Les responsables du Front national n’ont pas manqué de se féliciter après le score historique réalisé par leur parti lors du premier tour des élections régionales, le 6 décembre. Arrivé en tête dans six régions, il semble en bonne position pour remporter deux ou trois d’entre elles à l’issue du second tour (Nord-Pas-de-Calais–Picardie, Alsace–Champagne-Ardenne–Lorraine, Provence-Alpes-Côte d’Azur).
Pour défendre leur crédibilité en tant que gestionnaires, les responsables frontistes ont un argument qu’ils martèlent : selon eux, les douze villes dirigées par le FN ou leurs alliés ont plébiscité dimanche les candidats d’extrême droite. D’où ce slogan choc : « Essayer le FN, c’est l’adopter. »
Une forte progression des suffrages exprimés
En apparence, le Front national réalise en effet une forte progression par rapport aux élections municipales : + 9 points (59,36 %) à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), où Steeve Briois avait été élu dès le premier tour aux municipales 2014 avec 50,25 %. A Beaucaire, dans le Gard, le FN enregistre + 20 points par rapport au 2e tour de ces mêmes municipales ; à Camaret-sur-Aigues, dans le Vaucluse, cette hausse est de 17 points…
Est-ce à dire que les habitants de ces villes ont été massivement convaincus par la gestion frontiste et rejoignent les rangs des électeurs du FN ? Pas vraiment. Explications.
Moins d’électeurs FN qu’aux municipales
Nous ne regardons ici que la part des suffrages exprimés, c’est-à-dire les voix obtenues par le parti d’extrême droite par rapport à l’ensemble des bulletins déposés dans les urnes. Ce score est relatif à la participation, donc au total des électeurs qui sont allés voter.
Si l’on regarde maintenant le nombre de suffrages obtenus par rapport au nombre total d’inscrits sur les listes électorales dans la commune, et donc à tous les électeurs potentiels, le constat est tout autre : le FN est en baisse dans la plupart des villes (- 2 points à Hénin-Beaumont, – 11 points à Béziers, – 4 points à Villers-Cotterêts…) sauf à Beaucaire (+ 0,6 point), Camaret-sur-Aigues (Vaucluse, + 7 points) et Le Pontet (Vaucluse, + 3,1 points).
La conclusion est logiquement la même lorsque l’on regarde le nombre de voix effectivement apportées au FN et donc le nombre d’électeurs frontistes dans ces villes. Le FN a perdu des suffrages dans quasiment toutes les villes sauf au Pontet (+ 224 voix sur 6 500 votants), à Camaret-sur-Aigues (+ 114 voix sur 2 095 votants) et à Beaucaire (+ 30 voix sur 5 500 votants). A Béziers, ville dirigée par Robert Ménard, le FN perd 5 300 voix (sur 21 600 votants), 1 600 dans le 7e secteur de Marseille (sur 34 150 votants) et le même chiffre à Fréjus (sur 19 000 votants)…
En clair, le Front national progresse de manière relative au nombre de votants, mais pas de manière absolue. En cela, il n’est pas le seul : la gauche comme la droite ont également perdu des voix par rapport aux élections municipales.
L’abstention, grande gagnante
La progression du FN se fait donc dans un contexte d’abstention élevée. Celle-ci est beaucoup plus importante lors des élections régionales (50,09 % au niveau national) que des municipales (36,45 % au premier tour, 37,87 % au second).
L’abstention de l’électorat des villes frontistes se situe globalement dans la moyenne départementale ou régionale, à l’exception notable de Béziers (Hérault), Hayange (Moselle), Mantes-la-Ville (Yvelines), Marseille 7e secteur (Bouches-du-Rhône), où l’abstention a été nettement plus importante.
S’il est indéniable qu’il réalise des scores en hausse, le Front national ne peut donc pas se targuer d’avoir convaincu davantage d’électeurs que lors des élections municipales – du moins, pas après ce premier tour des élections régionales.
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Alexandre Pouchard – Le Monde