Charlie : l’émotion ne doit pas faire oublier l’ennemi qui nous menace

FIGAROVOX/CHRONIQUE- Un an après les attentats de Charlie Hebdo, André Bercoff revient sur la France d’avant Charlie et s’inquiète de voir l’émotion remplacer la lutte contre ceux qui ont frappé le 7 janvier et le 13 novembre.


André Bercoff est journaliste et écrivain. Son dernier livre Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et moi est paru en octobre 2014 chez First.


Un an, jour pour jour. Le 7 janvier 2015, une section d’assaut au cerveau mûrement lessivé par un radicalisme se parant des atours d’une religion, a fait ce qu’elle estimait être son devoir: tuer des journalistes «blasphémateurs». Jusqu’ici, dans la France des Lumières et de Voltaire, du Canard Enchaîné et de Hara-Kiri, de Léo Ferré et de Pierre Desproges, de Brassens et de Coluche, et en dépit de toutes les censures gouvernementales, législatives ou associatives, l’on pouvait cheminer tranquille en affirmant, sur tous les tons, que le roi est nu, que Dieu est mort, que son fils est égaré et que l’on peut rire de tout, sinon avec n’importe qui. S’il y avait des manifs, des protestations, des procès et des condamnations, cela n’avait jamais dépassé le stade du lancer de tomates ou d’une amende plus ou moins lourde

Mais voilà que les frères Kouachi, bien formatés, bien embrigadés, bien entraînés, comme tous les autres, de Bruxelles à Toulouse, de Raqqa à Mossoul, de l’Isère à Paris, rejoignent, en trois minutes de fusillades, les glorieux Waffen SS dans leur solution finale du problème de l’information, les agents de la Guépéou stalinienne dans leur castration de toute parole dissidente, et autres tueurs de dictatures ensanglantées qui ont toujours commencé par détruire les mots en éliminant leurs auteurs.

On croyait, dans nos belles démocraties, en avoir fini avec les Inquisitions de tout poil ; les fabricants d’excuses nous serinaient inlassablement qu’il n’y avait aucun fanatique à l’horizon, simplement des égarés solitaires que nos gouvernements allaient ramener, à coups de subventions, d’associations et de vivre-ensemble, dans le droit chemin. On sait ce qu’il en est advenu: le 7 janvier 2015 n’était que la répétition générale du 13 novembre, qui ne fut lui-même que la première des prochains abîmes à l‘horizon d’une guerre de culture et de civilisation que la plupart n’ont pas voulu voir venir et surtout continuent de nier avec la force aveugle du désespoir complice.

Donc, on commémore. Et c’est une bonne chose. On n’est plus, aujourd’hui, des millions à arpenter les rues des grandes villes du royaume: on rend hommage, chacun dans son coin, devant son écran de télévision, à l’innommable qui paraissait encore, il y a un an, une exception, et qui, depuis deux mois, est devenu une terrifiante probabilité. Les cérémonies sont certes nécessaires et les fleurs et les bougies, et pourquoi pas les concerts et Johnny, et le souvenir qui se doit de perdurer, et la douleur, et l’incompréhension et l’indignation. Le gouvernement prend des précautions, instaure l’urgence, veut sincèrement nous protéger. On nous inonde d’émotion et de soins, mais, dans le même temps, on ne nous dit surtout pas que c’est la guerre. Les ennemis ne sont pas nommés ni désignés: cela s’est encore vu il y a quelques jours avec ce qui s’est passé à Valence, où le «padamalgam» et le «pas de stigmatisation» ont pris le pas, dans les médias et dans le juridique, sur l’information et le décryptage.

Faut-il répéter qu’il ne s’agit en aucun cas d’incriminer une communauté – ce qui serait lamentablement absurde – mais de caractériser l’agresseur, son idéologie, sa redoutable efficacité langagière et spectaculaire, sa réussite à convaincre des dizaines de milliers de gens de la nécessité d’aller au combat et au sacrifice, parce que le califat scintille déjà au bout du tunnel. Albert Camus disait à peu près que ne pas nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. Aujourd’hui, il y a plus grave: non seulement on ne nomme pas les choses, mais on les déforme, on les retourne, on les travestit, et surtout on les nie. Et on noie le tout dans l’alcool douceâtre de l’émotion commémorative. Et c’est ainsi peut-être que l’on meurt guéri.

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martin54

bien vue!!