon Obama quand on s’approchera de l’expiration des restrictions.
3 – La levée des « sunset clause » : les restrictions prévues par l’accord devront devenir permanentes (rappelons qu’elles portent sur l’enrichissement, mais aussi sur le commerce des armes conventionnelles, les déplacements de certaines personnalités , etc.)
4 – La mention explicite du principe que les missiles de longue portée et les programme d’armement nucléaire sont inséparables, aucune négociation pouvant les dissocier.
Ces quatre exigences que Trump veut introduire dans l’accord nucléaire sous-tendent un renversement précis des failles qui ôtaient toute pertinence à l’accord passé par la précédente administration. En même temps, elle sont inacceptables pour l’Iran s’il conserve son rêve d’arme nucléaire et balistique.
En tant que dirigeant politique, Donald Trump devait procéder à un diagnostic sérieux de l’accord nucléaire, ce qu’il a fait brillamment. Mais l’homme politique est jugé sur ses résultats et non sur ses diagnostics.
Pour obtenir des résultats, il doit d’abord convaincre le Congrès, faute de quoi sa crédibilité serait entamée, tant auprès des alliés européens que des Iraniens. Or l’opposition démocrate, indispensable pour faire voter un texte, semble quitter le principe des décisions bipartisanes sur les sujets d’intérêt national, pour s’enfermer dans un Trump Bashing irrépressible. Un projet de loi a déjà été déposé à la Chambre des Représentants, mais il n’a pas encore été discuté.
Les dirigeants Européens ont accueilli par des moqueries et des horions les conditions exposées par Trump le 12 janvier. Cela n’aura peut-être qu’un temps.(12) Le 19 janvier, Mme Merkel, en situation d’intérimaire, encore sans majorité ni gouvernement, a sonné la fin de la récréation, faute d’une voix de substitution avisée chez les poids lourds de l’Union européenne qui baignent dans leurs mantras antiaméricains. Selon Der Spiegel, elle vient de demander aux Britanniques et aux Français de se joindre à l’Allemagne pour imposer de nouvelles sanctions à l’Iran en punition de son programme de missiles et de son intervention dans les conflits du Moyen-Orient (Yémen, Syrie). Le but est d’éviter la sortie des États-Unis de l’accord dans quatre mois. Angela Merkel sait que cette sortie exposerait l’économie allemande à la justice Yankee en cas de viol des sanctions rétablies par Trump. Ce que Paris n’a semble-t-il pas encore tout à fait compris.
Le régime iranien a inscrit un principe d’expansionnisme, « l’expansion de la souveraineté de la Loi de Dieu à travers le monde » dans sa constitution (13). Il s’est impliqué dans une série de guerres à travers le monde arabe, se vantant de contrôler aujourd’hui quatre capitales, Beyrouth, Damas, Bagdad et Sanaa. A l’intérieur, la corruption est un principe maître de la pyramide du pouvoir. L’appauvrissement des classes moyennes est patent tandis que la grande pauvreté ravage les villes et les campagnes.
C’est à travers la façon dont un régime traite son peuple que l’on peut estimer le mieux sa dangerosité pour le monde. La Corée du Nord comme l’Iran illustrent parfaitement ce principe. Aussi devant la faillite régulière des tentatives d’apaisement, les Européens doivent faire leur révolution copernicienne et comprendre que la seule vraie sortie de l’impasse est le regime change précédé par un contaiment rigoureux et une aide maximale aux forces autochtones qui organisent et défendent les peuples de ces pays.
Par Jean-Pierre Bensimon
Notes :
 
1 – La situation est bien décrite par Isabelle Lasserre :« En France, les milieux stratégiques s’inquiètent de la «multipolarité nucléaire», qui voit émerger, comme le dit Philippe Errera, «des acteurs toujours plus nombreux, avec des capacités qui se renforcent et des doctrines qui s’élargissent», tandis que les cadres internationaux pour maîtriser l’escalade s’affaiblissent. » L’Europe unie pour défendre l’accord nucléaire iranien Le Figaro 11 janvier 2018 http://premium.lefigaro.fr/international/2018/01/11/01003-20180111ARTFIG00283-l-europe-unie-pour-defendre-l-accord-nucleaire-iranien.php
2 – JCPOA ou Joint Complete Plan Of Action, en français Plan d’action global conjoint. Pour une analyse plus détaillée, voir Jean-Pierre Bensimon, La bombe nucléaire iranienne ou le douteux triomphe de la présidence Obama, septembre 2015
3 – Obama ne voulait pas que l’accord prenne la forme d’un traité officiel. Il aurait été immédiatement récusé par le Sénat où une majorité des 2/3 est requise pour ratifier un traité. Par ailleurs, la rhétorique politique et religieuse de l’Iran rendait impossible une transaction officielle avec le « Grand Satan. »
4 – On se cantonne ici au cas de la bombe « A »
5 – Agence internationale pour l’Énergie Atomique, chargée de l’inspection des programmes des pays membres du Traité de Non Prolifération
6 – Le traité prévoyait des relations directes entre les Iraniens et les fonctionnaires de l’AIEA. C’est ainsi que les États-Unis se sont eux-mêmes exclus de cette négociation pourtant essentielle pour la fiabilité des inspections.
7 – Des restrictions ont été introduites par la suite dans la résolution 2231 de l’ONU, mais l’Iran a immédiatement déclaré qu’il ne les suivrait pas et que cela ne mettait pas en cause le JCPOA.
8 – L’Iran possède déjà deux familles de missiles, Ghadr-F et Sejil, qui ont la même portée de 2.000 kilomètres
11 – Installation nucléaire clandestine, profondément enterrée, découverte en 2009 par les renseignements américains. Aux termes de l’accord, elle deviendrait un centre de recherche. Étrangement, depuis 2015, l’Iran protège Fordow par un dispositif anti-aérien russe S300, l’un des plus avancés au monde, que l’on réserve aux sites les plus stratégiques d’un pays.
12 – Voir Germany Weighs New Sanctions Against Iran, Reuters, 20 janvier 2018 http://www.jpost.com/Middle-East/Report-Germany-weighs-new-sanctions-against-Iran-539259
13 – « En ce qui concerne l’entrainement et l’équipement des forces de défense du pays, il faut porter une attention particulière à la foi et à l’idéologie, comme critères de base. En conséquence, l’Armée de la République islamique d’Iran et le Corps des Gardes de la Révolution islamique doivent être organisés conformément à cet objectif, et ils seront responsables, non seulement de la garde et de la préservation des frontières du pays, mais aussi de l’exécution de la mission idéologique du jihad sur la voie de Dieu, c’est-à-dire de l’expansion de la souveraineté de la Loi de Dieu à travers le monde (en accord avec le verset du Coran)  » Et préparez [pour lutter] contre eux tout ce que vous pouvez comme force et comme cavalerie équipée, afin d’effrayer l’ennemi d’Allah et le vôtre, et d’autres encore que vous ne connaissez pas en dehors de ceux-ci, mais qu’Allah connaît. » [8:60] » Voir le Préambule de la constitution iranienne au paragraphe « Une armée idéologique » http://www.servat.unibe.ch/icl/ir00000_.html
Jean-Pierre Bensimon
le 22 janvier 2018

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Jg

La suite est joyeuse merci hussein obama , toujours venere par la vieille europe ! Si Trump echoue , nous allons nous retrouver au bord du gouffre .Heureusement , nous pouvons compter sur les dalladier et chamberllain du moment !….