Huma Abedin n’aime pas les projecteurs. Mais dans une élection présidentielle, qui plus est aux États-Unis, rester dans l’ombre paraît mission impossible. Cette jeune femme élégante, très proche d’Hillary Clinton, est au cœur des difficultés de Clinton. Entre les frasques de son mari et l’affaire des e-mails de l’ancienne secrétaire d’État américaine, la pression est forte sur Abedin.
C’est apparemment après la découverte d’e-mails du département d’État sur l’ordinateur portable de son mari Anthony Weiner, dont elle s’est séparée fin août, que le directeur du FBI James Comey a annoncé vendredi un supplément d’enquête dans l’affaire des e-mails d’Hillary Clinton. Huma Abedin, 40 ans, est la vice-présidente de sa campagne. Les deux femmes travaillent ensemble depuis 20 ans, et sont extrêmement proches. Hillary Clinton a souvent dit que si elle avait une deuxième fille, ce serait la brune Huma, aussi discrète qu’efficace, qui l’a suivie depuis qu’Hillary Clinton était première dame à la Maison-Blanche. Depuis que l’annonce du supplément d’enquête a explosé vendredi, à 11 jours de l’élection présidentielle, Huma Abedin n’a pas été revue. Mais l’entourage de Mme Clinton est montée au créneau pour la défendre.
Fondation Clinton
« Elle a pleinement coopéré avec les autorités« , a insisté John Podesta, le président de la campagne d’Hillary Clinton. « Elle leur a remis tout ce qui était en sa possession. » Née dans le Michigan de parents enseignants d’origine indienne et pakistanaise, Huma, qui a passé son enfance en Arabie saoudite avant de revenir faire ses études supérieures aux États-Unis, était arrivée comme stagiaire à la Maison-Blanche en 1996, alors affectée au bureau de la première dame. Elle suit Clinton lorsque celle-ci devient sénatrice de l’État de New York en 2001 et devient sa directrice de cabinet. Elle est son assistante personnelle quand Clinton se lance dans la course à la présidentielle en 2008.
Quand Hillary Clinton devient secrétaire d’État en 2009, Huma Abedin devient sa directrice adjointe de cabinet. En vertu d’un arrangement spécial, la jeune femme sera autorisée à travailler comme consultante pour Teneo, une entreprise de conseil liée à la Fondation Clinton. Huma Abedin émarge aussi à l’époque à la Fondation Clinton. Le 10 juillet 2010, elle épouse Anthony Weiner, élu démocrate du Congrès, alors promis à un bel avenir politique. Bill Clinton officie à leur mariage. Le couple a un fils, Jason, né en décembre 2011. Mais entre-temps, Weiner a dû démissionner en mai 2011, après avoir reconnu avoir envoyé des photos de son slip bombé à des inconnues sur Twitter. En mai 2013, il annonce néanmoins sa candidature à la mairie de New York. Deux mois plus tard, de nouvelles accusations font surface, montrant qu’il continue à envoyer des messages lubriques sur la Toile, derrière le surnom « Carlos Danger ». Huma encaisse. Elle explique qu’elle aime son mari et lui a pardonné. Elle figure dans un documentaire sur sa campagne ratée pour la mairie de New York, où elle apparaît très impliquée. Et reste très proche d’Hillary Clinton.
Les frasques de leurs maris les ont rapprochées
« La nature de notre relation a changé », expliquait-elle au magazine Vogue en août. « Au fil des années, nous avons partagé des histoires sur nos vies, nous avons partagé plus de repas que je ne peux compter, nous avons fait la fête ensemble, pleuré ensemble. » Hillary Clinton ne tarit pas d’éloges sur sa collaboratrice. « Sa grâce, son intelligence et son humilité sont sans pareil, et je l’ai vu évoluer d’assistante puis conseillère, jusqu’au sommet de ma campagne », confie-t-elle dans cette même interview. Les deux femmes voyagent la plupart du temps ensemble. Huma n’est jamais loin d’Hillary. La jeune femme témoigne en octobre 2015 devant une commission du Congrès sur l’attaque de Benghazi en septembre 2012.
Elle est aussi interrogée par le FBI en mai dernier, dans l’enquête sur le serveur privé de Hillary Clinton quand elle était secrétaire d’État. Après de nouvelles révélations montrant qu’Anthony Weiner continue à envoyer messages et photos à connotation sexuelle à des inconnues, Huma annonce leur séparation le 29 août. Après quelques jours, elle reprend la campagne. Jusqu’à présent, elle était pressentie pour devenir la chef de cabinet d’Hillary Clinton si celle-ci entre à la Maison-Blanche.
La femme d’à côté : Huma Abedin, l’autre fille de Hillary Clinton
Le clan Clinton ne peut plus s’en passer, Hillary l’a promue directrice adjointe de sa campagne et la considère comme une enfant adoptive. Mais, révèle William D. Cohan pour Vanity Fair, ce bras droit à la dévotion sans faille pourrait devenir un sérieux handicap dans la course à la Maison Blanche.
Il fallait absolument faire table rase. Engluée dans un interminable scandale (elle avait utilisé une boîte e-mail personnelle quand elle était ministre au lieu de celle, sécurisée, du département d’État), Hillary Rodham Clinton avait décidé de « remettre à zéro » sa campagne présidentielle. Désormais, elle ferait preuve d’« humour » et de « cœur », toutes qualités dont elle n’avait pas souvent témoigné lors de ses apparitions publiques. Le 3 octobre 2015, elle passe dans le Saturday Night Live. Elle campe « Val », une barmaid à qui se confie Hillary Clinton, jouée par Kate McKinnon. Au bout de six minutes, « Hillary » et « Val », bras dessus, bras dessous, chantent à tue-tête. « Hillary » est tellement prise dans son délire qu’elle ne réalise pas que « Val » a disparu, remplacée par l’actrice Cecily Strong, qui interprète « Huma ». « J’étais justement en train de traîner avec Val, ma meilleure amie », lui explique « Hillary ». « Huma » lui fait remarquer qu’il n’y a personne dans la pièce : « Je crois que tu as bu un coup de trop, Hillary. Allez, viens, on s’en va. »
Huma, c’est Huma Abedin, 40 ans, « l’ombre » de Hillary Clinton. Elle commence à travailler pour elle en 1996. Elle n’est alors qu’une stagiaire de 19 ans affectée au bureau de la Première dame. Elle rêve de devenir journaliste comme son héroïne l’ex-correspondante vedette de CNN Christiane Amanpour et caresse l’espoir de travailler pour le service de presse de la Maison Blanche. « Saisis ta chance, lui conseille sa mère. Ne reste pas bloquée sur ton plan A. » Huma suit son conseil. « Seize ans plus tard, je ne changerais rien, déclare-t-elle en 2012. Et j’ai même pu rencontrer Christiane Amanpour ! »
Au fil des ans, Huma occupe de nombreux postes, avec des titres de plus en plus ronflants : assistante personnelle de Hillary, chef du protocole, conseillère technique et chef de cabinet quand Hillary est secrétaire d’État… Désormais, elle est directrice adjointe de sa campagne présidentielle. Mais peu importe le titre, son travail pour Hillary est toujours le même : confesseur, confidente et compagne de tous les instants. Huma et Hillary passent plus de temps ensemble qu’avec leurs maris.
Un ancien conseiller de Bill Clinton dit de Huma qu’elle est une « mini-Hillary ». Partout où Hillary va, on trouve Huma. En novembre 2008, lorsque Hillary s’envole pour Chicago afin de discuter avec Obama, fraîchement élu président, du poste de secrétaire d’État, Huma est du voyage. En octobre 2015, pendant les quelque onze heures que dure l’exténuante audition de Hillary par le Congrès sur l’attentat de Benghazi, Huma est là. On la qualifie souvent de « seconde fille » des Clinton. D’autres disent qu’elle et Hillary sont comme sœurs. Quiconque recherche l’appui de Hillary doit d’abord passer par Huma, comme le prouvent les milliers d’e-mails récemment déclassifiés.
Huma gère l’emploi du temps quotidien de Hillary et ceux qui veulent l’approcher le savent. Dans une interview à Vogue États-Unis en 2008, la conseillère politique de Hillary Clinton déclare : « Je ne suis pas sûre qu’elle soit capable de faire un pas sans Huma. Elle est un peu comme le personnage de Radar dans MASH. Si l’air conditionné est trop froid, Huma est là avec un châle. Elle a toujours trois longueurs d’avance sur Hillary. » C’est encore le cas aujourd’hui. Rien de ce qui regarde Hillary n’est trop capital ou trop insignifiant pour Huma. Il arrive même à Huma, désormais directrice adjointe de la campagne présidentielle, de représenter sa patronne. En octobre 2015, elle se trouve à Paris avec la rédactrice en chef de Vogue États-Unis, Anna Wintour, pour une levée de fond à 1 000 dollars le ticket d’entrée organisée chez James Cook, un homme d’affaires américain. Pourtant, malgré sa proximité avec le cœur incandescent de la politique américaine, Huma Abedin reste aussi inconnue du grand public que sa boss est mondialement célèbre.
Il était une foi
Huma Abedin est née à Kalamazoo, dans le Michigan, d’une mère pakistanaise, Saleha Mahmood Abedin, et d’un père indien, Syed Zainul Abedin. Ses parents étaient des intellectuels. Quand Huma avait 2 ans, sa famille a déménagé à Djeddah, en Arabie saoudite, où son père a fondé l’Institut des affaires de la minorité musulmane, un groupe de réflexion qui publie le Journal of Muslim Minority Affairs, dont il a été le premier rédacteur en chef. La mission du Journal est d’« éclairer » les communautés musulmanes minoritaires du monde entier dans l’espoir de « garantir leurs droits légitimes ». À la mort de Syed, en 1993, Saleha lui a succédé à la tête de l’institut comme du Journal. Elle a en outre intégré le Conseil islamique mondial de la Daawa et du secours d’Abdallah Omar Nassif. Cette organisation interdite en Israël est liée à l’Union of Good de Youssef Al-Qardaoui, qui collecte des fonds pour le Hamas. Nassif est un membre important du gouvernement saoudien et siège à l’assemblée consultative du royaume. Certains affirment pourtant qu’il a entretenu des relations avec Ousama Ben Laden et Al-Qaida – ce qu’il a démenti – et qu’il reste un membre éminent des Frères musulmans. Dans ses premières années de patron du Journal, Nassif était le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, un organisme qui « a longtemps été le principal vecteur de la diffusion internationale de l’idéologie des Frères musulmans », explique Andrew McCarthy, l’ancien assistant du procureur général qui a instruit le procès du « cheik aveugle », Omar Abdel Rahman, après les attentats de 1993 contre le World Trade Center. Quant à l’Union de Youssef Al-Qardaoui, c’est, poursuit McCarthy, « une organisation terroriste reconnue et Qardaoui est l’autorité juridique principale des Frères musulmans. Il a prononcé des fatwas appelant aux attentats-suicides dans les territoires palestiniens et en Israël et au meurtre des soldats américains en Irak ». Le Journal est resté entre les mains de la famille Abedin : Huma en a été rédactrice en chef adjointe entre 1996 et 2008, Heba, sa sœur de 26 ans l’a remplacée à ce poste et Hassan, le frère de 45 ans, y publie des critiques des livres.
En juin 2012, la républicaine Michele Bachmann et quatre autres élus conservateurs écrivent au département d’État pour l’avertir que les Frères musulmans ont infiltré les plus hautes sphères du gouvernement. Leur lettre mentionne nommément Huma : « Trois membres de la famille de Huma Abedin – feu son père, sa mère et son frère – sont liés à des adeptes et/ou à des organisations des Frères musulmans », écrivent-ils. Mais un mois plus tard, le sénateur républicain John McCain, pas vraiment connu pour sa sympathie envers les Clinton, intervient au Sénat pour dénoncer la lettre de Bachmann, en la qualifiant d’« attaque injustifiée et infondée » à l’encontre de Huma Abedin. « Je sais que Huma sert notre pays et notre gouvernement avec toute sa loyauté, son intelligence, son travail acharné et son honnêteté. » Pour le porte-parole de la campagne de Hillary Clinton, Nick Merrill, « il y a peu de sujets sur lesquels John McCain et le président Obama sont d’accord, mais celui-ci en est un ».
The Washington Post écrit un jour que Huma Abedin est « notoirement secrète ». C’est faux, bien entendu. Comme beaucoup de collaborateurs politiques, elle apparaît dans les médias si c’est bénéfique pour elle (ce qui n’est pas le cas de cet article pour Vanity Fair, puisque l’équipe de campagne de Hillary Clinton a refusé qu’elle nous accorde un entretien, malgré des demandes répétées). La plupart de ceux qui auraient pu nous parler d’elle en ont été dissuadés. Un fin connaisseur des Clinton explique qu’avec Chelsea, Huma est l’autre intouchable de leur monde politique. « Je vais être très franc avec vous. Tout le monde craint de faire le moindre commentaire sur Huma de peur de voir ses propos déformés et mal interprétés. Vous ne pouvez pas imaginer le degré de paranoïa. Et ça a des conséquences concrètes sur la manière dont les gens s’adressent à Huma. » La liste est longue des représentants et autres soutiens des Clinton habituellement diserts qui se transforment en tombe quand il s’agit de Huma Abedin. Ceux qui n’ont pas reçu le message, ou qui font mine de l’ignorer, ne s’éloignent pas du discours officiel.
Bob Barnett, l’avocat qui a négocié l’à-valoir de plusieurs millions de dollars pour le livre des Clinton (Le Temps des décisions, 2008-2013, Fayard, 2014) déclare que Huma est « désormais l’un des liants qui maintiennent le monde des Clinton soudé ». Il insiste : « Elle connaît tout le monde et tout le monde la connaît, les forces de chacun comme leurs faiblesses. Elle sait le rôle que chacun a joué et à quel point ce qui s’est passé compte pour une personne engagée dans la vie publique. » Pour John Podesta, le directeur de la campagne Clinton, « Huma est un formidable chef d’équipe. Elle a une personnalité d’une grande richesse, un sens aigu de la stratégie et c’est une collègue idéale. Elle est totalement intégrée dans la campagne et seule son humilité surpasse ses compétences ». Si ses qualités professionnelles font l’unanimité dans le clan Clinton, c’est sa vie privée qui l’a fait connaître du grand public. Anthony Weiner en est à son second mandat de représentant, élu dans le Queens à New York, quand il aperçoit Huma Abedin pour la première fois à Washington, en 2001. Hillary est sénatrice depuis peu. Au New York Times Magazine, qui réalise en 2013 une enquête sur les coulisses de leur mariage, Weiner confiera qu’en la voyant, il s’était demandé : « Ouah, qui est-ce ? »
harcèlement textuel
Pendant un rassemblement du Parti démocrate à Martha’s Vineyard, en août 2001, Anthony Weiner invite Huma Abedin à boire un verre. Elle répond qu’elle a du travail mais Hillary l’en libère aussitôt, intimant aux deux jeunes gens de sortir et de s’amuser. Au cours de la soirée, Huma, qui ne boit pas d’alcool, commande un thé puis s’éclipse aux toilettes. Elle met un temps fou à revenir. « Je me suis dit : “Elle m’a abandonné” », se rappelle Weiner. Ils continuent à se croiser mais la jeune femme n’est pas intéressée. Elle trouve que Weiner n’est qu’un New-Yorkais grande gueule, ambitieux et à l’affût des flashs. Mais en 2007, les opposés finissent par s’attirer. Pendant le discours sur l’état de l’Union de George W. Bush, Weiner se trouve assis entre les sénateurs Clinton et Obama. Huma lui envoie un texto : « Je vous remercie de veiller sur ma patronne. » En 2008, ils sortent ensemble et le 10 juillet 2010, ils se marient, l’ex-président Bill Clinton en maître de cérémonie.
En mai 2011, Huma Abedin accompagne Hillary Clinton et Barack Obama à Londres, avec, au programme, un dîner officiel au palais de Buckingham. Après les festivités, tandis qu’elle regagne la chambre « incroyable » où elle loge au palais, elle écrit à son mari : « Je n’arrive pas à croire à la vie formidablement bénie qui est la nôtre, à ces expériences extraordinaires que nous vivons tous les deux. » C’est un conte de fées. Lequel, quelques jours plus tard, va virer au cauchemar.
Huma reçoit un message de son mari : « Mon compte Twitter a été piraté. » En dépit de ce qu’il affirme à sa femme et aux médias, il ne s’agit pas de ça : Weiner a tweeté lui-même, par erreur, à ses 45 000 abonnés, une photo de son sexe en érection destinée à une étudiante de Seattle de 21 ans. Les journalistes ne le lâchent plus. Huma est enceinte et, désespérant de retrouver une vie privée, le couple se réfugie chez un ami dans les Hamptons le premier week-end de juin. Alors qu’ils emballent leurs affaires pour rentrer à New York, Weiner avoue à sa femme : « C’est vrai. C’est moi. C’est bien une photo de moi, et c’est moi qui l’ai envoyée. » Elle est anéantie. « J’éprouvais un mélange de toutes les émotions imaginables en pareille situation : rage, colère, stupeur… », déclarera-t-elle au New York Times.
À la conférence de presse du 6 juin, Weiner admet avoir envoyé des sextos à six femmes au cours des trois dernières années, mais précise ne les avoir jamais rencontrées. Un employé du département d’État racontera plus tard qu’à Washington, la première réaction des gens a été d’en imputer la faute à Huma. Elle n’était « jamais là », ce qui aurait pu pousser Weiner à se conduire de la sorte. « Elle donnait tellement à Hillary… Que pouvait-il bien rester pour lui ? Ce n’était pas politiquement correct, mais c’est vraiment ce qu’on s’est demandé. » Huma cherche du soutien auprès de Hillary. Après tout, qui mieux qu’elle peut la conseiller sur la conduite à tenir face aux frasques extraconjugales d’un mari ? Le lendemain, Huma est de retour à son poste au département d’État. « Mon travail, c’est ma boussole, explique-t-elle, l’endroit où je peux aller et retrouver une vie normale. » De son côté, Weiner confie au journaliste du New York Times Magazine : « Huma ne veut pas vraiment que je démissionne. Pour elle, la priorité, c’est que nous retrouvions “un semblant de normalité.” »
Mais entre la chef de la majorité, Nancy Pelosi, qui exige sa démission, et les Clinton qui, selon Politico, ne veulent plus entendre parler de lui, Weiner n’a pas vraiment le choix. Il abandonne son mandat dès le lendemain, renonçant par la même occasion à son traitement annuel de 174 000 dollars, ce qui ne laisse au couple que le salaire de Huma de 155 000 dollars du département d’État. Lorsque le scandale éclate, le clan Clinton aide beaucoup Huma. Il faut d’abord dénicher un autre endroit pour que la famille s’installe. Peu après sa démission du Congrès, Weiner vend son appartement de Forest Hills et Abedin le sien à Washington. Grâce à Jack Rosen, un promoteur immobilier new-yorkais, soutien de longue date des Clinton, le couple emménage dans un appartement ensoleillé disposant de quatre chambres sur près de 200 m2 au douzième étage situé au 254 Park Avenue South. Le loyer mensuel est estimé à au moins 12 000 dollars – Rosen explique qu’il a aidé le couple à décrocher l’appartement mais que le loyer est conforme au prix du marché. La presse s’interroge : comment Weiner et Abedin peuvent-ils payer une telle somme, même si Weiner s’est lancé dans le conseil avec Woolf Weiner Associates ? Le couple a déclaré un revenu cumulé de 496 000 dollars en 2012.
L’autre geste consiste à nommer Huma « employée spéciale du gouvernement » (SGE) au département d’État. Ce statut doit lui permettre d’être payée tout en continuant à exercer à son domicile new-yorkais ses activités de consultante, puisqu’elle dispose d’une expertise unique sur « une myriade de sujets politiques, administratifs et logistiques », si l’on s’en tient au document rempli pour motiver sa demande. Et de s’occuper de son bébé, Jordan, né le 21 décembre 2011. Au même moment, elle est embauchée comme consultante par Teneo Holdings, une société internationale en conseil stratégique et investissement cofondée par son vieil ami Douglas Band, lui-même ex-assistant personnel de Bill Clinton. Pendant les sept mois que dure son contrat, elle touche 105 000 dollars. Enfin, elle est rémunérée par la fondation Clinton, pour seconder Hillary dans la planification de ses « activités philanthropiques » et pour être son assistante personnelle.
Le risque de conflit d’intérêts apparaît immédiatement. En avril 2012, après son congé maternité et alors qu’elle postule au statut de SGE, Teneo lui demande d’intercéder en faveur d’une cliente, Judith Rodin, présidente de la fondation Rockefeller, qui convoite un siège au Conseil présidentiel pour le développement global. Cette année-là, la fondation Rockefeller paiera 5,7 millions de dollars à Teneo pour le travail de relations publiques accompli. « [Rodin] attend de nous que nous l’aidions pour être nommé à ça », est-il écrit dans l’objet d’un e-mail entre deux dirigeants de Teneo. « L’équipe [de Valerie Jarrett, conseillère principale d’Obama] est au courant de la demande, mais n’a pas pris d’engagement », détaille un autre e-mail. Quelques mois plus tard, Band écrit à Huma : « Judith Rodin. Soutien d’une grosse fondation [Clinton]/cgi [Clinton Global Initiative] et amie proche de wjc [Bill Clinton]. Teneo la représente également. Peux-tu nous aider ?» (il n’y a pas de réponse d’Abedin dans l’échange d’e-mails et Judith Rodin n’obtiendra pas de siège.
En juillet 2012, Huma, son mari et Jordan, alors âgé de 6 mois, posent pour le magazine People dans leur appartement de Park Avenue South, lequel est mis en vente pour plus de 3 millions de dollars. Dans l’article, Huma proclame : « Depuis [le scandale], Anthony passe chaque jour à essayer d’être le meilleur père et le meilleur mari possible. Je suis fière d’être sa femme. » Peu après, Weiner annonce sa candidature à la mairie de New York. Mais un second scandale de sextos éclate : juste après la publication de l’article dans People, à partir de juillet 2012, il s’est remis à correspondre avec une femme sur les réseaux sociaux. Ce qui lui vaut d’échouer à la primaire démocrate. Ce nouvel épisode signe la fin du soutien des Clinton à Anthony Weiner. « Ils l’ont mis sur la touche », assure un de leurs proches. Mais ce n’est pas le cas de Huma. Rapidement, elle revient au côté de Hillary. Daniel Halper, rédacteur pour le site web du magazine conservateur The Weekly Standard et auteur de Clinton, Inc., un portrait peu flatteur des Clinton, avance que Huma n’a eu d’autre choix que de rester auprès de Hillary après le second scandale des sextos. « Elle commençait à préparer sa sortie, dit-il. Ça l’aurait aidée de devenir la Première dame de New York. Elle aurait pu commencer à bosser pour elle-même, mais bien sûr, son mari l’a totalement baisée. Après ça, elle n’avait plus aucune chance de s’éclipser avec élégance. »
Les quatre salaires de HUMA
En juin 2013, les multiples emplois de Huma attirent l’attention du sénateur républicain de l’Iowa Charles Grassley, membre minoritaire du comité judiciaire du Sénat. Dans une lettre qu’il lui adresse le 13 juin, il affirme que Teneo l’a rétribuée pour collecter des « renseignements politiques » à destination de ses clients, ce que Teneo conteste. Il souligne qu’en plus de son salaire du département d’État de 135 000 dollars (125 000 euros), elle a également été rémunérée « au moins 335 000 dollars » pour ses activités annexes de conseil. Il se dit « préoccupé » par son statut de SGE, craignant que cela ne « brouille la frontière entre les employés du public et ceux du privé ». Il exige des informations sur ses différentes fonctions. Dans sa réponse du 5 juillet, elle nie avoir fourni aux clients de Teneo quelque conseil ou information que ce soit concernant le département d’État. Mais cela ne calme pas Grassley. Il en a plus particulièrement après son statut de SGE. Opposé à sa nomination, il explique qu’à son avis, il n’y a rien d’irremplaçable dans son expertise et que lui attribuer ce statut est contraire à la définition de ce poste créé par le Congrès en 1962. Le département d’État rejette ces objections. Le statut de SGE à Huma Abedin « est conforme aux règles de cet emploi et à son éthique, déclare-t-il. Elle a été retenue pour son expertise en politique, questions administratives et autres. »
Grassley, mécontent de ces réponses, devenu entre-temps président du comité judiciaire du Sénat, s’en prend de nouveau à Huma : il prétend qu’elle a travaillé 244 jours comme SGE, soit bien plus que les 130 jours autorisés par la loi fédérale. « Si le dépassement du quota est justifié, alors elle ne devrait pas être SGE, dit-il. Mais employée à temps plein. » D’après un proche de Huma Abedin, l’inspection générale du département d’État a « mal calculé » le total de jours travaillés comme SGE et Grassley et son équipe « se trompent » quand ils estiment qu’elle a dépassé les 130 jours de travail d’affilée. Au cours de son audition, elle rappelle qu’elle a reçu une approbation verbale pour le temps travaillé. Grassley continue néanmoins à sonder les conflits d’intérêts potentiels de la période pendant laquelle Huma Abedin percevait quatre salaires en même temps. « Nous savons qu’elle a organisé des dîners pour la secrétaire d’État Hillary Clinton et ses employeurs du secteur privé et qu’elle leur a écrit avec des adresses électroniques officielles », dit-il.
En enquêtant sur le statut de SGE d’Abedin, le sénateur découvre que l’inspection générale du département d’État a lancé une enquête pénale en octobre 2013 afin de déterminer si la collaboratrice de Hillary a demandé sciemment le paiement d’heures non travaillées durant ses vacances et son congé de maternité. Le rapport très expurgé de l’enquête, daté de janvier 2015, s’intitule « Huma Abedin. Détournement de fonds ». Concrètement, l’inspection générale a découvert qu’elle avait perçu une somme forfaitaire de 33 140,03 dollars (soit 20 331,42 dollars après impôts) après avoir, peut-être, communiqué « des relevés d’heures faux ou inexacts ayant déclenché le paiement d’heures qui auraient dû être comptabilisées en maladie et/ou en congés annuels. » Le ministère de la Justice n’a pas entamé de poursuites.
Le rapport indique clairement le flou qui a entouré son autorisation à prendre un congé maternité et la légitimité d’émoluments perçus pendant le voyage en Italie qu’elle a fait avec son mari au milieu de sa grossesse, en août 2011. Elle y précise aux enquêteurs : « Nous recevions des coups de fil tous les jours, des e-mails… J’avais l’impression d’être tout le temps en téléconférence. Je me souviens très bien d’une de nos promenades au cours de laquelle je suis restée au téléphone de bout en bout. » Le rapport de quelque 160 pages conclut qu’elle doit rembourser 10 674,32 dollars au département d’État, soit l’équivalent de 72 jours de travail.
Les assauts répétés de Grassley contre Huma n’émeuvent pas spécialement l’entourage des Clinton. « Évoluer dans leur monde, c’est s’exposer à des attaques personnelles et à des enquêtes, explique un observateur de longue date. C’est prévisible et quand ça arrive, on y fait face. Huma n’a rien fait de mal et n’a aucune raison de s’inquiéter. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle ne sera pas encore la cible d’attaques. » Un autre résume simplement : « Le sénateur Grassley n’aurait pas poursuivi Huma si elle n’était pas une collaboratrice clé de la secrétaire d’État Clinton. » Grassley trouve la condamnation ridicule et affirme qu’il n’a pas l’intention d’abandonner ce combat avant d’avoir recueilli plus d’informations sur Huma Abedin et le département d’État. Les avocats du comité judiciaire tentent bien d’organiser un rendez-vous avec Michel Rodríguez, le conseil de Huma, mais il est sans cesse reporté, chaque partie affirmant que l’autre en est responsable. « Je me dois d’être fidèle à ma réputation, explique Grassley. Je ne renonce pas. »
Pour Michel Rodríguez, « ni la loi ni les faits ne corroborent les allégations sans fondement du sénateur Grassley, pas plus que les conclusions qu’il en tire. Il est décevant que le sénateur et son équipe persistent à diriger une campagne partisane contre Mme Abedin, qui se distingue depuis le début de sa carrière par son ardeur au travail, son intégrité et son excellente réputation. S’il y avait plus de gens comme Mme Abedin dans le service public, on ne s’en porterait que mieux. »
Reste encore à voir s’il est acceptable pour Hillary Clinton d’avoir une directrice adjointe de campagne suspectée de conflit d’intérêts. Lorsque je demande à un fin connaisseur des Clinton si Huma peut devenir un handicap pour Hillary, celui-ci répond : « Pas plus qu’autre chose. Je ne pense pas, mais après tout, je n’en ai aucune idée. Hillary est très fidèle, mais elle est pragmatique avant tout. »
Qu’ils sont loin les jours simples de 2011, comme ce samedi de décembre où, juste avant midi, Huma envoyait à Hillary une dépêche d’Associated Press au sujet des hommes armés qui avaient essayé d’assassiner le chef de l’armée libyenne, le général Khalifa Haftar, et que pour toute réponse, une heure plus tard, elle recevait : « Tu as eu les infos de Chelsea sur les appliques ? » Chelsea lui avait en effet envoyé un lien à ce sujet. Huma avait alors répondu à son tour : « Elles sont magnifiques, mais bien trop chères pour moi ! » Et Hillary d’ajouter, plus tard cet après-midi-là : « Mais tu as regardé les autres sur le site web de la marque ? Tu peux m’appeler à la maison ?