Accueil International Le vieil Oncle Joe, dernier recours de la classe dirigeante?

Le vieil Oncle Joe, dernier recours de la classe dirigeante?

1254

Yes He can!

« Avec l’élection de Biden, la classe dirigeante américaine retrouve sa possession »

Entretien

Propos recueillis par 

Publié le 

Renaud Beauchard, juriste et essayiste franco-américain, estime que l’élection de Joe Biden ne présage rien de bon pour l’avenir du Parti démocrate et notamment pour son aile gauche symbolisée par Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez.

Marianne : Comment jugez-vous la campagne de Biden ?

Renaud Beauchard :Sur un plan cynique, elle a réussi au-delà de toute espérance. Si nous faisons un retour en arrière de quelques mois, Biden était un objet d’embarras. Arrivé quatrième dans le caucus de l’Iowa et cinquième dans la primaire du New Hampshire, il était dépeint comme une sorte de Strauss-Kahn gâteux, un vieil oncle libidineux aux mains baladeuses avec un fétichisme pour les cheveux. Apparatchik corrompu, vieux gaffeur invétéré, il en était à sa troisième candidature à l’élection présidentielle, la première ayant été prématurément interrompue après la révélation du plagiat en intégralité d’un discours du leader travailliste britannique Neil Kinnock. Pourtant, c’est cet homme qui franchit en vainqueur la ligne d’arrivée et est aujourd’hui présenté comme un phœnix, comme Oncle Joe, l’incarnation de la décence, qui va panser les plaies de l’Amérique etc.

En fait, la victoire du cadavre Biden, au terme d’une non-campagne, sur le bouffon Trump, est un présage sinistre. Sa victoire dans les primaires après que, fait unique dans l’histoire des primaires démocrates, tous les candidats se sont retirés juste avant le Super Tuesday, à l’exception de Warren, restée dans la course pour affaiblir Sanders, lève toute incertitude sur le fait que les électeurs ne sont qu’une variable d’ajustement dans des choix décidés en amont par les donateurs.

« En comparaison de ce qui vient, il se pourrait que les années Trump ressemblent à une ère de liberté et de tranquillité. »

Et sa victoire dans l’élection générale relève de la politique de la terre brûlée. Après quatre années passées à se comporter comme un gouvernement en exil, la classe dirigeante dépossédée de son bien par l’accident de 2016 retrouve sa possession, sans même avoir à quitter son salon. Mais à quel prix ? Mensonge endémique de médias qui ont abandonné tous standards d’objectivité pour la clarté morale, police de la parole admise par Twitter et Facebook, politisation à outrance de la pandémie du Covid-19, désarmement des garanties de fiabilité des élections par l’instauration du vote par correspondance… En comparaison de ce qui vient, il se pourrait que les années Trump ressemblent à une ère de liberté et de tranquillité.

À quoi pouvons-nous nous attendre avec ce mandat de Biden ? Un prolongement des années Obama ?

C’est en effet comme ça que les choses sont présentées. Mais on oublie un peu vite qu’Obama avait été élu sur une promesse de changer les pratiques à Washington… comme Trump huit ans plus tard.

Avec Biden, nous assistons au contraire à une promesse de restauration des bonnes vieilles pratiques de Washington, ce qui présage d’un profond malentendu entre l’administration Biden et les Américains. Les électeurs qui ont porté Biden, avec une très courte majorité, ont rejeté le style Trump, mais le désir de rupture demeure intact. Ce malentendu était exprimé deux jours après le vote par l’ancien chef de cabinet d’Obama et ancien maire de Chicago Rahm Emanuel, annonçant que sous l’administration Biden, les caissiers d’une grande enseigne promise à disparaître deviendraient des codeurs informatiques.

« Le Parti démocrate a transformé le vote démocrate en une façon de s’auto-décerner un certificat de supériorité morale. »

L’élection de 2020 marque sans doute la dernière fois où le Parti démocrate peut remporter une élection sur le capital emprunté d’une distinction traditionnelle entre les deux partis, le Parti républicain comme parti des affaires et le Parti démocrate comme celui du travail. Aujourd’hui, le Parti démocrate est une organisation entièrement dédiée à la collecte de financements provenant du complexe militaro-industriel, de l’industrie des assurances, de Wall Street et de la Silicon Valley. Ce qui explique qu’au lieu de prôner une politique vraiment redistributive, un anathème pour les donateurs, c’est une chose d’une autre nature que les stratèges démocrates proposent à leurs électeurs.

En concentrant le feu sur les questions intersectionnelles et raciales au détriment des questions économiques, le Parti démocrate et ses relais d’influence ont transformé le vote démocrate en une sorte de façon de s’auto-décerner un certificat de supériorité morale sur ses concitoyens. Exonérant les élites de la recherche du bien commun, le vote démocrate confère l’assurance d’être investi d’un pouvoir de réclamer à ses concitoyens des réparations à la fois symboliques et réelles en soutenant l’expansion sans limite d’une bureaucratie publique et privée tentaculaire chargée de traquer inlassablement tout signe de malpensance par le truchement, entre autres, des départements diversité des universités et des départements des ressources humaines dans les entreprises.

Si des candidats comme Elizabeth Warren ou Bernie Sanders l’avaient emporté, les choses seraient-elles différentes ?

Par rapport à Biden, Warren aurait au moins eu le mérite de pouvoir incarner un espoir de rupture avec le type de capitalisme que les Américains ont rejeté en élisant Obama en 2008 et Trump en 2016. Mais il apparaît assez évident que Warren, si elle avait réussi à convaincre les donateurs du Parti démocrate de se rallier derrière elle, comme Obama y était parvenu en 2008, aurait été un nouvel Obama. Comme lui, elle aurait abandonné sa rhétorique « anti-corporate » dès que les ordres d’en haut seraient tombés.

« Le socialisme de Bernie Sanders a fini par se dissoudre dans l’antifascisme de bas étage »

S’agissant de Sanders, il apparaît évident que son investiture par le Parti démocrate était une impossibilité. En envisageant que les donateurs du parti aient commis l’erreur stratégique de laisser Super Tuesday se dérouler normalement, il n’aurait sans doute jamais obtenu la majorité des délégués nécessaire pour être investi candidat lors de la convention. Dans ce cas les donateurs et les cadres du parti auraient préféré un « dark horse candidate » (candidat qui émerge tardivement – N.D.L.R.), comme Hillary Clinton, Mike Bloomberg, Andrew Cuomo, le cas échéant Warren, quitte à se résigner à perdre en novembre. La façon dont le Parti démocrate a géré le risque d’une victoire de Sanders rappelle la façon dont les services de renseignements ont traité les ascensions de leaders sociodémocrates dans son pré carré d’Amérique latine pendant la guerre froide (Janio Quadros au Brésil en 1964 et Salvador Allende en 1973).

L’analogie est d’autant plus justifiée que, depuis quatre ans, Sanders s’est embourgeoisé, et à mesure que ses équipes se sont gonflées de recrues de la classe professionnelle managériale, son socialisme démocratique a fini par se dissoudre dans l’antifascisme de bas étage et dans la radicalité « woke » (« éveillée ») prodiguée sur les campus. En outre, Sanders a très largement succombé à l’hystérie anti-Trump en soutenant le Russiagate et l’impeachment. Or même un Sanders très largement rentré dans le rang présentait un risque trop important pour les donateurs du parti. Sa seule chance de peser véritablement sur la vie politique américaine, après son succès prometteur de 2016, tenait sans doute dans une candidature indépendante.

Portés notamment par une jeune génération plus radicale, dont Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) est le symbole, les démocrates ont aussi conquis la chambre des représentants. Pouvons-nous nous attendre à un renouvellement intellectuel du Parti démocrate ?

Premièrement, soulignons de nouveau qu’il n’est pas de repositionnement idéologique possible au sein du Parti démocrate sans l’aval des donateurs. De ce point de vue, l’apparition des sanderistas comme AOC en 2018, était un dérapage contrôlé. Cette récupération était rendue d’autant plus facile que le socialisme démocratique de Sanders et des siens est essentiellement de la social-démocratie rooseveltienne réchauffée prônant une réforme de la société de haut en bas par le truchement de grands programmes fédéraux articulés autour de vagues slogans fongibles dans le managérialisme le plus abscons (« Medicare for all », « College for All », « Green New Deal »).

« La veille de l’annonce de la victoire de Joe Biden, AOC appelait à conserver les traces de collaboration au régime de Donald Trump ».

En plus, son marxisme rudimentaire d’importation européenne rend les jeunes socialistes très sensibles au piège de l’antifascisme, une rhétorique très commode pour les donateurs, puisqu’elle détourne la passion révolutionnaire des intérêts économiques pour se concentrer sur les questions raciales et intersectionnelles. En témoigne le tweet d’AOC la veille de l’annonce de la victoire de Joseph Biden appelant, dans des accents maccarthistes à conserver les traces de collaboration au régime de Donald Trump pour les rappeler en temps venu à ceux qui viendraient nier ou minimiser leur collaboration.

La raison de la faiblesse du mouvement rassemblé autour de Bernie Sanders et de son absorption dans les calculs des donateurs du parti, tient à son incapacité à s’enraciner dans une tradition socialiste américaine d’autogouvernement, laquelle a toujours trouvé sa meilleure expression dans la forme du municipalisme.

À cet égard, il est particulièrement intéressant de relire aujourd’hui la critique au vitriol de Murray Bookchin, datée de 1986, de la gestion par Sanders de la ville de Burlington dans le Vermont (Le paradoxe Sanders, Quand le socialisme vieillit). Le grand penseur du municipalisme libertaire y accusait Sanders, en bon centralisateur, d’avoir détruit la tradition de démocratie locale du Vermont en livrant l’économie locale aux forces centralisatrices d’IBM et de General Electric. Il attribuait cette capitulation, entre autres, à son carriérisme et à sa croyance indéfectible dans un socialisme superficiellement productiviste articulé autour de la croyance dans l’Évangile de la croissance, de la planification, de l’ordre et du travail-marchandise. En d’autres termes, ce n’est pas en raison d’une prétendue incompatibilité entre l’Amérique et le socialisme que le mouvement socialiste démocratique échoue, mais parce qu’entre son surmoi d’ultra-gauche d’inspiration européenne et son surmoi socialiste américain, il a toujours choisi le premier…

À LIRE AUSSI >>Élections américaines : « Joe Biden ne sera pas le président d’un virage à gauche »

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

1 Commentaire
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Eisenfeld

Effectivement; vu les moyens employes par la gauche et associes , sympathisants du gouvernement mondiale; il semblent croire euxx memes que la chute de Trump ,c’etait in sine quoi non pour leur existance. En fait s’il se confirme l’election de biden ; ce sera gini por le monde libre assez rapidement.

Verified by MonsterInsights