Au début des années 1990, j’ai interviewé un membre du breau d’une des banques les plus importantes d’Allemagne. Cet entretien avait lireu dans le cadre de recherche de mon premier livre qui traitait de l’avenir potentiel de l’Italie sur le plan politique et économique[1]. Lors que j’ai mentionné le fait que je vivais en Israël, il a fait remarquer que ses concitoyens allemands contemporains étaient capables de commettre le même mal que ce que leurs prédécesseurs avaient fait au cours de la Shoah. Je dois dire qu’à l’époque et jusqu’à aujourd’hui, sa déclaration m’a semblé exagérée. Pourtant, il y a de nombreux indices factuels que la réalité de l’Allemagne est bien plus sombre que l’image qu’elle essaie de refléter dans le monde[2].

Deux sondages récents offrent un apercu plus réaliste des attitudes hautement problématiques des Allemands envers les Juifs et Israël. La plus importante est celle qui a été publiée par la fondation Freidrich Ebert en septembre 2014. L’essentiel des informations recueillies par ce sondage est consacré à d’autres problèmes, pourtant les résultats concernant les Juifs sont, à la fois, perspicaces et inquiétants. On a posé cinq questions aux sondés au sujet des Juifs. Les deux premières traitent de l’antisémitisme classique, questions qui auraient déjà pu être posées telles quelles avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir. La première était : “Les Juifs ont-ils trop d’influence en Allemagne? » Près de 14% des Allemands ont répondu par l’affirmative à cette question. La deuxième demandait aux sondés si les Juifs étaient en partie coupables de leur propre persécution. En juin 2014, plus de 10% étaient d’accord avec cette assertion et en septembre 2014 –après l’opération Bordure Protectrice, ce nombre s’est élevé à 18%[3].

Une autre étude, menée par la Fondation Bertelsmann et publiée en 2015, posait des questions assez identiques. 28% des Allemands qui y ont répondu s’accordent avec la déclaration affirmant que les Juifs ont trop de pouvoir dans le monde[4].

Ces tableaux expriment à quel point les stéréotypes antisémites, dont la promotion s’est largement faite avant et au cours de la domination nazie, demeurent très significatifs, en dépit de l’enseignement obligatoire sur la Shoah et de nombreux cours d’histoire.

Les réponses à une seconde série de questions posées par l’étude de la Fondation Ebert, indiquent à quel point l’antisionisme et l’antisémitisme sont en interaction. En septembre 2014, 20% de la population allemande est du même avis que l’assertion disant : “Les Juifs sont antipathiques à cause de la politique israélienne[5]”. L’étude de Bertelsmann a demandé si les gens étaient d’accord avec la proposition : “Je trouve les Juifs de plus en plus antipathiques à cause de la politique israélienne”. Là, ce sont 28% des sondés qui sont de cet avis[6]. Il s’agit d’une expression typiquement contemporaine d’antisémitisme : les Juifs en dehors d’Israël ne sont pas des Israéliens et n’ont aucune influence sur le comportement politique d’Israël.

La réponse à une question supplémentaire clarifie encore plus les attitudes allemandes. Près de 28% d’Allemands sont d’accord avec l’expression : “Du fait des politiques israéliennes, je comprends très bien qu’on puisse avoir quelque chose contre les Juifs[7]”.

La réponse à une troisième série de questions donne un apercu profond de la mentalité criminelle de nombreux Allemands. Dans le sondage de la Fondation Ebert, de septembre 2014, 27% donne un avis favorable à la question : “ Ce qu’Israël fait aujourd’hui aux Palestiniens n’est pas différent de ce que les Nazis ont fait aux Juifs”. On demande alors aux sondés s’ils pensent qu’Israël “mène une guerre d’extermination contre les Palestiniens”. Et près de 40% des Allemands répondent à cette question par l’affirmative[8].

La Fondation Bertelsmann pose ensuite une question identique : “Êtes-vous d’accord ou tendez-vous à être d’accord avec la déclaration disant que l’Etat d’Israël fait globalement la même chose que ce que les Nazis ont fait aux Juifs sous le IIIème Reich?”. 35% des sondés sont d’accord avec cette proposition[9].

Nous disposons également des résultats d’études précédentes posant des questions semblables. Bien qu’ils indiquent que la tendance décline parmi ceux qui sont de l’avis de ces déclarations de haine, les tableaux statistiques demeurent extrêmement élevés. Lors d’une étude de 2011, réalisée par l’Université de Bielefield pour la fondation Ebert, couvrant 7 pays différents de l’Union Européenne, 48% des Allemands ont dit oui à la proposition disant qu’Israël mène une guerre d’extermination contre les Palestiniens. En 2004, 68% étaient d’accord[10].

Une autre série de questions posées par le sondage de la Fondation Ebert en 2014 concernait des déclarations qui ont été présentées comme une attitude négative envers Israël, plus que comme l’expression d’un antisémitisme patent. La première proposition était : “Je suis furieux quand je pense à la façon dont Israël traite les Palestiniens”. On obtient là 60% de réponses positives. Avec l’affirmation disant que : “Il est injuste qu’Israël prenne des territoires aux Palestiniens”, près de 69% sont d’accord. Bien que ces réponses ne soient pas en elles-mêmes antisémites, elles découlent d’un substrat d’antisémitisme.

Une autre étude a mis en exergue que les Allemands qui ont grandi sous le régime nazi et qui ont été exposés à l’endoctrinement nazi sont encore actuellement bien plus antisémites que l’Allemand moyen[11].  Bien que cette étude originelle ait été publiée en 2012, elle a soudain attiré l’attention du public en 2015[12].

L’incitation continuelle contre Israël, de la part des médias européens et allemands a joué un rôle important dans l’encouragement à ce genre d’attitudes. L’idée fausse principalement répandue par l’U.E, parlant de la Judée-Samarie comme d’un territoire occupé, au lieu d’un territoire disputé, les condamnations continuelles des implantations et de la construction de logements, la façon presque systématique dont les medias ignorent et couvrent de leur silence la criminalité rampante palestinienne et le caractère nazi de leur plus grand parti, le Hamas, ont toutes préparé le terrain pour qu’on cultive ce type d’opinion.

L’Allemagne est confrontée à un problème qui lui est particulier : ce qu’on appelle l’antisémitisme secondaire : les Allemands ne veulent pas être confrontés à leur propre passé. Une autre série de questions demande aux sondés leur avis sur deux propositions : “la première : “Cela m’ennuie que les Allemands, jusqu’à aujourd’hui, soient confrontés à leurs crimes contre les Juifs” et la seconde  : “J’en ai assez d’entendre toujours parler des crimes des Allemands contre les Juifs”. 55% ont dit “oui” à la première affirmation et 49% à la deuxième[13].

Ces résultats soulèvent de grandes inquiétudes pour les Juifs d’Allemagne, pour Israël, mais aussi pour l’Allemagne. On peut en conclure que l’antisémitisme est toujours présent, de manière significative en Allemagne, à la fois dans ses manifestations classiques d’avant-guerre autant que dans ses mutations anti-israéliennes.

Ces sondages sont la preuve de préjugés galopants contre les Juifs à travers le pays qui dispose du passé le plus criminel en Europe. Un sondage de l’Association Juive Européenne montre qu’en dépit d’attitudes aussi envahissantes, la plupart des Allemands ne ressent pas que l’antisémitisme allemand soit un problème qui mérite la moindre attention. Quatre Allemands sur dix pensent que l’Union Européenne fait un travail adapté dans sa lutte contre l’antisémitisme sur le vieux continent et 15% pensent que le gouvernement allemand devrait en faire moins[14].

En septembre 2014, lorsque la chancelière Angela Merkel s’est exprimée au cours d’un énorme rassemblement Porte de Brandebourg, elle a déclaré : “Amis Juifs, voisins et collègues : considérez-vous ici comme à la maison[15]”. Les résultats de ces sondages récents, cependant, démontrent qu’il y a de nombreux Allemands qui ne pensent pas que les Juifs soient chez eux dans ce pays. Tout au contraire, beaucoup d’Allemands n’ont appris que peu de choses, voire rien du tout de l’histoire criminelle jusqu’à l’extrême de leur pays. Ils sont encore emplis de préjugés délétères contre les Juifs et Israël.

Par Manfred Gerstenfeld

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Le Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

[1] Lorenzo Necci, Manfred Gerstenfeld, Rivalutare l’Italia  (Milan: Sperling&Kupfer, 1992)

[2] “Russian image has deteriorated – BBC World Service poll,” 4 June 2014.

[3] http://www.fes-gegen-rechtsextremismus.de/pdf_14/FragileMitte-FeindseligeZustaende.pdf, 70

[4]  Dr. Steffen Hagemman and Dr. Roby Nathanson, “Germany and Israel Today: United by the Past, Divided by the Present?,” Bertelsmann Stiftung, page 35

[5] http://www.fes-gegen-rechtsextremismus.de/pdf_14/FragileMitte-FeindseligeZustaende.pdf, 70

[6]  Dr. Steffen Hagemman and Dr. Roby Nathanson, “Germany and Israel Today: United by the Past, Divided by the Present?,” Bertelsmann Stiftung, page 35

[7] http://www.fes-gegen-rechtsextremismus.de/pdf_14/FragileMitte-FeindseligeZustaende.pdf

[8] Ibid

[9] Dr. Steffen Hagemman and Dr. Roby Nathanson, “Germany and Israel Today: United by the Past, Divided by the Present?,” Bertelsmann Stiftung, page 35

[10] http://www.fes-gegen-rechtsextremismus.de/pdf_14/FragileMitte-FeindseligeZustaende.pdf, 70

[11] Nico Voigtlander and Hans-Joachim Voth, “Exorcizing Hiter:  Anti-Semitism and Denazification of Germany, “ 14 Aparil 2012., at http://economics.stanford.edu/files/Voth4_17.pdf

[12] Benjamin Weinthal, “Study:  Most Germans want to leave Holocaust in past,” The Jerusalem Post, 27 January 2015,

[13] http://www.fes-gegen-rechtsextremismus.de/pdf_14/FragileMitte-FeindseligeZustaende.pdf, 70

[14] « More Germans worried about Islamophobia than anti-Semitism, new poll finds, » The Jerusalem Post, 24 June 2015.

[15] « Angela Merkel; Fighting Anti-Semitism is German Duty, » BBC, 14 September 2014.

 

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