Interview d’Alain Besançon

Alain Besançon, né le 25 avril 1932 dans le 6e arrondissement de Paris, est un historien français, membre de l’Institut, directeur d’études à l’EHESS, à l’Institut d’histoire sociale et à la Nouvelle Initiative Atlantique. Ancien communiste à la fin de l’époque stalinienne, il est rapidement passé à une position d’analyse critique de l’idéologie communiste et, plus généralement, de la question du totalitarisme.

S’ajoute à ses centres d’intérêt une spécialité dans l’histoire du christianisme. Alain Besançon, lui-même revenu au catholicisme après plusieurs années au Parti communisme, étudie les résurgences d’hérésies anciennes dans l’Église contemporaine, ainsi que l’influence exercée sur la foi catholique par le socialisme et l’islam (Trois tentations dans l’Église, 1996). Au fil de son œuvre, il échafaude une approche méthodique, chrétienne et pluridisciplinaire du « Mal moderne » : dans son approche du totalitarisme, la tradition théologique vient épauler la recherche historique et la réflexion philosophique.

Dans L’Image interdite (Fayard, 1994), il étudie l’iconoclasme, mouvement multiforme qui condamne et détruit les images au nom de la lutte contre l’idolâtrie. Il explique, en Orient comme Occident, les raisons de cet anathème, qu’on retrouve chez Platon, à Byzance autour de 843, chez le théologien Calvin, chez le philosophe Hegel et jusqu’au peintre Malevitch. Car l’abstraction, contrairement au réalisme socialiste, manifeste une méfiance vis-à-vis des images, pour faire apparaître une « réalité invisible » (p. 497).

 

Syrie21

 

LE FIGARO. – Dalil Boubakeur a déclaré sur Europe 1 : « Chrétiens et musulmans ont le même Dieu. Ce sont des rites qui sont voisins, fraternels… » Partagez-vous cette vision ?

Alain BESANÇON. – Ce propos est très flou. Beaucoup de religions ont théoriquement le même Dieu. Mais on trouve dans le Coran des malédictions contre les chrétiens, les juifs qui montrent que s’il s’agit du même Dieu, les chrétiens et les musulmans n’ont pas le même rapport avec ce Dieu. Je n’ai rien contre la religion musulmane. Il faut respecter les musulmans dont personne n’a jamais dit qu’ils étaient moins vertueux que des chrétiens mais il faut savoir qu’ils appartiennent à une religion qui est incompatible avec le christianisme. Ce sont des religions différentes.

 

Pourquoi ?

La religion chrétienne a des dogmes qui définissent ce qu’un chrétien doit croire : la trinité, l’incarnation, la rédemption. Dans l’islam ces trois dogmes fondamentaux sont niés. Et c’est à Jésus qui figure dans le Coran, à un Jésus musulman, qu’est confié le soin de proclamer qu’il n’est pas Dieu, qu’il n’est pas incarné et qu’il n’est pas mort sur la croix. Ce Jésus musulman dont la mission est de nier les dogmes du christianisme n’empêche pas certains catholiques de se féliciter qu’il figure dans le Coran !

 

Les juifs aussi ne reconnaissent pas la divinité de Jésus…

Les liens entre la religion juive et la religion chrétienne sont différents des liens avec l’islam. Pour les chrétiens, il y a une continuité entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. Le christianisme naît d’une annonce juive (le messie) et les titres de créances de la religion catholique sont tous dans l’Ancien Testament. En outre, il y a une matrice de compréhension commune au christianisme et au judaïsme. Cette matrice est la notion d’alliance entre Dieu et son peuple. Cette notion d’alliance n’existe pas dans l’islam. Il n’y a pas l’équivalent dans cette religion de l’alliance passée avec Abraham, Moïse et le Christ. Enfin la prière du christianisme est fondamentalement celle des juifs, c’est-à-dire les psaumes. Il faut rappeler que les écritures juives et chrétiennes sont considérées, dans l’islam, comme des écritures falsifiées. Dans le monde musulman, la Bible n’est pas éditée. Elle est interdite parce qu’elle est considérée comme fausse. Ce qui reste valable dans la Bible se trouve dans le Coran, pas dans la Bible.

 

On parle pourtant des trois religions du livre…

C’est un contresens complet. Il s’agit d’une expression du droit musulman. Les musulmans considèrent qu’il y a des religions fondées sur des livres : le christianisme, le judaïsme, les sabéens (il en subsiste encore au Moyen-Orient) et les zoroastriens. Voilà le sens de cette expression « religion du livre ». Elle distingue les gens du livre de ceux qui n’en ont pas. Ceux qui n’en ont pas sont des kafirs (mécréants) qui peuvent être tués ou réduits en esclavage. Ceux « du livre » peuvent garder leur vie et leurs biens moyennant des discriminations. C’est ce qu’on appelle le statut de dhimmi dont jouissent les juifs et des chrétiens en pays d’islam. C’est un statut de droit défini.

 

Faut-il donner au culte musulman les églises désaffectées ?

J’ai lu une phrase extraordinaire de Mgr Dubost, évêque d’Évry. Il a dit : « Dans le principe, je préférerais que des églises désaffectées soient transformées en mosquée plutôt qu’en restaurants. » Cet évêque catholique considère donc qu’il n’est pas bon que les gens puissent se réjouir en se retrouvant ensemble au restaurant. Il trouve plus beau, plus sublime et plus digne que des personnes rendent un culte à une religion qu’en principe, comme évêque catholique, il considère comme fausse. Cette phrase gomme l’incompatibilité entre islam et catholicisme. Elle témoigne d’une sorte de malveillance à l’encontre d’une population qui choisirait de transformer son ancien lieu de culte pour se réjouir innocemment au restaurant plutôt que de le confier aux musulmans. Cette phrase est prodigieuse.

 

Les catholiques sont naïfs sur l’islam ?

Il est normal que les catholiques aient le plus grand respect pour les musulmans comme ils doivent en avoir pour tout un chacun. Vis-à-vis de l’islam comme religion, il y a des formulations un peu étranges. « Nous respectons la religion musulmane », entend-on souvent. Qu’on respecte les hommes oui, c’est normal, mais autre chose est de respecter une religion qui nie le christianisme et qui le fait très franchement et qui a le droit de le faire. C’est le droit des musulmans de penser que l’Église nous trompe et se trompe mais que l’Église loue et respecte l’islam pour cela c’est un peu déroutant. Cela ne date pas d’hier. Durant le concile Vatican II la déclaration Nostra Aetate semble déjà donner une préférence à l’islam par rapport aux autres religions non chrétiennes et aux agnostiques de notre monde. Cela est paradoxal parce que les autres religions non chrétiennes ont une chance de devenir chrétiennes un jour. C’est ce qu’on appelle la praeparatio evangelica. La religion gréco-romaine est devenue chrétienne. Les religions germaniques et certaines religions asiatiques sont dans ce cas. Mais l’islam n’est pas une praeparatio evangelica. Au contraire, l’expérience de quinze siècles montre que les conversions de l’islam vers le christianisme n’ont pas été faciles. On a vu d’innombrables conversions du christianisme vers l’islam, mais l’inverse est très rare. Ce qu’on a surtout vu c’étaient des affrontements très violents où les musulmans chassaient de chez eux les chrétiens et où les chrétiens expulsaient les musulmans. On a expulsé les musulmans d’Espagne, de Malte, des Balkans, et de leur côté les musulmans ont converti l’Afrique du Nord et aujourd’hui ils expulsent les chrétiens des régions qui sont les plus vieilles de la chrétienté.

 

Comment organiser l’islam en France ?

La France laïque est d’origine catholique. Elle a eu affaire à un catholicisme dur avec lequel elle a trouvé un accord et elle pense qu’elle peut trouver ce même accord avec les musulmans. Preuve une fois encore du refus de la société française de considérer que l’islam ne peut pas être traité comme on a traité la religion catholique. Avec les catholiques, il y a eu les concordats, puis la séparation de l’Église et de l’État. On a satisfait par ces dispositions les juifs et les chrétiens. Mais il n’est pas du tout certain que les musulmans acceptent ces dispositions. Prenons un exemple : on passe notre temps à demander une réciprocité. Sous le prétexte que de nombreuses mosquées s’élèvent en France, on voudrait que les pays musulmans fassent de même avec les églises. Mais on ne peut pas demander à ces sociétés d’accepter une religion qu’ils considèrent comme fausse et qu’ils veulent résolument convertir. Cette demande de réciprocité est un signe de l’ignorance de l’islam par nos autorités laïques ou chrétiennes. Souvenons-nous que la liberté religieuse n’a été consentie par les chrétiens que récemment. Il a fallu attendre Napoléon. Souvenons-nous que l’Église catholique n’a accepté en principe la liberté religieuse que depuis Vatican II, il y a seulement un demi-siècle. La France est une société laïque. Il serait avantageux pour elle de bien connaître l’islam et de le faire connaître aux Français. Qu’elle explique que l’analogie avec le catholicisme n’est pas opérante. Nous devons apprendre à connaître cette religion. Il est souhaitable que les catholiques connaissent aussi la leur car c’est seulement en connaissant la leur qu’ils prendront conscience de ce qu’est l’islam. Il faut nous entendre sur les vertus communes : l’honneur, le mérite, la famille, l’honnêteté, la bonté, la bravoure… Qui existent autant chez tous les hommes, chez les chrétiens, les laïcs et les musulmans. Il faut collaborer sur la base de vertus communes, et non pas sur la base de religion commune parce que les deux religions ne sont pas communes. C’est la même humanité, ce n’est pas la même religion.

 

 

Propos Recueillis Par Vincent Tremolet De Villers dans Le Figaro  du 22 juin 2015

 

lefigaro.fr/vox/societe

 

 

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

2 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
yatin

Si je puis me permettre de répondre, en espérant ne pas trahir la pensée de l’auteur,
c’est que le Coran emprunte de nombreux textes et des idées venus de l’enseignement biblique mais que l’inverse n’est bien entendu absolument pas vrai et logiquement puisque le Coran est écrit après la Bible : Torah et Évangiles d’ailleurs! Et ceci est fondamental car il y a un irrespect absolument effrayant avec le Coran en ce qui concerne l’histoire et par conséquent la généalogie des textes, leur origine et le véritable sens qui découle du contexte….

Carrière Philippe

Monsieur Besançon , j’ai mis en archives vos propos , une seule phrase m’est incompréhensible , je cite :
Ce qui reste valable dans la Bible se trouve dans le Coran , pas dans la Bible .
Pourriez-vous me l’expliquer ?
D’autre part , dans les propos de Monseigneur Dubost j’ai ressenti du mépris si ce n’est de la haine pour les laïcs ,
sa phrase me fait très peur …
en vous remerciant de bien vouloir me répondre ,

Philippe Carrière