L’histoire de ma vie ne présente aucun caractère d’exemplarité particulière, sinon qu’elle est représentative d’une grande mutation d’identité qui s’est produite au sein du peuple juif.

Je suis né dans une famille de rabbins et mon grand-père était un rabbin algérien. Je me suis toujours senti à l’aise dans le monde d’identité juive dans lequel il vivait et où j’ai vécu, enfant. Ce monde, qui représente l’une des modalités d’existence juive dans la diaspora depuis 2 000 ans, était très complexe. Le Juif, durant ces 2 000 ans, a toujours été l’homme d’une identité mixte, d’origine hébraïque, mais très étroitement greffé en symbiose sur le paysage culturel du pays où ses voyages l’avaient mené.

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En Algérie, il y avait cependant une nuance particulière du fait que différentes cultures s’étaient mêlées sur cette terre. On pourrait formuler ainsi ce type très particulier de culture juive : nous priions en hébreu et, à travers l’hébreu des prières, nous étions rattachés à tout le passé hébraïque, biblique ; notre affectivité se partageait entre la mélodie arabe et le folklore espagnol et notre langue de culture était le français. C’était là un ensemble culturel très précis, peut-être pas suffisamment étudié, un type de culture marginale qui aurait pu, si l’Histoire lui en avait donné la possibilité, fonder une civilisation pour elle-même.
Mon grand-père rêvait au monde de mon petit-fils, mais il y rêvait de manière traditionnelle, classique, orthodoxe, à la manière dont un rabbin de la diaspora cohérent avec sa tradition et ses croyances rêvait à la restauration de l’identité hébraïque.
Toute la vie liturgique du calendrier – les commémorations, les prières – était tournée vers l’espérance du retour à Sion. Le seul fait que la référence aux réalités profondes de l’hébraïsme subsistait était essentiel.
La famille de ma mère descend de la lignée des Juifs d’Espagne. Celle de mon père, installée en Algérie depuis plusieurs siècles, descend de Juifs polonais.  Or, mon père est devenu l’élève de mon grand-père et plus tard son gendre, et c’est ainsi que, très jeune, j’ai connu deux équations culturelles : les Juifs d’Algérie qui vivaient à la manière proprement algérienne et judéo-arabe – et les Juifs de style européen. Je n’ai pas connu mon grand-père paternel, mais j’ai connu mon grand-père maternel qui était encore habillé « à la turque », c’est-à-dire comme l’étaient les Juifs turcs – les Arabes d’Algérie interdisant aux Juifs, avant l’arrivée des Français, de porter un habit de style arabe. Je dois dire que, du point de vue de l’esthétique, nous gagnions au change.


J’ai été l’élève de mon père et de mon grand-père et aussi l’élève des élèves de mon père au Talmud Thora et à la Yéchiva Etz ‘Hayim. Le Talmud Thora, c’était uniquement l’école religieuse et, faute d’établissement scolaire juif, nous allions à l’école française. J’ai ainsi acquis la culture française par la voie la plus classique, au lycée, puis plus tard, à l’université. C’était à Oran, puis à Alger et en fin de compte à Paris.
Un des souvenirs les plus vivaces qui accompagne ma mémoire est le caractère mythique de toute forme de judaïsme autre qu’algérien.
En Algérie, au temps de ma jeunesse, il y avait entre 120 000 et 130 000 Juifs. Pour nous, c’était le peuple juif. On avait entendu dire qu’il existait, dans d’autres pays et sur d’autres continents, des Juifs en très grand nombre, mais ils nous apparaissaient un peu mythiques : ils n’étaient pas de l’équation très particulière que nous avions reçue, algérienne de culture française.
Pour nous, enfants, l’idée qu’un Juif puisse être de culture allemande ou autre nous apparaissait irréelle. Et c’est le choc des événements de la Guerre mondiale qui nous a fait découvrir le caractère historique du peuple juif, comme tel. J’ai compris qu’une autre dimension de la condition juive dans la Diaspora était une condition humaine de résistance qui ne pouvait subsister sans héroïsme, ce qui amenait bon nombre d’entre nous à ne concevoir leur identité juive que sous une forme militante.
Dans mon cas particulier, cette conception a été favorisée par le fait que j’ai très rapidement fait partie des E.I.F. – les Éclaireurs israélites de France – au moment historique où ce  mouvement est entré dans la Résistance contre les Allemands.
Nous vivions en minorité ethnico-religieuse, dans des quartiers particuliers. On ne trouvait pas en Algérie de quartiers séparés comme c’était le cas au Maroc, en Tunisie ou dans d’autres pays, mais on savait très bien si telle maison, telle rue faisaient partie du quartier juif ou non.
À Oran, la ville où j’ai vécu, la majorité des Juifs habitaient dans un quartier particulier, mais toute une frange de la population juive résidait dans les quartiers européens – nous les considérions déjà comme des Juifs assimilés, sans très bien connaître encore la signification du mot.

Assimilés parce que très imprégnés de culture française – mais aussi par le fait que c’étaient des familles qui pratiquaient de moins en moins la vie juive. Nous ne comprenions pas toujours que cet abandon des pratiques religieuses signifiait le plus souvent l’abandon de l’identité juive, tant ces deux choses étaient mêlées.
Il faut insister sur le fait que notre appartenance à la nation française ne faisait pas l’ombre d’un doute. Probablement parce que c’était la première fois depuis des siècles que des Juifs de ces régions avaient reçu une citoyenneté. Et l’accès à l’égalité des droits nous inspirait une reconnaissance envers la nation qui nous avait acceptés, au point de nous considérer nous-mêmes pour ce que nous n’étions pas – des membres de la nation.
Je m’en suis aperçu à l’armée. Pour nous, il était évident qu’il y avait des Français de différentes catégories religieuses. Nous ne voulions pas réfléchir au fait que notre spécificité religieuse était en réalité une spécificité nationale. Il s’agissait de la religion d’une nation particulière, bien définie, qui ne pouvait être acquise par un membre d’une autre nation que s’il changeait d’abord de nation. N’importe quel homme peut devenir Juif, mais, par là-même, il entre dans la nation juive.
Et l’antisémitisme des Pieds-Noirs – ces Français d’Europe – ne faisait que renforcer ce sentiment d’identité nationale. En fait, nous avions très peu de rapports avec la population chrétienne, sinon à l’école et quelques relations personnelles. L’antisémitisme des Arabes ne portait pas sur une dimension politique. Il était d’emblée l’antisémitisme religieux de l’Islam.
De par sa richesse et sa complexité, la vie juive étaient très vulnérable et, par conséquent, impossible à transmettre hors de conditions très particulières. On sentait déjà une asymétrie dans le poids spécifique de la culture française par rapport à cette culture judéo-arabe.
 

La deuxième partie de ma vie – après la guerre – s’est déroulée en France où j’ai découvert l’immense complexité sociologique du peuple juif et de son histoire, en rencontrant – moi qui suis d’origine séfarade – le judaïsme achkénaze.
Immédiatement après la guerre, je suis revenu en France et commença alors une deuxième étape de ma vie.
Encore à l’Armée, sur le front d’Alsace, j’avais reçu, comme tous les chefs des Éclaireurs israélites, une circulaire de Robert Gamzon (dont le « totem » scout était Castor), fondateur du mouvement, parlant de ses projets d’avenir pour la reconstitution de la communauté juive en France après la victoire.

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En France même, l’immense majorité des dirigeants communautaires avaient été massacrés par les nazis et Robert Gamzon, reprenant un projet conçu, dans ses grandes lignes, par Gilbert Bloch, ancien polytechnicien tué par les Allemands en 1944 lors d’une action de Résistance, prévoyait la création d’une école de cadres pour reconstituer la structure de la communauté.
Castor nous demandait de consacrer un an de notre vie, avant de commencer nos études, à nous regrouper pour étudier ensemble les sources du judaïsme et comprendre ce qui nous était arrivé.  Il souhaitait également que nous devenions les cadres militants de la reconstitution de la communauté en France.
Je me souviens encore de cette soirée où je reçus sa lettre alors que j’étais encore sous la tente pendant le terrible hiver 1944 en Alsace, quelque temps avant le passage du Rhin. J’ai immédiatement répondu que j’étais prêt à rejoindre ce groupe, ce que j’ai fait d’ailleurs après la guérison de mes blessures.
À cette époque, nous découvrions le fait sioniste et tout ce qui se préparait, mais l’objectif était surtout d’établir un lien avec la réalité d’Erets Israël et de reconstituer la communauté juive francophone.
Le mouvement sioniste politique ne « prenait » pas vraiment en Algérie parce que
les Juifs algériens se considéraient comme des Juifs français. Ils étaient donc à peu près dans la même situation que les Juifs de France


Immédiatement après la guerre, j’ai donc retrouvé le mouvement des Éclaireurs regroupé à l’École d’Orsay. C’est là que j’ai connu l’un des maîtres qui ont le plus marqué ma formation : Jacob Gordin. Juif russe, il avait d’abord fui la Russie pour se rendre en Allemagne avant de s’installer en France en 1933. L’une des raisons qui m’ont poussé à rejoindre le groupe de Castor, c’était justement que je souhaitais devenir l’élève de Jacob Gordin qui représentait pour moi le type même d’une synthèse culturelle de très haut niveau entre la culture juive traditionnelle et la culture européenne. Jacob Gordin était un grand talmudiste, qabbaliste, philosophe qui nous avait fait découvrir la possibilité d’une relation entre la pensée générale et la tradition juive, formulée selon les critères de la tradition juive. Je n’ai connu Jacob Gordin que quelques mois. C’était en 1946-47. Il était à l’époque très malade et il est mort peu après, en août 1947. À la demande de Jacob Gordin avant sa disparition, je suis resté à l’École d’Orsay pour enseigner le judaïsme et c’est ainsi que j’ai vécu en France pendant 20 ans. J’ai donc fait partie de toute l’équipe qui s’est attelée à la reconstitution du réseau éducatif juif après la guerre. Cette période a été extrêmement dense : j’ai découvert les autres branches du peuple juif ainsi que l’entité politique du peuple juif hors des catégories religieuses et confessionnelles.
L’École d’Orsay avait été fondée immédiatement après la guerre avec l’objectif de reconstituer les cadres de la communauté. Et c’est là que nous avons redécouvert l’importance et la dimension de la tradition juive dans la culture universelle. Nous vivions en internat. C’était une sorte d’oasis de la vie juive, de haut niveau intellectuel, dans une communauté qui, à l’époque, était vraiment détruite. C’est dans ce milieu qu’apparurent les premiers universitaires et enseignants juifs pratiquants. Ensuite, ils ont essaimé dans toutes les directions.
 
J’ai connu des rescapés de juiveries très différentes : de Pologne, de Russie, de Hongrie, qui, pour moi, représentaient le peuple juif de façon bien plus massive et nouvelle et qu’il fallait organiser. Après la faille dans notre relation à l’identité française, ce fut le deuxième élément qui m’a mené à l’identité israélienne. Il y avait là une dimension d’identité beaucoup plus solide, plus concrète, plus cohérente que cette espèce d’épiphénomène confessionnel greffé sur une identité nationale – quelque prestigieuse qu’elle fût. Épiphénomène certes, représentant une insertion dans l’identité juive, mais exprimée de façon travestie, traduite, dévitalisée et vouée à se perdre rapidement. Je découvrais le peuple juif en tant qu’entité politique alors qu’en Algérie, nous étions des Français de religion juive.
La réalité israélienne, c’était la sortie de la clandestinité et la recherche de l’identité politique juive. C’est là que j’ai commencé à comprendre que ce qui unit tous les Juifs du monde, ce n’est pas l’appartenance religieuse d’abord mais l’appartenance nationale.
L’appartenance religieuse est nettement identifiée, mais à une échelle collective. L’enseignement de Monsieur Gordin m’a révélé ce que je savais de façon innée – des évidences qui n’avaient pas à être élucidées : La dimension religieuse juive est d’abord collective et non individuelle et c’est là que j’ai compris que la religion juive est la tradition d’un peuple et pas du tout une confession où l’on met en commun des croyances perçues individuellement. Autrement dit, le mot « communauté », que nous employons en français pour traduire notre mot qéhila, est faux. Nous étions une identité nationale qui avait sa propre religion et non pas une communauté religieuse comme par exemple les paroisses protestantes d’après la Révolution. Ma préoccupation à cette période était de m’atteler à constituer une équipe d’intellectuels juifs qui pourraient travailler à formuler ce que Monsieur Gordin m’avait fait connaître, à savoir la possibilité d’un discours explicitant la tradition juive au niveau universitaire, en style occidental, ce qui n’existait pratiquement pas jusqu’alors. Je ne me sentais pas du tout la vocation de rabbin de communauté. Il me semblait artificiel d’être fonctionnaire du culte, quoique, de façon atavique, l’identité rabbinique était présente en moi. Je voulais faire des études philosophiques pour pouvoir exprimer la tradition juive en connaissant le vocabulaire et les termes de l’Occident. Je ne me suis jamais considéré comme un universitaire, mais comme un rabbin enseignant la tradition juive pour universitaires et, pour cela, il fallait connaître la philosophie générale. Mais j’ai dû arrêter très rapidement mes études de philosophie parce que, à la demande de Jacob Gordin, dès la deuxième année de l’École d’Orsay, je me suis consacré à l’enseignement du judaïsme.
 

La troisième partie de ma vie se passe en Israël, en tant qu’Israélien. C’est donc, dans un style particulier, un exemple de la mutation d’identité qui transforme, de notre temps, le peuple juif en nation hébraïque ou plus exactement, qui transforme un Juif en Israélien.
En 1954-55, j’avais commencé à organiser des voyages en Israël pour les élèves de l’École d’Orsay, puis pour les cercles universitaires et c’est ainsi que je me suis rendu pour la première fois en Israël.
Le choc a été énorme : premièrement, je suis chez moi ; deuxièmement, le judaïsme a ressuscité. Nous redevenons les Hébreux.
En découvrant la réalité israélienne, j’ai découvert une tout autre dimension de ce qu’était notre propre travail. Cela n’avait aucun sens de penser ce qu’était la résurrection de l’identité juive en une autre langue que l’hébreu. Il y avait quelque chose qui ne pouvait être retrouvé que dans une mentalité proprement hébraïque. On pouvait travailler en d’autres langues pour les Juifs de la diaspora, mais en Israël, c’était l’hébreu.
Nous parlions hébreu, mais c’était l’hébreu de l’Antiquité. Et alors, nous avons découvert l’insertion dans la réalité contemporaine de ce qui était pour nous une tradition millénaire. Cette tradition, tout au long de l’exil, avait fini par être formulée sur un mode messianique sublimé. Subitement, nous découvrions qu’en Israël un travail s’effectuait dans la réalité historique. Il a fallu un certain temps pour que la prise de conscience de cette évolution devienne définitive et irréversible.
Vers la fin des années 50, j’avais l’intention de transmettre à d’autres personnes la mission de poursuivre ce que j’avais commencé et de rejoindre Israël, mais j’en ai été empêché par les événements d’Algérie : mon père m’a demandé mon aide pour le rapatriement de sa communauté en France.
Il s’est avéré que la majorité de la communauté des Juifs algériens a suivi le sort des Pieds-Noirs et est arrivée en France. Le besoin de cadres s’est alors fait plus aigu. Rien n’était planifié : les Juifs se sont répartis dans toute la France selon le contingentement que la France elle-même donnait. Je me suis surtout occupé du réseau éducatif. Mon père n’étant pas en très bonne santé à l’époque, j’ai donc dû attendre quelques années de plus pour faire mon aliyah.
Le deuxième choc déterminant a été la Guerre des Six jours. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de m’arracher à la diaspora et d’aller en Israël. Le monde juif tout entier avait suivi la guerre des Six jours dans une atmosphère d’inquiétude en sentant très réellement qu’Israël était en danger de disparition.
Il y avait aussi le fait que mes enfants grandissaient et je me suis rendu compte que leur intégration dans la réalité israélienne leur serait de plus en plus difficile avec le temps.
J’avais envoyé mes enfants à l’école juive – c’était pour eux une évidence qu’ils faisaient partie d’Israël. Ils étaient ainsi insérés dans l’histoire juive contemporaine, et je n’ai pas voulu leur imposer cette schizophrénie d’identité que nous avions connue. Arrivé en Israël, je me suis aperçu que j’avais encore un devoir vis-à-vis de la communauté francophone, simplement parce que j’en avais les capacités, et c’est pourquoi je retourne de temps en temps en France.
Nous avions conscience, nous qui étions d’une famille privilégiée de rabbins, d’être un cas particulier. À la génération de mes parents, on parlait autant judéo-arabe que français, parfois l’espagnol d’ailleurs, parfois le judéo-espagnol – et lorsque les rabbins se rencontraient chez mes parents, ils parlaient hébreu, mais c’était l’hébreu classique du Moyen-Âge espagnol.
Chez nous, l’atmosphère était très hébraïque, mais nous savions que nous étions un cas très exceptionnel et que d’autres Juifs développaient leur réflexion sur la religion dans un contexte de culture occidentale.
De façon très lucide, nous avions le privilège de nous rattacher à une tradition qui n’était pas forcément connue dans d’autres sociétés humaines. Cette tradition nous enseignait de croire ce qui était resté longtemps un peu mystérieux : tout Juif, même athée, fait partie de l’Alliance. Nous avons compris cela par la suite en voyant la dimension proprement providentielle de l’Histoire juive (qui concerne tous les Juifs même athées). La religion juive, c’est la fidélité à la Révélation prophétique. Nous avons toujours compris cela de haut en bas : c’était Dieu qui avait interpellé, alors que dans la révélation païenne, c’était des hommes qui recherchaient leur dieu. J’ai vite compris qu’il y avait un cas particulier pour les chrétiens et les musulmans, en ce sens qu’ils avaient accepté le Dieu d’Israël, mais avaient refusé les Juifs.
Nous considérions les musulmans comme d’authentiques monothéistes, puisqu’ils n’avaient pas d’image dans leur culte ; nous savions qu’ils faisaient partie d’une autre lignée d’Abraham – alors que nous considérions les chrétiens comme des païens qui ne s’étaient pas encore complètement défaits de leur paganisme.
La découverte du monde musulman est la découverte de quelque chose de cohérent et d’authentique en soi, de naturel. Alors que la découverte du monde chrétien, pour nous, judéo-algériens de tradition, était la découverte de quelque chose d’exotique, de bizarre et d’étrange : des Européens parlant de la Bible et ayant des pratiques qui nous apparaissaient comme païennes. Je n’ai jamais été interpellé par le monde chrétien, car je suis, malgré tout, de culture judéo-islamique.
Je considère la religion musulmane comme étant naturelle : nous sommes en tension avec elle tout en relevant de la même catégorie, tandis que la religiosité chrétienne m’est toujours apparue comme quelque chose d’exotique – et pour une identité juive – absolument artificielle.
Les Achkénazes sont principalement les descendants des exilés du premier Temple qui ne sont pas revenus en Erets Israël à l’époque du deuxième Temple. Par conséquent, leur tradition est essentiellement celle d’une nation juive d’avant le retour d’exil.
Les Séfarades, eux, étaient revenus du premier exil de Babylone et sont les exilés du deuxième Temple. Dès que nous avons entendu parler du drapeau bleu et blanc, de la Hatikva, de l’équipe de football juive, tout cela s’est intégré naturellement dans notre communauté.
J’ai connu en premier lieu mon identité juive comme une identité religieuse. Il n’y a qu’un seul Dieu : Celui qui s’est révélé à Israël.
Nous savions que les chrétiens et les musulmans se réclamaient du Dieu d’Israël. L’identité juive authentique était l’identité biblique, connaissant le monde en tant que création du Créateur qui s’était révélé en tant que Dieu d’Israël.
•    En Israël, il s’agit d’une révélation de Dieu aux hommes et la vocation juive, c’est cette fidélité à la Révélation.
•    Chez les Goyim, il s’agit d’une dimension culturelle, spirituelle, cherchant l’explication du monde, rencontrant l’idée de Dieu et se faisant une religion de telle ou telle conception. Depuis notre enfance, nous étions habitués à la considérer comme païenne.
Chez les Séfarades, les relations avec les autres croyants sont très détendues, très paisibles. Parce que l’autre croyant ne nous a jamais disputé notre vocation de vrai Israël.
Il nous a mis en infériorité politique, mais c’est un autre problème.
C’est tout à fait différent chez les Achkénazes qui peuvent se demander quel est le vrai Israël. L’idée que le christianisme soit le vrai Israël est une véritable angoisse pour un Juif achkénaze alors que c’est un non-sens pour un Juif séfarade des pays d’Islam. Il devenait clair qu’il serait aberrant de ne pas se lier à cette destinée commune du peuple juif, l’espérance qui devenait réalité, et je devais y faire participer les miens. Quant à savoir pourquoi c’est moi qui ai vécu cela plutôt que d’autres Juifs algériens qui ont eu à peu près la même équation existentielle – est-ce de l’ordre de la grâce ? ou de l’ordre du mérite des ancêtres ? Est-ce la chance d’avoir rencontré des maîtres qui m’ont mis sur la bonne voie ? Y a-t-il une vocation personnelle qui me restera toujours mystérieuse ? Par définition, un Juif traditionnel se connaît comme faisant partie d’un reste perpétuel.
J’ai vécu cette transformation comme une histoire personnelle, mais aussi comme un fait exemplaire qui se produisait à l’échelle collective.


  Une grande partie de mon existence, j’ai été Juif de la diaspora et j’ai encore en mémoire la prise de conscience de l’identité juive de diaspora, identité qui continue à exister parallèlement ou autour de la société israélienne. Je sais par expérience qu’un Juif de diaspora comprend difficilement la réaction de conscience de l’Israélien concernant le fait que les quatre cinquièmes du peuple juif ne semblent pas touchés par cette mutation d’identité. Il est indéniable qu’il existe une solidarité – non pas de destin, terme étranger à la tradition juive – mais de destinée historique, commune à l’ensemble du peuple juif. Et c’est pourquoi, il m’a semblé nécessaire d’exprimer, en français, pour le public français, cette réaction de conscience de l’Israélien contemporain.
OPC MA

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