Le captagon, cette drogue qui inonde le Moyen-Orient

Des comprimés de Captagon saisis à Sofia, en BulgarieDes comprimés de Captagon saisis à Sofia, en Bulgarie Photo :  Reuters / Nikolay Doychinov

De la Syrie à l’Arabie saoudite, en passant par la Jordanie, le captagon suscite crainte et convoitise. Ce dérivé d’amphétamines permet autant aux réfugiés syriens de fuir leur pénible quotidien qu’aux djihadistes de commettre les pires atrocités, le sourire aux lèvres. Et ce serait la principale source de financement du groupe armé État islamique.

À la barre cette semaine de l’émission Désautels le dimanche sur ICI Radio-Canada Première, Frank Desoer en a discuté avec le journaliste indépendant Julien Fouchet, qui a enquêté sur le trafic de ces comprimés. Entretien en 6 questions pour comprendre.


1. Qu’est-ce qui vous a poussé à enquêter sur le sujet?

Ce qui m’a d’abord frappé, c’est de voir tous les jours dans la presse d’Amman des rapports sur des coups de filet de la brigade des stupéfiants, qui en trouve dans des voitures, des extincteurs, voire des olives.

Les chiffres sont impressionnants : on parle de dizaines de milliers de pilules saisies chaque jour en Jordanie. En Syrie, que ce soit les groupes armés rebelles, l’armée syrienne libre, l’armée du régime, Jabhat al-Nosra, l’État islamique, tous les combattants semblent en prendre.


2. Quelle sensation procure cette drogue?

C’est un dérivé d’amphétamine, la molécule fénétylline, qui permet de rester éveillé, qui donne des hallucinations, mais surtout qui désinhibe, permettant, pourrait-on dire, de décapiter, d’égorger… sourire aux lèvres.

Dans un autre ordre d’idées, en Arabie saoudite, l’alcool est interdit, mais les autorités saoudiennes ne savent pas très bien quel statut donner à cette substance, drogue ou médicament (d’ailleurs interdite dans les années 80 dans la plupart des pays du monde).

L’explication qu’on nous donne généralement, c’est que les Saoudiens sont des gens qui prient très tôt et se couchent très tard, et donc prennent ce qui – à leurs yeux – est moins considéré comme une drogue.


3. Est-ce une source importante de revenus pour le groupe armé État islamique?

Oui, pour prendre la mesure de ce trafic, ce qui est intéressant, c’est de voir la progression des saisies depuis le début de la guerre. Elles ont été multipliées par six, passant de 5 millions de comprimés en 2010 à 30 millions l’an dernier.

Les pilules proviendraient, selon la brigade des stupéfiants jordanienne, de Syrie, transiteraient par la Jordanie pour atteindre le marché des Émirats et surtout celui de l’Arabie saoudite. En Jordanie, chaque pilule est vendue un peu moins de 2 $ canadiens (un dinar), alors qu’en Arabie Saoudite, il en coûte entre 21 et 28 $. On parle d’un chiffre d’affaires de 1 milliard de dollars cette année. C’est certainement une de leurs sources de financement.

On parle beaucoup du pétrole, des antiquités, des rançons […] Il est compliqué de dire exactement ce qui rapporte et combien. Les groupes armés ont des frais, mais une chose est certaine : faire la guerre au captagon, c’est faire la guerre au terrorisme.


4. Où est produit le captagon?

C’est très difficile à savoir. À l’origine, c’était en Europe de l’Est, en Bulgarie, qu’on en produisait clandestinement. Une partie de la production s’est ensuite déplacée au Liban, dans la vallée de la Bekaa, une zone contrôlée par le Hezbollah, frontalière avec la Syrie.

Aujourd’hui, l’usine s’est agrandie, mais difficile de dire si c’est l’État islamique dans le nord du pays, l’armée syrienne libre dans le sud ou l’armée du régime à l’ouest. C’est compliqué. En tout cas, chaque groupe accuse l’autre d’en faire le commerce à grands coups de vidéos de propagande.

Écoutez l’entrevue de Frank Desoer avec le journaliste indépendant Julien Fouchet àDésautels le dimanche, le 12 juillet dès 10 h, sur ICI Radio-Canada Première.

5. À qui sont destinés les comprimés?

Les réfugiés syriens que j’ai rencontrés, qui prennent du captagon, sont un peu comme un dommage collatéral de ce trafic. Ces millions de pilules qui transitent du nord au sud par la Jordanie profitent aux petits dealers et permettent à certains jeunes consommateurs, qui ne peuvent travailler et ne voient pas la fin de la guerre, de s’évader, d’oublier leur vie misérable pour peu cher.


6. Vous avez accompagné des policiers jordaniens dans une opération assez spectaculaire. Qu’avez-vous vu? 

J’avais déjà vu les astuces des trafiquants à la frontière saoudienne, les olives dont on remplace le noyau par des pilules m’avaient particulièrement impressionné. Donc, quand ils m’ont appelé, ils venaient de saisir un 4X4 dont la carcasse était entièrement garnie de sacs de comprimés. Le démontage de la camionnette a duré plus de deux heures. On en a trouvé dans la benne, les sièges, même dans le moteur; en tout, 3 millions de pilules!

Eh bien, malgré cette victoire, le chef de la brigade des stupéfiants estime que la lutte est vaine, à cause du manque de moyens dédiés à la lutte, et du manque de communications entre Saoudiens, Européens et Américains. Selon lui, 80 % du captagon voyage sans encombre.

Le documentaire Captagon : Breaking Bad au Moyen-Orient est offert en ligne sur le site du webmagazine français par abonnement Spicee.com.
Mise à jour le samedi 11 juillet 2015 à 10 h 12 HAE

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