Kouachi, Coulibaly, Merah… Comment ils sont parvenus à endormir les soupçons

 

Pour préparer un attentat sans éveiller de soupçons, les terroristes utilisent la technique de la taqiyya, théorisée par des gourous islamistes.

Les frères Kouachi et Amedy Coulibaly (à droite) (Montage - Sipa - DR)Les frères Kouachi et Amedy Coulibaly (à droite) (Montage – Sipa – DR)
 

En public, Chérif Kouachi serrait, sans déplaisir apparent, la main aux femmes. Sur son téléphone personnel, il se laissait écouter par les services de renseignement, organiser ses petits trafics de vêtements et parfums contrefaits. Bref, il faisait tout pour passer pour un délinquant de petite envergure, qui ne ferait pas de mal à une mouche.

Amédy Coulibaly lui essayait de décrocher un emploi au sein de la multinationale américaine Coca-Cola, professait dans les colonnes d’un journal local son « plaisir » d’être invité à l’Elysée sous Nicolas Sarkozy avec 500 autres jeunes en insertion et ne revêtait qu’exceptionnellement le kamis, la tunique traditionnelle des religieux musulmans. Lui aussi faisait tout pour passer pour un jeune certes turbulent mais toujours accroché aux espoirs d’une vie meilleure.

Jérémie-Louis Sydney, le caïd du gang Cannes-Torcy. 

 

Un sens aigu de la dissimulation

Les deux frères Kouachi et leur pote Coulibaly ont pourtant massacré dix-sept personnes entre le 7 et le 9 janvier dernier dans la région parisienne, avant d’offrir délibérément leurs corps aux balles des forces de l’ordre dans ce que l’on appelle aux Etats-Unis, un « suicide by cops« , une volonté de trouver la mort sous les balles de la police. Le tout, accompli au nom d’Allah.

Comme Mohamed Merah, le tueur à scooter de Toulouse, trois ans avant eux, les trois terroristes ont réussi à préparer leur blitz macabre sans éveiller les soupçons grâce à un sens aigu de la dissimulation, un art enseigné dans les pires écoles de l’islam radical. Une pratique théorisée au nom de la religion, par les gourous les plus fanatiques du terrorisme islamiste et enseignée sous le nom de taqiyya.

 

Il y a un an et demi, « l’Obs » avait enquêté sur cette redoutable technique, ce terrorisme de la ruse, devenue la hantise de tous les services antiterroristes occidentaux.

Il s’appelle Jamal Zougam. Il est marocain et purge aujourd’hui une peine de prison à vie pour sa participation aux attentats de Madrid en 2004. Pendant onze ans, Zougam, immigré en Espagne, a géré paisiblement une petite boutique de téléphones à Lavapiés, un quartier populaire du centre de Madrid. Personne dans son entourage ne soupçonnait que ce beau gosse à la réputation de tombeur entretenait depuis quatre ans des liens très étroits avec le mouvement djihadiste.

« Il aimait l’alcool, les femmes, les discothèques et semblait parfaitement intégré dans la société espagnole », relève un rapport d’analyse de la police américaine sur le processus de radicalisation en Occident, rédigé en 2007. C’est pourtant Zougam qui avait mis au point les détonateurs des bombes placées dans les gares madrilènes, en mars 2004, tuant près de 200 personnes.

Jamal Zougam au tribunal à Madrid, en 2007.(JUANJO MARTIN / SIPA)Jamal Zougam au tribunal en 2007. (JUANJO MARTIN / SIPA)

La taqiyya, une aubaine pour les djihadistes

Le dossier Zougam fait aujourd’hui figure de cas d’école étudié par tous les services antiterroristes, notamment en France. « Il est l’exemple parfait du terroriste passé maître dans l’art de la dissimulation, explique un haut responsable français de la lutte antiterroriste. Dans la sphère djihadiste, on appelle cette technique la taqiyya ».

De quoi s’agit-il ? Au départ, le concept est purement religieux. « La taqiyya a été articulée par des clercs chiites lorsque cette minorité de l’islam était pourchassée par des sunnites à certaines époques de l’histoire, explique le chercheur Mohamed-Ali Adraoui. Les savants se basaient souvent sur « les Abeilles », une sourate du Coran qui légitime la dissimulation de la croyance. La taqiyya est une tactique consistant à faire mine d’abjurer sa foi quand on y est obligé pour survivre. »

Valider religieusement le décalage entre l’apparence que l’on donne et ce que l’on a véritablement dans le cœur ? Une aubaine pour les djihadistes.

Dans la tête d’un terroriste, il y a l’idée que l’islam est attaqué, poursuit Mohamed-Ali Adraoui. Son devoir est de se défendre, et tout est permis pour triompher, même s’il faut pour ce faire ne respecter aucun des préceptes et rites de l’islam. »

Al-Qaida s’est emparé de cette tradition chiite dès les années 1990. La nébuleuse terroriste se met alors à enseigner l’art de la taqiyya, devenu un art de la guerre, dans ses camps d’entraînement afghans. L’un de ses étudiants les plus célèbres est l’Egyptien Mohammed Atta. Celui qui deviendra le coordinateur de l’attentat contre les tours du World Trade Center se rase la barbe et proscrit tous propos radicaux après avoir suivi sa formation dans les camps d’Oussama Ben Laden fin 1999. Même repéré de longue date par la CIA, il parviendra à tromper son monde jusqu’au 11 septembre 2001.

Un brûlot de 1.200 pages théorisant le djihad individuel

Ces dernières années, un nouveau théoricien du terrorisme islamiste a relancé cet art de la dissimulation validé par les imams radicaux. Son nom : Mustafa Nasar alias Abou Moussab al-Souri. Cet Hispano-Syrien est un vétéran des maquis afghans, ancien « dircom » de Ben Laden avant le 11-Septembre. Arrêté fin 2005 au Pakistan par la CIA, il est remis entre les mains des services syriens.

Propagandiste dans l’âme, Abou Moussab le Syrien va profiter de sa détention à Damas pour publier sur internet, en 2008, un « Appel à la résistance globale islamique », un brûlot de 1.200 pages théorisant le djihad individuel. Pour lui, l’ère des actions terroristes de grande ampleur, minutieusement orchestrées par une escouade de militants, est terminée. Le terroriste nouvelle vague doit tout décider et exécuter seul. Pour y parvenir, la dissimulation est évidemment conseillée et théorisée.

Petit à petit, la thèse fait son chemin chez les fous d’Allah. La taqiyya est même la doctrine officielle d’Al-Qaida dans la péninsule arabique (Aqpa), la franchise Ben Laden implantée au Yémen.

Cette branche du djihadisme international ne recrute pas à proprement parler, explique un magistrat spécialisé. Elle n’incite personne à venir la rejoindre sur le terrain, n’envoie aucun combattant dans des filières combattantes. Sa cible, c’est la jeunesse occidentale. Aqpa est passé maître dans la formation par internet de « loups solitaires » dans les pays occidentaux. »

Le « Vanity fair » du djihad

Son arme de propagande ? Un élégant magazine, tout en anglais, avec photos en couleurs de martyrs rayonnants et titres accrocheurs, une sorte de « Vanity Fair » du djihad. Sa dernière livraison, fin 2012, comportait sur quatre pages un article titré « Qualités d’un assassin urbain », sorte de vademecum pour apprentis terroristes occidentaux. L’auteur, au pseudonyme évocateur de « Fils de l’assassinat », y exposait les rudiments de la taqiyya : le bon terroriste se caractérise par « son habileté à se fondre dans la société moderne […], écrit-il. Il ressemble à un citoyen ordinaire habillé comme tout le monde. Au lieu d’apparaître radical en religion, il peut se couper ou se raser la barbe à un niveau acceptable dans la société où il vit ». Et de donner quelques conseils précis sur le comportement à avoir en société :

Parlez avec tout le monde. Plus vous êtes silencieux, plus vous apparaissez dangereux. »

Ces dernières années, cet art de la dissimulation religieuse s’est révélé meurtrier. Selon les autorités américaines, il aurait directement inspiré Nidal Malik Hasan, l’officier de l’armée américaine qui a abattu treize de ses collègues dans la base de Fort Hood en 2009, un mois avant d’être muté en Afghanistan. En France, les analystes du terrorisme voient clairement dans le cas Mohamed Merah, le tueur de Montauban et de Toulouse, l’ombre d’une pratique rompue de la taqiyya. « A sa sortie de prison en septembre 2009, note un responsable policier, alors qu’il est déjà dans l’islam radical jusqu’au cou, il prend soudain ses distances avec la mosquée Bellefontaine du Mirail, un repaire d’islamistes toulousains qu’il devine trop voyant. »

Merah travaille son image de petite frappe des cités

Connu pour ses liens avec la mouvance djihadiste du Sud-Ouest, Merah cherche à sortir des radars. Mis à part quelques altercations violentes et la conduite d’une moto sans permis, le jeune homme évite de se faire remarquer. Il travaille son image de petite frappe des cités, porte des caleçons Calvin Klein et se parfume au Lolita Lempicka. Merah sort en boîte, va même faire du ski avec un ami dans le Jura. Un jeune comme les autres, malgré un faux pas en 2010, lorsqu’il est convaincu d’avoir obligé un adolescent de 15 ans à regarder avec lui des vidéos d’Al-Qaida. Il s’en sort en expliquant son goût pour la violence.

Mohamed Merah dans une vidéo diffusée par Franec 2.Mohamed Merah dans une vidéo diffusée par France 2 (France 2 / AFP)

C’est ce profil de jeune adulte déstructuré qui a induit en erreur la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et l’a incitée à lever la surveillance. Les agents locaux du service, qui nourrissaient de lourds soupçons sur la « dangerosité potentielle élevée » du garçon, avaient demandé la transmission de son dossier à la justice. Mais, à Paris, la centrale, flouée, n’avait pas jugé bon de leur répondre.

Retranché dans son appartement quelques heures avant d’être abattu les armes à la main, Merah lâchera au négociateur de la DCRI : « C’est pas l’argent le nerf de la guerre, c’est la ruse ! »

Olivier Toscer

Olivier Toscer

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Article paru dans « l’Obs » du 28 février 2013

Publié le 29-01-2015 à 14h49

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michel boissonneault

pourquoi ce casser la tête avec les muzz….c’est plus simple de faire confiance a aucun POINT