Le Wall Street Journal a publié l’interview passionnante de Anwar Eshki Majedd’ un ancien général Saoudien chargé de façon plus ou moins officielle, d’enquêter sur des solutions stratégiques de rechange  au Moyen-Orient. C’est ce fameux général, qui est apparu aux côtés de l’ancien ambassadeur d’Israël aux Etats-Unis, Dore Gold, lors d’un événement à Washington début Juin, à l’issue d’une longue série de réunions secrètes.


Il peut s’avérer difficile de lire entre les lignes d’une conversation comme celle-ci puisque le général Eshki ne détient plus aucune rôle officiel dans le gouvernement saoudien, et continue d’insister pour que les échanges avec l’Ambassadeur Dor, soient qualifiés d’initiative purement privée. Mais plusieurs points intéressants de la conversation  valent le déballage, et pourraient donner au lecteur attentif au moins une idée de quelles sont les stratégies des Saoudiens connus pour être notoirement cachotiers.


1) Israël, un allié régional.


Il semble clair qu’il ya beaucoup de brassage entre les diplomaties israélo-arabes qui nous laissent entendre que des échangent sont en court, les pourparlers de trêve avec le Hamas en témoignent. L’hypothèse que les deux parties sont à la recherche d’un moyen de limiter la capacité de nuisance des palestiniens et de mettre la question palestinienne en veilleuse de peur qu’elle nuise à cette coopération vitale dont la priorité est de contrer la menace majeure que représente l’Iran. Les Arabes ont besoin d’une certaine discrétion dans leur rapprochement avec Israël dans leur politique contre l’Iran afin de ne pas alimenter la propagande chiite iranienne qui se vanterait d’être le seul vrai pôle de résistance au sionisme et à l’Occident.  Le gouvernement de droite en faveur des implantations dites colonies israéliennes est à la recherche de concessions, qu’il pourrait faire pour satisfaire les Arabes sans perdre la base de son électorat.


On ne sait pas si ce sera un succès car les deux parties ont beaucoup de lignes rouges impossibles à franchir qui pourraient potentiellement les séparer. Mais il y a là le signe fascinant d’un changement majeur au Moyen-Orient – et potentiellement d’une occasion historique; on espère que les Israéliens vont se montrer prêts à agir avec audace et créativité.


2. La Syrie comme orientation stratégique.


Le
général Eshki ne semble pas envisager une action directe contre l’Iran, au moins à ce stade. Au lieu de cela, l’accent est mis sur la Syrie, où Eshki semble avoir deux objectifs à l’esprit. Changer le régime d’Assad sans «changer le système», ce qui suggère que les Saoudiens veulent Assad et bouter les iraniens hors du périmètre sans pour autant démanteler les structures de l’Etat syrien. Dans le cadre du plan visant à réduire l’influence de l’Iran en Syrie, il semble envisager une coopération israélo-arabe et éventuellement sunnite contre le Hezbollah. Cela aurait aussi pour conséquence de permettre au Royaume saoudien de reprendre pied au Liban, et de rétablir la puissance des Arabes sunnites.
Eshki semble dire que la façon d’affronter l’Iran consiste à d’abord attaquer sa puissance régionale.

Mais visiblement il ne mentionne pas l’Irak. Il semble que le général envisagerait d’obtenir une hégémonie sunnite au Levant (Syrie et le Liban) et en échange de ne pas contester le pouvoir chiite en Irak. Ceci est un compromis raisonnable. Si la politique étrangère des Etats-Unis avait des chances de fonctionner dans la région, c’est à peu près à cela que nous devrions viser.


3. Le Yémen; une priorité Arabie.


Le
général Eshki donne une lecture plus optimiste des conséquences de l’intervention saoudienne au Yémen que de nombreux analystes occidentaux. Son argument de base: l’incapacité de l’Iran à livrer des armes et d’autres aides par voie maritime à ses alliés Houthi l’a posé comme un tigre de papier. Si l’idée de l’Arabie est de bouter l’Iran hors du Yémen pour ensuite négocier une sorte de deal entre les entités locales et le Royaume saoudien reconnus (sinon universellement aimé) comme le pouvoir extérieur le plus important, là encore c’est un objectif raisonnable. On ne sait pas si c’est encore réalisable sur le terrain, et si les Saoudiens seront capables de l’abnégation et de la souplesse nécessaire à cette approche, mais il est difficile de penser à une autre solution au Yémen qui serait plus favorable à ce pays.


4. La Russie comme une force positive.


Il y a eu beaucoup de signaux indiquant que les Arabes sunnites, vu la nouvelle froideur et le manque de fiabilité de Washington, de leur point de vue en tout cas, sont à la recherche des moyens qui pourraient ramener la Russie dans l’équation régionale pour équilibrer l’Iran. Et il y a peu à douter que la Russie serait désespérément intéressée à obtenir des contrats de vente d’armes dans le Golfe.


Jusqu’à présent, la Russie s’est alignée avec l’Iran dans la région. Ceci est en partie dû au principe général d’alignement anti-américain et en partie parce que la Russie craint que le djihad sunnite se propage sur ses propres territoires, avec des combattants formés par l’EI et Al-Qaïda revenant radicaliser davantage les musulmans russes, et apportant des armes et des fonds provenant  pour le djihad sunnite dans les provinces musulmanes en Russie. Et en partie aussi parce que beaucoup des chrétiens restants au Moyen-Orient sont orthodoxes et ont des liens profonds (dans certains cas, économiques ainsi qu’ecclésiastiques) avec la Russie. Assad (comme Saddam) malgré tous ses défauts, a protégé les chrétiens de Syrie. Les Russes ont beaucoup de bonnes raisons de vouloir protéger les chrétiens ne serait-ce que pour s’assurer que le gouvernement syrien ne deviendra pas djihadiste.


Si, comme beaucoup le pensent, l’Iran et les USA font tandem, la Russie aura besoin de nouveaux amis. Il y a un grand marché potentiel entre les sunnites et les Russes: se la Russie lâche l’Iran, devient un allié des Arabes du Golfe et retire son soutien à Assad. En échange, les pays du Golfe pourraient accepter de saper l’EI et ses hordes de sauvages hors de la Syrie, d’empêcher le djihad de se répandre sur le Caucase et d’autres pans entiers de la Russie, et d’acheter des tas de trucs russes.


Du point de vue de la Russie, il y a un autre paramètre à prendre en compte ici: les Russes et les Israéliens sont beaucoup plus proches que la plupart des Américains ne se l’imaginent. La grande émigration russe en Israël depuis la chute de l’Union soviétique a contribué à créer de solides liens humains et économiques; Poutine a mené une diplomatie très pro-Israël, même en maintenant des liens avec l’Iran. Vladimir Poutine pourrait bien espérer se voir à jouer un rôle majeur au Moyen-Orient, en ayant de bonnes relations avec à la fois les Arabes et les Israéliens, ce qui pourrait lui permettre d’étendre l’influence russe dans l’une des zones dans lesquelles il ambitionne depuis toujours de prendre pied et pourrait même sensiblement accroître le rôle de la Russie dans le monde.


Cette
initiative peut réserver encore bien des surprises dans la mesure où il y a encore beaucoup d’éléments sur le grill et d’inconnu dans l’équation. La diplomatie russe, en partie du fait de sa position de faiblesse, dépend beaucoup du marchandage et pourrait s’allier au plus offrant. Mais cela ne dérange pas les Saoudiens qui ont suffisamment de doigté pour jouer la carte Russe et, et qui sait ce qui pourrait éventuellement en sortir.


Période des plus intéressantes, en effet.

The american interest

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