Pour étudier les origines de la présence juive dans le royaume franc il faut en finir avec les idées reçues : les juifs seraient arrivés en France au début du Moyen Age. D’après la légende, les premiers seraient arrivés en Gaule après la chute du Second Temple de Jérusalem en 70 de notre ère. On trouve des traces de présence juive au IIe et IIIe siècle, la majorité se fixe sous les Mérovingiens à partir du Ve siècle.
Une deuxième allégation affirme que les premiers arrivés seraient venus par la mer et se seraient installés d’abord à Marseille. En fait, ils sont venus de Rome par voie de terre et sont installés d’abord dans la vallée du Rhône puis dans le nord de la France et en Bretagne, avant de redescendre vers le sud.

L’arrivée des juifs par la mer ?
Une très ancienne légende juive raconte qu’en 70 de notre ère après la destruction du second Temple de Jérusalem, des exilés juifs sont embarqués par les Romains sur trois bateaux à destination de la Gaule : pour Arles, Lyon et Bordeaux.
1. Le Second Temple a été inauguré en -516 grâce à l’action favorable du roi perse Cyrus. Le retour des juifs vers leur royaume s’est réalisé de façon progressive. La fin du Second Temple marque la fin de la vie juive en Judée et le début de la Seconde diaspora.

De quelque côté qu’on jetât les yeux, on ne voyait que fuite et carnage.

En effet, Arles et Lyon sont alors considérés comme deux ports de mer. Cette histoire est significative de ce que représente l’horizon gaulois pour les juifs d’Eretz Israël aux premiers siècles de notre ère : une terre au bout du monde, un lieu de relégation, un pays très mal connu que n’ont pas atteint les circuits de la Diaspora.

Cette ignorance est normale : l’extrême occident, Gaule et péninsule ibérique, reste alors inconnu des gens du Levant. Il faut d’abord passer par Rome : la première présence juive à Rome remonte à la fin des IIe s avant notre ère.

Pour retracer les débuts très tardifs et très obscurs du judaïsme en Gaule, nous ne disposons pas de vestiges monumentaux avant l’époque carolingienne (VIIIe siècle), ni aucune trace archéologique de synagogue.

Inscription funéraire de Narbonne (689)

Il y a cependant les témoignages dispersés d’inscriptions et d’objets archéologiques (lampes et bagues) de l’époque chrétienne. A partir du IVème siècle les juifs sont pris en compte dans les canons des conciles et dans la correspondance des évêques et des historiens gallo-romains.
Aux trois premiers siècles, l’identification des juifs reste problématique puisqu’ils cultivent la langue grecque. Les noms bibliques et surtout le symbole du chandelier à sept branches restent les meilleurs signes de l’identité juive.
Selon le témoignage de l’historien Flavius Josèphe deux des fils du roi Hérode sont exilés par l’empereur Auguste en Gaule à cause de leur incapacité à administrer les provinces confiées et à intriguer l’empereur.
1. Le terme diaspora signifie en grec dispersion. Les juifs ont connu deux grandes dispersions après la fin de leur indépendance nationale et la destruction du Temple.
2. Flavius Josèphe (37-100) : historien juif de langue grec. Il a en particulier écrit La guerre des juifs (7 volumes) qui raconte la révolte des juifs contre les Romains
En l’an 6, le fils aîné d’Hérode, Archélaos qui règne en Judée est banni de Rome après une série de procès et relégué à Vienne en Isère dans ce qui est alors le pays des Gaulois Allobroges. Le sort du frère d’Archélaos, Hérode Antipas est peut être plus pénible. En 39 après un gouvernement, il est banni pour avoir comploté avec l’ennemi parthe. Les sources rapportent qu’il est relégué avec sa femme à Lugdunum. S’agit-il de Lyon ou d’une cité située dans les Pyrénées (St Bertrand de Comminges, Lugdunum Convenarum) la route de l’Espagne. On peut penser que cette présence juive, même volée et épisodique laisse quelques traces et crée de nouveaux axes d’émigration. La première implantation de marchands juifs en Gaule se trouve dans de grand centre commercial qui devient Lyon.
Cette hypothèse trouve un début de confirmation dans le témoignage d’une pensée juive épaisse dans la vallée rhodanienne. On a retrouvé dans la région d’Avignon et dans la vallée de la Durance quelques objets usuels, lampes et bagues, identifiés comme juifs, grâce à la menorah, le symbole de l’identité de la diaspora. Près d’Avignon toujours la matrice d’un sceau portant la menorah témoigne de la fabrication de sceaux à usage interne pour une communauté juive.


Ces petits objets sont difficiles à dater mais la plus ancienne de ces lampes, découvertes dans une cabane gauloise à Orgon, au sud d’Avignon remonte à la fin du Ier siècle.

Lampe à huile d’Orgon (Ier siècle), le plus vieil artefact juif connu en France

Cette présence juive s’intensifie après la révolte de Bar Khoba, un peu au cours du IIIe et du IVe siècle mais elle n’est pas toujours signalée que par quelques lampes ou sceaux : on a trouvé alors ces objets dans le sud-ouest entre Bordeaux et Cognac.
1. La menora est le chandelier (ou candélabre, autre acception conventionnelle) à sept branches des Hébreux, dont la construction fut prescrite dans le livre Exode 31 à 40 pour devenir un des outils du Tabernacle et plus tard du Temple de Jérusalem.
2. La révolte de Bar Khoba (132-135) est la deuxième et la dernière insurrection juive contre la domination romaine. Elle se termine par la prise de Massada Bar Khoba était considéré comme le Messie par Rabbi Aquiva

Les débuts de l’immigration juive remontent à l’époque de la Rome païenne, laquelle, pour des raisons politiques a contracté alliance avec la famille des Hasmonéens de Judée contre les Grecs d’Orient.
Les violentes révoltes de Judée ne modifient en rien cette situation : ni Vespasien, ni Titus, ni même Hadrien n’en profitent pour transformer ou diminuer les droits des juifs qui continuent à vivre en paix à Rome. Ils doivent désormais verser au fisc la taxe qu’ils adressaient auparavant au trésor de Temple et se garder de toute forme de prosélytisme.
Au cours de la période païenne la situation des juifs dans l’empire romain est paradoxale : chassés de leur patrie nationale, ils continuent néanmoins à bénéficier d’un statut particulier dans le reste de l’empire. Ainsi l’édit de Caracalla accorde t-il la citoyenneté romaine à tous les habitants de l’empire. Par la suite, leur statut évolue au rythme de la législation romaine.
Il est impossible de dresser une carte des communautés à cause de l’absence d’inscription. Une épitaphe juive datant du VIIème siècle a été trouvé à Auch dans le Gers. Selon l’historien israélien, Simon Swarzfuchs, on peut dénombrer trente cinq installations juives.
Les exilés suivent les légions romaines et s’installent le long des allées fluviales. L’axe principal reste la vallée du Rhône prolongée par celle de la Saône, pour rejoindre ensuite celle du Rhin. Installés dans les carrefours routiers ou fluviaux, ils participent au développement de cités gauloises : Narbonne, Marseille, Arles, Nîmes, Avignon, Vienne, Lyon, Chalons, Metz, Mayenne, Cologne, Toulouse, Bordeaux, Paris.
Afin de désigner ces communautés il faudrait utiliser le terme de groupements ou d’installations. Avec la christianisation de l’empire et de la Gaule, leur situation va se transformer rapidement. Tout en restant des citoyens romains, leurs libertés se réduisent progressivement. Infidèles, aveugles devant le mystère de la passion, les juifs deviennent de gens à part. Il ne convient pas que ceux qui ont rejeté la divinité de Jésus puissent dominer ou égaler ceux qui l’ont reconnue.
En effet l’antijudaïsme remonte à l’époque où le christianisme n’est encore qu’une secte juive dissidente. Dans les écrits les plus populaires du christianisme, les Evangiles, celui de Jean en particulier, sont les plus hostiles au judaïsme. Ils contiennent deux thèmes majeurs de l’antijudaïsme chrétien : d’abord la responsabilité collective des juifs pour la crucifixion du Christ et l’identification des juifs aux forces du Mal. Il impute à la nouvelle église de se proclamer le véritable Israël. Il y a une usurpation d’identité ainsi « l’Israël selon la chair doit disparaître, l’Israël selon l’esprit doit le remplacer.» Les juifs doivent rester perpétuellement asservis tant qu’ils ne reconnaîtront pas le christianisme.

Joël Guedj

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