L’école de Hillel, réputée pour son esprit conciliant, met l’accent sur le mot davar, une chose, et en conclut que n’importe quelle chose, n’importe quel motif, à la discrétion du mari, peut provoquer la répudiation de l’épouse.

Des motifs aussi peu sérieux que le fait de brûler le repas de l’époux ou la rencontre d’une femme plus belle que la sienne (rabbi Aqiba)  peuvent suffire…

On peut donc dire que lorsque les rédacteurs des Évangiles se mettent au travail, trois pistes existent alors dans le judaïsme contemporain :
a)  un époux pouvait répudier son épouse à tout moment et pour tout motif.
b) certains groupes (Qumran, notamment) critiquent la polygynie ;
c) la position marginale de Jésus qui semble interdire totalement le divorce.

C’est sur cet arrière-plan qu’il convient d’exposer les différentes références néotestamentaires sur cette question.

Elles ne sont pas nombreuses, même si l’auteur les soumet à une critique textuelle, idéologique et comparatiste rigoureuse. Des cinq versions de cette interdiction de divorcer (deux en Matthieu, une en Marc, une en Luc et une en Paul ), il n’ y en a pas deux identiques dans leur formulation, sauf pour le texte suivant : ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare point.

Examinons tout d’abord les paroles de Paul dans sa première épître aux Corinthiens (7 ; 10-11).

Ecrit vers l’an 54-55, ce verset de Paul semble s’inspirer ou se réclamer d’une parole que Jésus aurait dite.

Pour le couple chrétien, aux yeux de Paul, pas de divorce possible et s’il y a conflit, les époux feraient mieux de se réconcilier.

Une telle attitude pourrait fort bien revenir au Jésus de l’Histoire, ce qui n’est pas vraiment le cas des paroles de Marc (10 ;12).

Comme l’Evangéliste semble envisager le cas (hautement invraisemblable) d’une femme juive répudiant son époux, alors qu’elle n’en avait ni le droit ni le pouvoir, de tels propos ne peuvent pas avoir été ceux de Jésus lui-même.

Mais les autres attestations qui connaissent des occurrences chez les autres apôtres sont certainement de Jésus lui-même.

Et qu’en ressort-il ? Que Jésus a eu l’audace d’interdire une institution reconnue de son temps en la qualifiant de conduite adultère alors qu’elle était explicitement prévue par la Tora en Deutéronome 24.

Il s’agit là d’une démarche révolutionnaire : Jésus enseigne à ses frères juifs de l’époque qu’en suivant les prescriptions de la Tora ils se rendent coupables d’adultère, et partant, qu’ils pèchent contre une loi du Décalogue lui-même… (Ex. 20 ; 14 et Dt 5 ;18).

De manière claire et nette, Jésus entre ici en conflit frontal avec la Tora de Moïse, telle qu’elle se pratiquait des on temps. Meier ajoute  (p 99) que dans ce rejet et ce refus, Jésus est seul,  car même les documents de Esséniens n’abondent pas vraiment dans son sens.

Mais l’attitude du Galiléen est juste lorsqu’il s’agit de dénoncer des pratiques inhumaines.

Malheureusement, l’évolution de nos sociétés ne lui a pas donné raison, même si, fort heureusement, la situation des femmes s’est nettement améliorée.

Dans la littérature hébraïque et juive (Bible, Talmud et Midrash)  la prestation de serment, le fait de jurer, est loin d’être interdit, voire même fait l’objet d’une codification.

Sans même remonter au chapitre 14 de la Genèse (14 ; 22) où Abraham n’hésite pas à prêter serment de manière un peu grandiloquente : j’ai levé ma main vers Dieu, le Dieu très haut, créateur des cieux et de la terre… pour attester que… Plus tard, on enjoint au justiciable hébreu de ne prêter serment qu’en invoquant le nom de son Dieu Iahwé (u-bishemo tishavé’a).

La notion de serment est très proche de celle des vœux. D’ailleurs, de véritables traités talmudiques en parlent exclusivement: Shevou’ot, Nedarim et Betsa.. Meier donne une bonne définition du serment (p 112) :… le serment comme une affirmation ou une promesse qui prend Dieu à témoin que celui qui le prononce dit la vérité, particulièrement quand elle est incertaine ou contestée.

La Bible hébraïque prévoit des prestations de serment, donc le fait de jurer, dans plusieurs cas, dont les deux suivants : protester de son innocence lorsqu’un bien ou un animal, confié à nos soins, subit une perte ou un dommage et qu’il faut, en cas de culpabilité, s’acquitter d’une amende en signe de réparation des dommages subis (Ex. 22 ; 9-10) ; et aussi dans l’ordalie des eaux amères (Nb. 5 ; 11-31) lorsqu’une femme est soupçonnée d’adultère.

On devine déjà les problèmes posés si Jésus avait vraiment recommandé l’annulation totale de la prestation de serment…

Comment une telle idée est-elle venue à l’esprit de Jésus ? Ben Sira parle avec une grande réserve des serments trop fréquents et prononcés à l’étourdie.

Les Esséniens, pour leur part, n’ont pas pris le risque de se mettre en contradiction avec la loi juive qui, voir supra, prévoyait cette pratique qu’elle avait même codifiée…

Philon d’Alexandrie n’est pas non plus un grand partisan de cette pratique judiciaire mais il ne franchit point le pas que Jésus a franchi selon Matthieu (5 ; 34-37).

Dans sa recherche de la formulation authentique des paroles de Jésus, Meier compare le dit matthéen au dit de Jacques (5 ; 12) et remarque que les deux références comportent un double oui et un double non (que votre oui soit un oui et que votre non soit un non…)

Certes, l’apôtre explique ce qu’il dit : il ne faut pas compromettre Dieu en sa qualité de créateur des cieux et de la terre, ni même jurer sur sa propre tête puisque notre vie ne dépend pas de nous ( qui sait quand viendront les cheveux blancs ou quand la chevelure cessera d’être noire ?).

Il faut dire aussi un mot de saint Paul qui parsème ses épîtres de serments . L’apôtre des gentils n’hésite pas à jurer, à prendre ses lecteurs à témoins en prenant le ciel à témoin…

Il est probable que le relâchement des mœurs de l’époque ainsi que la multiplication des actes d’adultère (les fornicateurs se sont multipliés en Israël, dit un passage talmudique) aient provoqué la tombée en désuétude des serments dans ce dernier cas…

Il est donc très probable que le Jésus, critique féroce des mœurs dissolues de sont temps, ait jugé nécessaire de plaider en faveur d’une interdiction totale de jurer et de prêter serment. Il avait probablement raison, mais en agissant comme il le fit, il frappait de caducité quelques commandements bibliques.

Ce que personne avant lui n’avait encore osé faire… Mais fallait-il maintenir une pratique qui avait été vidée de son sens en raison de l’inconduite des gens ?

C’est probablement dans ce secteur, le plus névralgique quant à la séparation progressive du judaïsme du christianisme naissant, que l’auteur s’éloigne le plus de ses prédécesseurs.

L’une de ses première affirmations semble frappée au coin du bon sens bien qu’elle fût, par le passé, constamment niée : il est incroyable, voire inimaginable que le Jésus historique et authentique, ait pu enseigner à ses frères juifs de Judée que l’institution  la plus sacrée du judaïsme de son temps, à savoir le repos et la solennité du sabbat, puissent être profanés…

Meier n’a probablement pas tort, surtout si l’on suit pas à pas ses longues analyses de la forme et de la pertinence des récits évangéliques qui mettent dans la bouche de Jésus (du Jésus historique, s’entend) des propos qu’il ne peut pas avoir proférés.

On connaît  le passage de l’Exode (20 ; 8-11) qui énonce  la règle du sabbat et la longue motivation de l’ataraxie qu’il fonde, reprise ultérieurement sous une forme légèrement différente dans le Deutéronome (5 ; 12-15).

La littérature prophétique n’est pas en reste : le Deutéro-Isaïe (58 ; 13-14) est encore plus explicite, vu  la situation socio-politique d’un peuple dont les survivants reviennent d’exil.

Le passage a d’ailleurs été repris dans la bénédiction du vin le samedi matin.

Mais le respect et l’observance de tous ces interdits n’étaient pas universels puisque tant Amos (8 ; 5) que Jérémie  (17 ; 19-27) rappellent fermement leurs ouailles à leur devoir : le premier raille ceux qui n’attendent même pas la fin du sabbat pour se livrer à leur coupable industrie,  et le second rappelle qu’il est interdit de transporter des marchandises d’un lieu vers un autre lieu, en l’ occurrence chez soi.

En ce qui concerne les déclarations polémiques (réelles ou supposées) de Jésus à l’encontre du Chabbat, il faut noter qu’il s’agit de guérisons miraculeuses effectuées en ce jour précis, alors que toute activité, un tant soit peu sérieuse, est strictement prohibée ce jour là.

Voici les miracles qui provoquèrent des controverses : la guérison de l’homme à la main desséchée (Mc 3 ; 1-6), la femme courbée depuis dix-huit ans (Lc 13 ; 10-17), l’homme souffrant d’hydropisie (Lc 14 ; 1-6) le paralysé de la piscine de Bethesda (Jn 1 ; 5-9) et l’aveugle de naissance (Jn 9 ; 1-7).

Dans tous ces récits, le but est de montrer que les juifs ne sont pas esclaves du Chabbat et qu’une trop rigoureuse soumission à des règles ne souffrant aucune exception n’a pas de sens.

Voire même qu’un tel aveuglement trahit totalement l’esprit ans lequel Dieu a prescrit aux juifs le respect du Chabbat.

Meier analyse bien chacun de ces récits et montre que si les actions ont peut-être bien eu lieu, les récits qui en présentent le déroulement proviennent sûrement des générations ultérieures.

L’auteur a laissé de côté la célèbre scène de Marc (2 ; 23-28) où l’on nous présente l’arrachage des grains le jour du Chabbat.

A suivre

John-Paul MEIER Un certain juif Jésus : la loi et l’amour Le Cerf, 2009

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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elie betite

excellent article.L’auteur a-t-il ecrit des ouvrages sur le meme sujet que l’on pourrait se procurer?