Les mangas ou l’autre antisémitisme codé

Antisémitisme : pourquoi les « dragons célestes » de « One Piece » sont récupérés pour désigner les Juifs ?

Pour vomir leur antisémitisme en échappant aux règles de modérations sur les forums et réseaux sociaux, des internautes utilisent des références au célèbre manga d’Eiichirō Oda, « One Piece ». La figure des « dragons célestes », personnages gavés de privilèges et immensément riches dans la fiction, désigne ainsi les Juifs dans leur langage codé.

La haine des juifs se réinvente… encore. Depuis quelques semaines sur les réseaux sociaux, des messages à première vue énigmatiques fleurissent. « J’en peux plus, Zidane en France, il est aussi intouchable que les dragons célestes », « Mais ils sont trop puissants les dragons célestes, c’est une singerie » ou encore « C’est atroce… Maintenant, je n’arrive pas à dissocier les dragons célestes à cette communauté dont le nom commence par J », peut-on par exemple lire sur Twitter, en seulement quelques clics.

Mais que viennent faire ces « dragons célestes », personnages du célèbre manga « One Piece », dans toutes ces publications ? Dans l’histoire créée par Eiichirō Oda, qui suit les aventures du jeune Monkey D. Luffy dans sa quête pour devenir le roi des pirates, ils occupent une place immuable et intouchable, constituant la haute noblesse de la société. Descendants et héritiers des fondateurs du « gouvernement mondial », ils sont gavés de privilèges et immensément riches. Tout cela suffit à certains internautes pour reprendre l’appellation comme un code afin de désigner les juifs sur les réseaux sociaux, et laisser libre cours à leur antisémitisme en contournant les règles de modération et les signalements.

LE MANGA, LUI-MÊME ANTISÉMITE ?

Dans les pays occidentaux, les premières occurrences de ces insultes à peine camouflées remontent à une dizaine d’années, sur les forums spécialisés de « jeuxvidéo.com ». Mais au Japon aussi, certains lecteurs ont développé une interprétation similaire des « dragons célestes », notamment sur YouTube. « Des vidéastes les ont par exemple déjà comparé à la famille Rothschild. Mais pour le coup, davantage dans l’idée d’illustrer un pouvoir familial sur le temps long », se souvient Pierre-William Fregonese, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Kobe (Japon) et spécialiste de la pop culture. L’universitaire ajoute : « S’il est moins prononcé qu’en Europe, il y a de nouveau un climat antisémite dans l’Archipel depuis les années 1980-1990, parfois doublé d’une tendance au complotisme. »

Reste une question : le manga cache-t-il vraiment un sous-texte antisémite ? « Difficile à dire. Déjà parce que les mangakas (auteur de mangas, N.D.L.R.) ne sont pas des historiens et qu’ils cultivent parfois l’ambiguïté », répond le chercheur, soulignant toutefois que, malgré son « message contre l’esclavage », « One Piece » a déjà été accusé de « véhiculer des stéréotypes racistes » par le passé.

Adaptée à l’écran en plus de 1 000 épisodes à ce jour, la licence n’est en revanche pas la seule à avoir déjà été ciblée par de telles accusations. « Cela a aussi été le cas avec « L’Attaque des Titans », qui joue avec les rhétoriques et esthétiques fascistes sans forcément les maîtriser. L’auteur, Hajime Isayama, a ainsi été qualifié d’antisémite par certains lecteurs, qui ont tracé un parallèle entre le traitement des Eldiens (un groupe ethnique de personnages très présents dans l’histoire, N.D.L.R.) et l’holocauste », développe Pierre-William Fregonese, indiquant par ailleurs que le « gouvernement mondial » tel qu’il est dépeint dans « One Piece » a toujours été « un trope présent dans l’univers manga ».

Mariane