L’Arabie Saoudite est le troisième pays au monde où on exécute le plus de prisonniers. (FAYEZ NURELDINE / AFP)

Tous les regards des défenseurs des droits de l’homme convergent actuellement vers l’Arabie saoudite. Le procureur du tribunal antiterroriste saoudien a en effet requis la peine capitale contre Israa al-Ghomgham, une activiste de renom.

A 29 ans, elle pourrait bien être la première femme du pays à être décapitée pour ses activités militantes. Katia Roux, chargée de plaidoyer Libertés à Amnesty international France, appelle les chefs d’Etat du monde entier à prendre position publiquement. Interview.

Qu’est-ce qui est reproché à Israa al-Ghomgham ?

Amnesty international a pu avoir accès à des documents judiciaires qui détaillent les chefs d’inculpation à l’encontre d’Israa al-Ghomgham. Elle est principalement accusée de violation du décret royal 44/A pour participation à des manifestations et documentation de ces mouvements de contestation sur les réseaux sociaux.

Elle est également poursuivie pour avoir fourni un soutien moral aux manifestants en assistant notamment aux funérailles de ceux tués lors d’affrontements avec les forces de sécurité, ainsi que pour falsification, pour avoir utilisé la photo d’identité d’une autre femme sur son compte Facebook. Enfin, il lui est reproché d’avoir violé l’article 6 de la loi anti-cybercriminalité : elle soutenait l’organisation de manifestations et publiait des photos et des vidéos de ces événements sur Facebook.

On voit bien que ces chefs d’inculpation sont tout à fait absurdes, clairement motivés par des considérations politiques pour faire taire les dissidences. Si on résume, elle risque la peine de mort pour avoir simplement participé à des manifestations. C’est évidemment en total violation des droits humains et du droit international.

Dans quelles conditions Israa al-Ghomgham est-elle incarcérée ?

Nous n’avons pas encore assez d’informations à ce sujet. Mais en Arabie saoudite, de manière générale, les conditions de détention ne sont pas bonnes. Les mauvais traitements et la torture sont fréquents. C’est d’ailleurs souvent de cette manière que sont arrachés des aveux, sur la base desquels sont ensuite prononcées des condamnations à mort.

L’Arabie saoudite est le troisième pays au monde où on exécute le plus de prisonniers. En 2017, il y a eu 146 exécutions. Bien sûr, tous ne sont pas forcément des défenseurs des droits humains, mais on sait que les condamnations à mort sont souvent prononcées à la suite de procès inéquitables.

Si le juge confirme la peine, Israa serait la première femme militante des droits de l’homme à être exécutée dans son pays. Quel message veut faire passer l’Arabie saoudite ?

Ce serait un signal très fort envoyé à tous les militants, une manière de leur montrer qu’ils pourraient être eux aussi ciblés du fait de leur protestation pacifique et de leur militantisme. Si elle est exécutée, aucune personne engagée dans la défense des droits humains n’est à l’abri.

Il faut savoir que pratiquement tous les principaux défenseurs des droits humains sont aujourd’hui en prison ou en exil. Depuis deux ans, aucune nouvelle association n’a ouvert. Quant aux manifestations, elles sont toujours interdites depuis 2011. Il y a clairement un durcissement de la répression. Les libertés fondamentales sont mises à mal et sont en passe de disparaître.

La possible exécution d’Israa al-Ghomgham est-elle en contradiction avec l’image que le prince héritier d’Arabie saoudite veut donner de son pays à l’échelle internationale ?

Mohammed Ben Salman prône en effet l’ouverture et la modernité de son pays. Ses derniers mois, il s’est présenté comme un réformateur, il a levé l’interdiction de conduite à laquelle les femmes étaient soumises. Mais sa campagne internationale de relation publique contraste avec la répression qui s’est durcie ces dernières années contre les voix dissidente et notamment contre celles qui font campagne en faveur de l’égalité et des droits des femmes.

Le 23 août, on fêtait justement les 100 jours de détention de trois militantes des droits humains engagées pour le droit des femmes à conduire. Elles ont été arrêtée en mai dernier, soit un mois avant que les femmes aient l’autorisation de conduite. Les autorités envoient donc des signaux contradictoires à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

Qu’est-ce qu’Amnesty peut faire pour aider Israa al-Ghomgham ?

Nous nous mobilisons pour dénoncer cette situation en communiquant très fortement sur ce sujet. Nous appelons aussi la communauté internationale et les gouvernements à faire pression sur les autorités saoudiennes. Il faut mettre fin à la peine de mort qui continue à être appliquée en violation du droit international.

Nous avons remarqué que quand la communauté internationale montre qu’elle n’est pas indifférence et réagit, cela a des effets. Nous demandons donc aux différents chefs d’Etat d’avoir du courage, comme en a eu le gouvernement canadien, qui, il y a quelques semaines, a demandé publiquement la libération de prisonniers en Arabie saoudite et la fin de la peine de mort dans le pays. A la suite de cette prise de position, l’Arabie saoudite a expulsé l’ambassadeur canadien, accusant le Canada d’ingérence flagrante et manifeste dans les affaires intérieures.

Nous savons qu’il n’ait pas toujours évident pour un Etat de se positionner. Des pays comme la France ont des intérêts stratégiques forts avec l’Arabie saoudite. Nous leur demandons aujourd’hui que les engagements en matière de droits humains passent avant les engagements économiques, stratégiques et autres. Il faut que publiquement des prises de position ferme et courageuse soient prises.

Propos recueillis par Laure Le Fur

www.nouvelobs.com

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