Qui suis-je ? Qui sommes-nous ? Ou, pour reprendre le terme qui sert ici de titre, quelle est notre identité, personnelle, collective, juive, israélienne, humaine ?

Questions multiples pourtant issues d’une question fondamentale. Avons-nous une ou plusieurs identités, comme les porteurs de plusieurs passeports, selon les âges et époques de notre vie, nos changements de domicile ou de profession, nos groupes d’appartenance, notre histoire et les péripéties de notre parcours de vie ?

Question qui parait théorique mais qui ne cesse de hanter l’humanité depuis le jour où Adam se leva et ouvrit les yeux sur la steppe désolée dont le Créateur avait façonné son corps.

Premier moment bouleversant de l’histoire de l’humanité, première question encore informulée, restée sans réponse : Je suis, j’existe, mais qui suis-je ?

Rachi, dans son commentaire des mots : “et la terre était tohou –bohou” le dit bien : “l’homme s’étonne du vide et de la désolation de la terre”. Et Rachi traduit en français le mot “tohou” : estourdissant. Comme le dira Pascal, devant le vide de l’espace infini, l’homme est pris de vertige.

A la différence de l’animal qui est naturellement inséré dans son environnement, l’homme est une question pour lui-même.

D’emblée, la Torah nous confronte à cette question dans la façon même selon laquelle nous est racontée la création d’Adam.

A la différence de toutes les autres étapes du processus créateur, Dieu ne dit pas : que soit Adam ! Mais : Faisons, ou : Nous allons faire Adam.

Le pluriel, dit Rachi, risque d’induire les incroyants à affirmer que Dieu avait des associés. Risque à courir en raison de la particularité de l’humain.

En effet, si l’on pense, comme l’enseignent les Sages, que l’homme a été créé à  la ressemblance du Créateur, donc comme doué de liberté, ce “faisons Adam” peut s’entendre comme un appel adressé à l’homme qui s’interroge sur le sens de sa présence ici-bas à devenir Adam, autrement dit à construire son identité “en marchant” , en allant à la rencontre de soi.

N’est-ce pas le sens de l’appel qu’entendit Avram en Our Kasdim : לך לך, vas- vers toi, deviens celui que tu es appelé à être, le porteur et le porte- parole de la question divine adressée à chacun.

Un seul l’entendit et il devint Abraham, père de multiples nations.

Il y a là matière à réflexion. L’identité du rocher, de l’arbre, du fruit, de l’animal, est donnée a priori. La graine porte en elle la promesse d’un arbre bien défini.

Par contre la semence humaine, définie par l’ADN, peut bien déterminer les caractéristiques génétiques, la couleur des yeux, des cheveux, les traits du visage, mais en aucun cas le tour que prendra cette existence unique, les choix qu’elle assumera au fil des jours et son engagement pour le bien ou pour le mal.

Comme le dit le Talmud (Nida 30b ) , l’Ange qui accueille le nouveau-né lui dit :  tu auras telle ou telle taille, telle ou telle apparence, mais c’est à toi de choisir si tu veux être un juste ou un méchant.

Certes, la Halacha enseigne que l’on nait juif et ainsi porteur d’une longue histoire, mais il y a mille façons d’être juif même à l’intérieur du cadre le plus strict de la Tradition.

Chaque Juif réécrit à nouveau l’histoire du peuple juif. C’est ainsi que l’on peut comprendre l’obligation imposée à chaque Juif d’écrire le Livre de la Torah et d’y lire le récit de sa propre vie.

Rabbi Akiva n’est pas identique à Moïse, au point que celui-ci ne comprend pas l’enseignement de son commentateur, comme le raconte le traité Mena’hot.

Un Juif lithuanien, descendant du Gaon de Vilna et de ses disciples, n’est pas identique à un Juif ‘hassidique fidèle à l’enseignement du Baal Chem Tov, ou à un Juif sépharade nourri de la tradition cabbalistique.

Le Talmud enseigne qu’un Juif qui  renie ou ignore la tradition ne cesse pas d’être juif pour autant.

On peut alors se demander quel est le lien mystérieux qui fait que des êtres si dissemblables et même souvent opposés les uns aux autres peuvent être porteurs d’une même identité.

Cela tient du prodige: comment un peuple uni dans la persécution –car la haine antisémite ne fait pas de distinction entre un Juif et un autre, pour les antisémites, tous les Juifs sont Rotschild ou Soros –et dans le devoir de solidarité –kol Israël arévim zé-lazé-peut –il s’exprimer dans une telle diversité ?

Ce prodige n’est autre quel’équation mystérieuse résolue par le Créateur dès l’énoncé de Son projet: « Faisons l’homme à Notre ressemblance ».

Le pluriel est celui de la diversité et le verbe au singulier : «  et Il créa… », rapporte cette diversité à un Créateur unique qui veut l’unité dans la différence et la différence dans l’unité.

Le paradoxe de l’identité juive une et multiple serait-il  alors celui de l’identité humaine tout court, identité en marche dans l’histoire ?

 Question à suivre…

Rav Daniel Epstein

Docteur en philosophie, écrivain, Professeur à l’Institut Psychanalytique de Tel-Aviv, Professeur au Collège Matan de Jérusalem.

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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Aaron le Rachid

C’est une explication, et heureusement il y en a d’autres, toutes aussi probables qu’il faut émettre.
Ainsi, à leur découverte, le lecteur peut faire le tri (en fonction de ses connaissances) entre le possible et le probable, et choisir ce qui serait le plus probable à ses yeux.
La bénédiction prononcée à la descente de la lecture : … noten haTorah-donne (au présent) la Torah, nous démontre que chaque jour ce texte peut nous dévoiler un sens supplémentaire, et qu’il faut le travailler