Une histoire de la façon dont les Juifs s’adaptent

Ces dernières années, on voit une tendance croissante à la valorisation des minorités. Les noms et les coiffures sont utilisés et portés plus fréquemment. Les symboles religieux comme les saris, les hijabs et les turbans sikhs occupent une place plus importante dans les médias populaires. Pourtant, la judéité ne suit pas le même chemin: les Juifs sont toujours moqués dans les médias, nos traditions sont considérées comme « archaïques » et « extrêmes », et le droit à avoir une patrie, toujours exorbitant. Souvent, dans la culture laïque, les Juifs sont considérés comme plus acceptables lorsqu’ils ne sont pas « trop juifs » ou sionistes. Mais rien de tout cela n’est nouveau. Tout au long de l’histoire, les Juifs ont été encouragés à gommer leurs spécificités comme condition préalable à leur acceptation sociale

Dr Joshua Karlip, Professeur en histoire juive de la Yale University

Le professeur d’histoire juive de YU, le Dr Joshua Karlip, revient sur les tendances historiques dans lesquelles les régimes non juifs ont demandé aux Juifs de désavouer leur héritage et leur lien avec leur terre, dans le but de mieux s’intégrer au reste de la société. Le Dr Karlip a expliqué que ‘Hanoucca est certainement l’un des événements les plus importants de l’Antiquité, au cours duquel un accord social a été conclu avec le peuple juif. Un tel accord implique traditionnellement d’abandonner le mode de vie juif pour s’intégrer. Les méthodes des hellénistes grecs – qui ont mis en balance notre culture et notre religion au profit de la leur – sont une préfiguration des « guerres culturelles » d’aujourd’hui. De telles « guerres» ont lieu également entre les partisans de l’abandon d’une identité en échange de l’acceptation sociale, tandis que d’autres de ne sont pas . Les gens qui sont prêts à céder à la demande sociale d’abandonner le judaïsme continuent à qualifier ceux qui n’ont pas fait de même d’esprits étroits, de fanatiques et de clans – tout comme les juifs hellénistes ont dénoncé les Hasmonéens.

Les juifs convertis contre les juifs

Tous les cas d’assimilation encouragés par les gouvernements n’ont pas abouti à une guerre pure et simple. Souvent, le principal résultat de cette discrimination se traduisait par une longue d’incapacités juridiques pour les Juifs. À partir de l’Europe médiévale, la seule façon de sortir de cette situation difficile était de se convertir au christianisme. Puis,  beaucoup de ces chrétiens convertis ont soit essayé d’amener plus de juifs à faire de même, soit ont convaincu les gouvernements et les églises de les dénigrer davantage pour encore réduire les droits des juifs. Le Dr Karlip ne pense pas que ce soit une coïncidence si bon nombre des plus grands procureurs du judaïsme à cette époque étaient des convertis. De nombreuses disputes avec certains de nos principaux penseurs rabbiniques de l’époque ont été initiées par d’anciens juifs : Nicholas Donin contre Rabbeinu Asher, Pablo Christiani contre Ramban, Gerónimo de Santa Fe contre R’ Yosef Albo, et bien d’autres. Beaucoup de ces disputes ont abouti à l’interdiction ou à l’autodafé de livres juifs, et à une discrimination supplémentaire dans une société déjà hostile.

L’époque moderne change la donne

Ce n’est qu’à l’époque moderne que les Juifs ont été autorisés à rester juifs et à entrer dans la société dominante, mais à condition d’en payer le prix. Pendant la Révolution française, les Juifs se sont vu offrir l’émancipation en même temps le reste de la paysannerie… mais ce n’était toujours pas une liberté totale. À l’Assemblée nationale française de 1789, l’un des plus grands défenseurs de l’émancipation (en particulier pour les non-catholiques) Stanislas de Clermont -Tonnerre a déclaré : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ». En devenant citoyens de France, les juifs devaient renoncer à tout ce qu’ils ont de particulier sur le plan national : en particulier, des coutumes uniques et une communauté régie selon la Halakha. Entre autres extraits de son discours, on retiendra : « Nous devons retirer la légitimité de leurs juridictions ; ils ne devraient avoir que nos juges. Il faut refuser la protection légale au maintien des soi-disant lois de leur organisation judaïque ; ils ne doivent pas être autorisés à former dans l’État ni un corps politique ni un ordre. Le ticket d’entrée juif dans la société européenne moderne était, en fin de compte, l’abandon du mode de vie juif. Par définition, ce n’est ni une vraie admission, ni une vraie acceptation. Les Juifs étaient aussi, soit dit en passant, l’un des seuls groupes à devoir jurer fidélité à la France lors de leur émancipation communale. La menace tacite était : devenir citoyen, ou pas

L’assimilation

Dans cet esprit, les conséquences diffuses de l’assimilation se sont répandues. Le Juif traditionnel, qui était désormais autorisé à quitter l’Alsace-Lorraine, ne parlait plus la forme occidentalisée du yiddish et a commencé à parler exclusivement le français, certaines des Halachot et traditions juives les plus « bizarres », y compris la cacheroute et le Shabbat ont été quasiment abandonnées. Bien qu’il ne s’agisse en aucun cas des Lumières, étant donné que l’Allemagne était le centre de ce mouvement, la majorité des Juifs de France devinrent par conséquent beaucoup moins pratiquants. Même ainsi, les Juifs d’Europe d’avant le 19e siècle n’avaient pas l’option « d’assimilation radicale » que nous avons aujourd’hui : il n’y avait pas d’option de se marier, par exemple, et de disparaître complètement de leur mode de vie juif.

Judaïsme occidental et citoyenneté, l’exemple allemand

Et ainsi commence une tendance dans le judaïsme occidental qui cherche à trouver un équilibre avec l’adaptation à l’identité nationale. L’un des premiers changements que le mouvement réformiste – peu de temps après – a apporté au siddour a été de supprimer toute référence à Sion et au retour d’Israël en tant que terre juive. Cela était motivé par le fait que les Juifs d’Allemagne devaient également prouver leur loyauté envers le gouvernement national, tout comme les Juifs de France. Alors que l’émancipation en France s’est produite d’un seul coup, l’émancipation en Allemagne s’est produite au fur et à mesure et à un rythme beaucoup plus lent compte tenu du fait que l’Allemagne n’a été un pays unifié avant la fin du XIXe siècle. Cependant, tous les États allemands avaient une contrepartie pour l’émancipation juive connue sous le nom de « droits en échange de la régénération, » qui reposait sur l’hypothèse que les Juifs en tant qu’Allemands devaient être « réhabilités » avant de devenir de « vrais » Allemands. Les antisémites allemands croyaient qu’il en était ainsi parce qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas chez les juifs . Mais les allemands qui soutenaient ce mouvement  ont affirmé que les Juifs étaient difficiles en raison des persécution, que sortis des persécutions et réintégrés avec des droits, ils reviendraient et se « répareraient ». Quoi qu’il en soit, le problème était que les Juifs étaient trop étranges pour être considérés comme des citoyens. Pour les Juifs qui ont adhéré à cet accord, la question a nourri un schéma de pensée particulier : si l’antisémitisme existait toujours et que les Juifs n’étaient toujours pas acceptés dans la société, alors c’est de leur faute. Particulièrement en Allemagne, ce n’était pas seulement un schéma de pensée d’auto-flagellation, mais celui qui a été repris par les chrétiens de la nation. Même les tentatives réformatrices de modification de la religion juive – qui ont commencé comme une tentative de se conformer aux attentes allemandes du nationalisme et de la citoyenneté – n’étaient pas considérées comme un changement d’assimilation suffisant pour la population allemande.

L’acculturation pour les juifs russes par la conscription

Des mouvements similaires se produisaient dans toute l’Europe occidentale à mesure que les gouvernements nationaux modifiaient leurs structures. Cependant, un mouvement complètement différent pour la reconnaissance et l’assimilation juive se produisait en Russie – qui, en tant qu’autocratie, justifiait une approche entièrement différente. Le tsar Nicolas I avait décidé que les Juifs des régions maintenant connues sous le nom d’Ukraine, de Biélorussie, de Lituanie et de Pologne constituaient potentiellement une cinquième colonne : un groupe favorable aux ennemis du pays. Tant que les Juifs étaient si étranges, avaient des coutumes bizarres, parlaient et s’habillaient différemment, ils ne seraient jamais considérés comme de bons Russes. Cela a déclenché une campagne d’intégration forcée et d’acculturation. L’une des méthodes utilisées était la conscription – un certain pourcentage de jeunes devaient être enrôlés dans l’armée russe pendant 25 ans, ou 31 ans s’ils étaient enrôlés avant l’âge de 18 ans. Des Maskilim russes ont même approché le tsar dans les années 1840, expliquant que les juifs traditionnels ne s’assimileraient jamais aussi longtemps qu’ils continuaient à porter des vêtements étranges, et ont demandé l’interdiction des vêtements juifs traditionnels. Avant cette époque, les vêtements juifs d’Europe de l’Est ressemblaient le plus à ce que nous appelons aujourd’hui le « levush hassidique ». A cette époque, cette façon de s’habiller n’était pas spécifique aux Hassidim, mais  les Hassidim ont  ont refusé d’abandonner leurs vêtements juifs qui sont depuis restés les symboles de leur communauté. Certains se sont conformés à cette loi, tandis que d’autres trouvaient des échappatoires. Le rabbin Gerrer, qui vivait à Varsovie à l’époque, a effectué un changement mineur dans son style vestimentaire pour être juste assez similaire à celui des Russes – qui, accessoirement, portaient de longs manteaux et des barbes, avec des différences stylistiques relativement mineures. Les juifs litvaques, cependant, n’avaient pas cette option parce qu’ils vivaient dans des régions où les règles étaient plus strictement appliquées; c’est pourquoi la plupart des Juifs litvaques ne portent pas aujourd’hui l’habit traditionnel d’Europe de l’Est.

Des tsars bien moins efficaces que les bolcheviks

Le Dr Karlip plaisante en disant à ses étudiants que les tsars étaient méchants mais relativement inefficaces dans leurs campagnes d’assimilation des Juifs. Les communistes bolcheviks, eux, ont été extrêmement efficaces et ont accompli en quelques années ce que les tsars n’avaient pas réussir à faire pendant des décennies. Les Soviétiques ont offert aux Juifs un type d’accord similaire à celui que les Français et les Allemands avaient initié au 19e siècle : les Juifs pouvaient être citoyens soviétiques et même s’élever en tant qu’individus… à condition de ne plus être religieux, car le judaïsme était pratiquement interdit et le sionisme était un anathème. Quiconque pratiquait le judaïsme orthodoxe ou était sioniste était, au mieux, persécuté, et, au pire, emprisonné et exécuté, même avant la Seconde Guerre mondiale. Ezra Mendelsohn l’a dit ainsi : « L’Union soviétique était bonne pour les Juifs, mais mauvaise pour le judaïsme.

Et aujourd’hui

Le Dr Karlip avance également que la tendance d’après-guerre dans la persécution et l’assimilation des juifs est similaire à ce que l’on voit aujourd’hui aux États-Unis. Les Juifs assimilés étaient prêts à se plier aux exigences soviétiques pour se protéger, rejetant souvent les Juifs les plus juifs.  Cependant, ce qu’ils faisaient en fin de compte c’était        d’affaiblir la communauté juive. Mais en réduisant le nombre de juifs religieux, ils se sont retrouvés eux-mêmes comme les nouvelles cibles. En Russie, ces Yevsektsiya – les Juifs communistes qui fermaient de manière agressive les synagogues et les écoles juives – étaient à l’origine habilités par l’État à le faire et recevaient certains avantages… jusqu’aux purges de la fin des années 1930, puis en 1951 lorsque les écrivains juifs et d’autres élites ont été assassinés par Staline. Une fois que les Juifs assimilés, dans un effort pour se protéger, ont fait tout le sale boulot, le régime s’est finalement retourné contre eux aussi.

L’histoire se répète

En vérité, il s’agit d’une erreur de jugement, selon lequel les individus pourraient être épargnés s’ils se conforment aux attentes. En fait, cela ne fait que nuire à la communauté juive à long terme. Les Juifs désespérés qui sont prêts à renoncer à une part de leur identité pour des « droits » , finalement ne bénéficient de ces droits que temporairement et conditionnellement, surtout lorsque cela est causé par des Juifs incités à se retourner les uns contre les autres pour survivre. Alors qu’à l’heure actuelle, il est légal d’être juif et d’avoir l’air juif et même d’être sioniste, cela reste une chose problématique dans l’espace public – et c’est considéré avec un dédain croissant. L’adage selon lequel l’histoire se répète est tout à fait vrai. Une autre vérité est que l’histoire ne s’est pas arrêtée, et ce qui pourrait apparaître comme une répétition n’est qu’une longue suite de discrimination des Juifs dans la société occidentale en échange de fausses promesses et de l’encouragement de la haine des juifs contre « les plus juifs » . C’est précisément lorsque les gouvernements et les sociétés nous disent que nous devons cacher notre culture pour nous rendre plus acceptables en tant que minorité que nous devons rester unis en tant que peuple et nous pencher plus que jamais sur notre identité.

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Asher Cohen

Être Juif n’est pas une religion, mais une nationalité, clairement précisée dans la Bible avec le Am Israël, et clairement différenciée des goyim ou autres nations. Être Juif actuellement c’est être issu de la Diaspora de l’ État Judéen détruit en 70 et 135 de l’ ère commune, par les romains. Le mot Juif lui même vient de yéhoudi qui signifie Judéen. La laïcité est un concept chrétien et le mot hébreu khilouni, laïque, n’a pas existé en hébreu biblique. Pendant 2000 ans, les goyim ont toujours considéré les Juifs, même en Diaspora, comme une nationalité : le Am Israël, et les États goyim ont toujours légiféré dans ce sens. Nous avons un mode de pensée qui nous est propre et ne pouvons donc pas adopter une autre culture, ni une autre nationalité, par principe. C’est clairement le Judaïsme qui a maintenu la Nation Juive durant 2 millénaires en Diaspora.

A la différence des religions impérialistes supranationales, qui évangélisent ou islamisent par la force, le Judaïsme prône la volonté libre et il en découle la responsabilité de ses choix et actions, avec bien sûr un Dieu de Justice rationnelle, valeur pour valeur. On ne peut donc pas imposer une religion, ni une nationalité, à des Juifs qui n’en veulent pas.

On voit bien, par exemple, combien les ukrainiens préfèrent mourir au combat plutôt que de devenir les esclaves de l’impérialisme russe. Or, l’infâme Décret Crémieux à été imposé en 1870, aux Juifs d’Algérie qui n’en voulaient pas. A quel titre les Juifs d’ Algérie devaient-ils devenir les esclaves de l’impérialisme francaoui? Pour engraisser les enfants des collaborateurs et des nantis corrompus? Pour raquer les charges sociales, salariales et patronales afin de financer la criminalité et les comptes en Suisse de la médicaillerie francaouie? Pour traquer des impôts et taxes afin de payer les salaires des policiers et magistrats qui les abusent? Pour mourir dans des guerres comme 1914-18, qui ne les concernaient pas? Et j’en passe.

Donc les Juifs qui veulent s’assimiler à des peuples de goyim, doivent renoncer à leur identité originelle, sinon à devenir hypocrites, par emprunt au christianisme, et être alors des marannes manipulateurs. Dans tous les cas, il y a une haine de soi juive évidente dans ces attitudes de rejet, même partiel, de sa propre identité juive. Voilà pourquoi les  »émancipations » des 19 et 20ième siècles furent de graves attaques contre la Nation Juive et ont accéléré l’émergence du Sionisme politique et de l’auto-émancipation. Et c’est ainsi que les Juifs d’Algérie, déjà écrasés par un siècle d’impérialisme colonial, ont été manipulés et piégés à s’installer dans un pays de goyim dégénérés comme la francaouie.

Enfin, cet article est intéressant, mais il ne traite pas suffisamment des cas anglo-saxons, Angleterre, États-Unis, Canada, Australie, ainsi que des nations hispanophones d’Amérique Latine telles que l’Uruguay, l’Argentine, le Mexique, etc..