La Judaïcité à la carte aux Pays-Bas

 

Chaque semaine, l’hebdomadaire communautaire juif de Hollande, NIW, publie une courte interview d’un Juif Hollandais peu connu. La rédactrice en chef du journal, Esther Voet, mène ces interviewes en posant cinq questions : sur la jeunesse de l’interviewé, ses croyances, ses attitudes et opinions à l’égard d’Israël, les craintes et les rêves des interviewés.

Esther Voet

Ronit Palache

Ce projet a été lancé à l’initiative d’une journaliste, Ronit Palache. A son époque, les interviews ne suivaient pas de modèle récurrent. Cent vingt-cinq de ses interviewes sont publiées dans un livre dont le titre en néerlandais peut se traduire comme : Absurdité changeante, l’Identité Juive dans la Hollande contemporaine[1]. Le sociologue connu sur le plan international, Abraham de Swaan,  a écrit la préface du livre.

L’identité juive aux Pays-Bas subit d’énormes variations. Une étude démographique de 2009 sur les Juifs des Pays-Bas commençait par une base de donnée de près de 53.000 Juifs en Hollande. 4% d’entre eux ne se considéraient pas comme Juifs, alors que 32% se perçoivent comme « pas tant comme Juifs que comme quelqu’un d’origine juive ». 7 autres pour cent  disaient : «  »Je me vois parfois comme Juif, mais cela dépend de la situation ». le reste de cette population, soit approximativement 57% ou environ 30.000 personnes, se définissaient comme Juifs[3].

Les organisations juives hollandaises, toutes rassemblées comportent à peu près 10.000 membres au plus. L’organisation juive la plus importante demeure la communauté orthodoxe ashkénaze (NIK). Le nombre de ses adhérents a diminué à environ 5.000 membres. Ceux qui préservent à la fois une nourriture casher à la maison et observent les règles du Shabbat sont en minorité.

Palache écrit, à propos de son livre : « Le monde extérieur perçoit les Juifs comme un groupe monolithique. Je veux montrer au monde non-juif qu’il y tant de façons de vivre sa judaïté. En outre, j’espère que la communauté juive utilisera ce livre pour se regarder avec plus de sens critique[4]. »

On peut lire ces interviews comme des illustrations individuelles des données découvertes par les démographes. Haddassa Hirshfeld, ancienne Directrice adjointe du CIDI, le Centre d’Information sur Israël, est l’une de ces interviewées peu connues. Elle définit son identité juive comme un « Judaïsme à la Carte[5]« .

Si on tient compte du faible nombre de Juifs qui préservent les principales règles rituelles juives, c’est presque la totalité de la communauté juive néerlandaise qu’on puisse définir comme une collection de « Juifs à la carte ». Beaucoup adhèrent à différents éléments du « menu » juif. Hirschfeld révèle qu’elle était autrefois « ultra-orthodoxe ». A présent, elle fait remarquer que : « J’ai un cœur libéral dans une âme orthodoxe ».

Palache dit ailleurs qu’un journaliste non-Juif prédominant lui a dit s’attendre à ce qu’un grand nombre de thèmes collectifs ressorte de ce livre. Parmi eux, il y avait : « Être religieux ou pas, la guerre, l’antisémitisme, Israël, les gens ayant un père juif [mais pas de mère juive], l’ambivalence, adhérer à un ensemble, se quereller et ainsi de suite ». Tous ces motifs et bien d’autres sont effectivement apparus au travers de ces interviewes ».

Comme avec divers autres interviewés, la Shoah transparaît de façon centrale dans les interviews d’Hirschfeld. Elle déclare : « Je divise le monde entre les gens chez qui je pourrais aller me cacher et les autres chez qui s’est impossible ». Un autre interviewé affirme : « Ma mère ne parlait jamais de religion ni de traditions, mais seulement de la guerre »[6].

L’antisémitisme aux Pays-Bas, comme ailleurs en Europe a gravement augmenté au cours de ce siècle. Auparavant, il n’était pas observé de façon appropriée. Plusieurs interviewés, cependant, mentionnent des incidents remontant à leur jeunesse. L’une dit qu’en plus d’autres expériences antisémites, un enseignant lui a dit qu’Hitler aurait tuer tous les Juifs[7]« . Un autre dit  : »J’ai su que j’étais Juif quand je mesuis fait houspiller par les jeunes garçons du quartier[8]« . Un autre encore dit : « Ils disaient, à l’école et à l’armée : « Salut, sale Juif[9]« .

En 2014, il y a eu une énorme explosion d’antisémitisme en Europe de l’ouest, après la « guerre à Gaza ». La « question : où puis-je me cacher » est devenue plus prégnante, quand David Serphos, l’ancien directeur de la communauté ashkénaze du NIHS d’Amsterdam a écrit : « Je n’ose plus faire confiance aux autorités, après que le maire de La Haye, et maintenant, même celui d’Amsterdam n’interviennent plus quand des Juifs et le Judaïsme sont menacés ». Je m’entretiens souvent sur le ton de la plaisanterie avec des amis, sur des adresses fiables pour aller se cacher [comme pendant la Seconde Guerre Mondiale], si cela devenait nécessaire. Ces derniers temps, j’ai réexaminé plus sérieusement cette liste tellement courte[10]« . Il a oublié de mentionner une observation un peu plus pertinente : quels sont les individus susceptibles de le trahir s’ils savaient où il se cache?

Les relations entre les Juifs et les non-Juifs se manifestent de diverses façons. Une personne interviewée dit qu’elle souffre fréquemment de la jalousie des non-Juifs : « Ils étaient toujours jaloux de ce que nous avions, même si cela n’avait rien d’excessif, parce que je ne viens pas d’une famille très riche. En insistant sur le « vous » (les Juifs), ils disaient : « Vous partez en vacances, vous avez une voiture ». Elle ajoute : « Même mes amis d’alors participaient à ce genre de commentaires désobligeants. Cela signifiait la fin de notre relation[11]« .

Une autre question importante concerne les éléments que ces Juifs « à la carte » transmettront à leurs enfants. Le repas du vendredi soir est un thème récurrent. Il y est souvent question de poulet et de soupe au poulet. Ou encore, les enfants de ces interviewés se marieront-ils à un ou une juive? Nombreux sont ceux parmi eux qui ne considèrent pas cela comme important « tant qu’ils sont heureux ». S’ils ne se marient pas dans un cadre juif, dans la plupart des cas, leur Judaïsme sera d’autant plus dissolu.

 

Ce livre démontre qu’on peut définir le Judaïsme comme un arbre comporte e nombreuses branches. Tous les interviewés sont connectés à certaines de ces branches. Cependant, ce qui relie ensemble toutes ces personnes reste une énigme. Certains prétendent que l’humour joue un rôle, d’autres considèrent qu’on parle différemment entre Juifs qu’avec des non-Juifs. Ils parlent même de « sentiments » qu’ils ont grand peine à définir.

Palache a, effectivement, fournit une matière première pour que les dirigeants de la communauté juive réfléchissent sur la façon de renforcer le Judaïsme de cette collection de Juifs, à la fois hétérogènes et confus, jusqu’à un certain point. C’est aussi une mine d’or pour les sociologues et les psychologues. Dans le même temps, le NIW continue de publier des interviews supplémentaires de ces Juifs « à la carte ».

A la fin décembre 2017, une enquêtée qui se mariait déclare que quand son mari et elle sont devenus sérieux dans leur relation, elle l’a questionné : « Es-tu bien sûr? Nos enfants seront Juifs et, de fait, ils seront, de près ou de loin, affectés par l’antisémitisme ». Je voulais vraiment qu’il le réalise clairement[12]« .

Ce serait intéressant si des interviews de même type avec des Juifs locaux étaient publiées dans d’autres pays européens. Cela nous apporterait une meilleure compréhension de la situation de leurs communautés juives. Cela permettrait aussi une comparaison entre les communautés juives dans différents pays. Ronit Palache a démontré comment y parvenir. D’autres devraient tirer partie de son expérience.

Par Manfred Gerstenfeld

Le Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

 


[1] Ronit Palache, Ontroerende Onzin, De Joodse Identiteit in het Nederland van Nu, (Amsterdam: Prometheus, 2016).

[2] Hanna van Solinge en Carlo van Praag, De Joden in Nederland anno 2009, continuïteit en verandering, (Diemen: AMB, 2010).

[3] Ibid, 60.

[4] www.niw.nl/het-mensch-boek-555/

[5] Ontroerende onzin, 140.

[6] Ibid, 138.

[7] Ibid,177

[8] Ibid, 77

[9] Ibid, 272

[10] www.jpost.com/Opinion/European-Parliament-More-words-replace-an-anti-Semitism-task-force-386199

[11] Ontroerende onzin, 113.

[12] Esther Voet. “Het gaat overjouw kinderen.”  Interview with Naomi Vereggen-Dessaur, NIW, 22 December 2017.

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Ephraïm

Cet article dépeint l’agonie d’une « judaïté « déjà ethérée depuis plusieurs générations comme il s’en trouve dans tous les pays à cadre de vie occidentale .

Jge france reaa

La desagregation des communautes Juive en eurabia est tres avancee .
Il n y a qu une solution , l alya possible pour moins que la moitie de ces communautes , le reste , est definitivement perdue !