Le résultat des municipales du Liban-Sud (de loin en faveur du tandem Hezbollah-Amal, comme l’a souligné hier le président de la Chambre dans un communiqué), paraît insignifiant face à la dynamique de contestation engendrée cette année par cette échéance…


Le scrutin aura été marqué par la fréquence inédite de candidats indépendants face aux listes conjointes Amal-Hezbollah dans plusieurs villes et villages du mohafazat (mais aussi face au Parti communiste libanais à Kfarsir, par exemple), y compris dans la ville de Nabatiyé, dans le Arqoub, à Marjeyoun et à Zahrani (chefs-lieux du Hezbollah, où aucune percée n’a de toute évidence été enregistrée).
Ces indépendants – en grande partie issus de mouvances de gauche, se démarquant souvent du Parti communiste, en dépit de convergences d’intérêts électoraux – ont décidé de mener leur bataille jusqu’au bout, avec plus de ténacité que lors des précédentes années, « face au monopole politique du tandem chiite sur les municipalités ».

Nombreux sont ceux qui auraient ainsi résisté aux pressions morales (accusations de « trahir l’axe de la moumanaa »), aux tentations financières (promesse d’un marché ou d’une coopération de travail lucratif avec le prochain conseil municipal), voire parfois aux intimidations par la violence (menaces d’agressions physiques – comme cela avait été relevé lors des municipales en banlieue sud).
Leur bataille est une première tentative de briser la mainmise des forces de facto.
Facilitées par le mécontentement grandissant de la base chiite partisane, les candidatures indépendantes révèlent une prise de conscience des abus de ce monopole.

Une peur semble avoir été dépassée, un tabou brisé, de manière à reconnaître, sinon dénoncer, « la corruption » de nombreuses municipalités devenues les supports « politiques » des pratiques hégémoniques des deux partis. L’absence d’une reddition de comptes, y compris par les cadres du Hezbollah ou d’Amal dont répondent les responsables municipaux, expliquerait l’existence de candidatures isolées de partisans face aux listes communes du tandem. À cela s’ajoute enfin un autre constat, relaté par des habitants : le slogan de la « résistance contre Israël » et de la protection des frontières face aux fondamentalistes « n’est plus porteur ».
Si les candidatures indépendantes ébauchent un éveil citoyen, la portée de cet éveil est plus large que les groupes qui affichent leur indépendance. Elle inclurait une partie (encore silencieuse) de la base chiite sympathisante du Hezbollah et du mouvement Amal.
L’un des signes de ce mécontentement pourrait être le recul du taux d’affluence par rapport à 2010, même si ce taux aura suffi à plébisciter le tandem (49 % à Tyr et à Nabatiyeh).
Un autre signal du mécontentement populaire serait « la mobilisation sans précédent » des scrutateurs des listes conjointes Hezbollah-Amal, surtout lors du décompte des votes.
Une observation similaire avait pu être faite à Baalbeck-Hermel. Enfin, les panachages au sein de listes chapeautées par le tandem trahiraient une crise de confiance entre ces deux factions.
 
À Tyr, des élections « falsifiées »

La ville de Tyr semble symptomatique du phénomène d’émergence des indépendants, et des tentatives des partis forts de les circonscrire.
L’ancien ambassadeur Khalil el-Khalil, fervent opposant à Amal et au Hezbollah, se dit certain que le taux d’affluence dans le chef-lieu du caza de Tyr (30 000 inscrits) a été falsifié lors du dépouillement des votes.

L’hypothèse de la falsification est renforcée par des « violations flagrantes » ayant vicié l’opération de décompte : les observateurs de candidats indépendants auraient été « expulsés » de certains bureaux de vote après leur fermeture.
Les urnes d’au moins quatre des cinquante-deux bureaux de votes de la ville de Tyr auraient ensuite été « transportées » vers 21 heures par des convois du mouvement Amal, « escortés par des Forces de sécurité intérieure », vers l’école publique des filles située dans le quartier al-Chawakir, rapporte M. el-Khalil.
Des altercations entre les scrutateurs partisans et les indépendants lors du décompte ont également été rapportées dans d’autres villages du caza de Tyr, comme Kleila, Mdeylé, Joaya et Souifa.
En 2010, le seul candidat indépendant en lice face à la liste partisane chiite avait été contraint au retrait suite à la falsification de son dossier judiciaire (une contravention qu’il avait commise avait été mutée en délit, avec la complicité d’un juge qui a été ultérieurement démis de ses fonctions). Cette année, une liste d’indépendants soutenus par M. el-Khalil était formée de « jeunes, mus par une volonté de changement ».

Même s’il leur manquait « l’envergure sociale » pour percer la liste rivale, leur mérite est d’avoir résisté aux « énormes menaces physiques et morales, touchant jusqu’à leur emploi ». Parce que dans une ville comme Tyr « l’ambiance électorale est en soi falsifiée », relève M. el-Khalil, qui décrit l’étau qui se resserre sur les habitants (des versements d’amende de 300 000 à 500 000 livres libanaises sont imposés à ceux qui font l’objet d’une information judiciaire anonyme déposée par des mouchards ; d’autres sont convoqués arbitrairement par les services secrets de l’armée, de connivence avec le mouvement Amal…).
 
Le regain de vitalité du PCL, mais…

Même les milieux favorables au binôme Hezbollah-Amal reconnaissent les signes d’un mécontentement populaire.

Ils tendent toutefois à l’attribuer strictement au Parti communiste libanais (PCL), ayant préservé au fil des années une autonomie variable à l’égard du Hezbollah et de Amal. Le parti aurait décidé cette année de refuser tout consensus avec ce tandem.
« Notre consigne de vote est claire : combattre les listes du pouvoir, en l’occurrence les listes du Hezbollah et d’Amal », affirme à L’OLJ le responsable de la régionale de Nabatiyé au sein du PCL, Jamal Badran. Il confie que cette « nouvelle stratégie » sera mise en application à l’échelle nationale : « Nous comptons plaider pour la proportionnelle, à l’heure où les partis au pouvoir, y compris le Hezbollah (officiellement pour ce mode de scrutin, NDLR), feront tout pour nous ramener à la loi de 1960, les municipales ayant révélé leur baisse de popularité ».
Dans un communiqué publié hier, le PCL a dit avoir « réalisé des résultats remarquables dans le Sud et à Nabatiyeh » : les listes soutenues par le PCL ont marqué six percées à Srifa, quatre à Adloun et Ansarié, trois à Kfarremane (le candidat du PCL ayant recueilli le plus grand nombre de votes), deux à Taybé (par Machhour Nahlé et Ahmad Marmar, ayant percé la liste rivale en 2010), une percée à Ansar, Zrarié, Deir al-Zahrani, Deir Seryane, Safad Battikh, Kfarhamam (par un partisan du PCL), et Tfahta.

Le PCL a déclaré enfin la victoire des listes qu’il a soutenues à Aïn Baal, Habariyé (face à la Jamaa islamiya), Rachaya Fakhar (face au PSNS et au CPL) et Kfarchouba.
Ces résultats méritent néanmoins d’être nuancés : à quelques exceptions près, dont Kfarremane (point de survie d’un PCL organisé et influent), les percées marquées dans les autres villages reviendraient surtout aux familles, aussi bien à Tyr qu’à Nabatiyé ou Hasbaya, selon plusieurs analyses concordantes.
En outre, à Deir Zahrani, la liste du Parti communiste présidée par Jamal Badran n’a pu marquer de percée, en dépit de résultats serrés (le dépouillement d’un bureau de vote s’est poursuivi jusqu’à lundi à l’aube – ce qui serait une manœuvre récurrente du Hezbollah pour garantir une victoire aisée). Mais la percée rapportée par le PCL a été marquée par un indépendant, Mohammad Traboulsi, soutenu par la liste (incomplète) de M. Badran.
Ces observations révèlent l’opportunité, pour le PCL, de s’appuyer sur le mécontentement populaire qui couve pour marquer des points face au Hezbollah.
La conclusion en est la suivante : ce qui dérange le tandem chiite fort est moins la montée en force de listes soutenues par le PCL, que la dynamique indépendante à laquelle le parti rouge a décidé cette année de se rallier. Le Hezbollah y répond en réaffirmant la pertinence de sa méthode.

« Pourquoi nous reproche-t-on notre taklif charii ? » (ordre à caractère religieux), s’est interrogé hier le ministre Hussein Hajj Hassan lors d’une cérémonie à Baalbeck, occultant ainsi des mutations citoyennes de plus en plus perceptibles…

OLJ

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