Par HERB KEINON ET DAVID HOROVITZ Certaines personnalités du gouvernement sont rodées face aux médias. Soit parce qu’elles dirigent des ministères de premier plan – comme Gideon Saar à l’Education – soit parce qu’elles sont attirées par les feux des projecteurs. Pour n’en citer qu’un : le ministre de l’Industrie, du Commerce et du Travail, Binyamin Ben-Eliezer. D’autres préfèrent le rôle d’éminence grise à celui de chouchou des journalistes : Moshé « Boogie » Yaalon fait partie de ceux-là. Habituellement discret, Moshé Yaalon a accepté d’ouvrir son bureau de ministre des Affaires stratégiques au Jerusalem Post.

PHOTO: ARIEL JEROZOLIMSKI , JPOST

Dans les coulisses, il prépare les dossiers diplomatiques et sécuritaires avant leur présentation devant le cabinet ministériel. Ce n’est pas exactement le profil de fonction qui vous propulse devant les caméras. Au programme de Yaalon, ni ruban à couper, ni poignées de main à serrer. Sa voix est peut-être finalement la moins connue de l’équipe de Netanyahou. Des trois ministres qui n’ont pas de poste clairement défini – Yaalon, Dan Meridor et Benny Begin (sans portefeuille), le responsable des Affaires stratégiques est sans doute celui qui prend le moins la parole devant les médias.

Mais ce n’est pas parce qu’il n’a rien à dire. Il faut chercher plus loin. Son CV est impressionnant : ancien kibboutznik, commandant de la région Centre, responsable des renseignements puis des affaires générales. Une expérience qu’il met aujourd’hui au service des défis israéliens face aux Palestiniens, l’Iran et l’administration américaine. A la tête des renseignements, il a navigué dans les coulisses des accords d’Oslo. Puis, a été aux premières loges de la seconde Intifada. Deux moments-clés qui ont achevé de transformer la colombe favorable à un accord « terre contre paix » en un faucon du Likoud.

Aujourd’hui, le diagnostic de ce successeur potentiel à Binyamin Netanyahou n’est guère optimiste : selon Yaalon, la guerre d’Indépendance n’est toujours pas terminée. Morceaux choisis.

Jerusalem Post : Le flou plane toujours concernant les exigences américaines envers Israël. Quelles sont leurs conditions ?

Moshé Yaalon : Les Etats-Unis sont l’allié d’Israël. Il existe une profonde alliance militaire et stratégique basée sur des valeurs et des intérêts communs. Mais même entre amis, il y a parfois des désaccords. Pourtant, en parallèle, le dialogue se poursuit. Certains membres de l’administration américaine pensent que l’instabilité au Moyen-Orient prend sa source dans le conflit israélo-palestinien et qu’il est donc important de régler cette question le plus vite possible, d’ici deux ans, en se basant plus ou moins sur les paramètres fixés par Hillary Clinton. La plupart des membres du gouvernement Netanyahou ont accompagné le processus diplomatique ces 17 dernières années et nous avons une opinion différente.

Nous ne sommes pas convaincus que le conflit israélo-palestinien est le cœur du problème. J’irai même jusqu’à dire que si Israël – que Dieu me pardonne – cessait d’exister, les problèmes ne seraient pas réglés. Les Etats-Unis et l’Union européenne auraient toujours à affronter le djihadisme islamique. C’est même la menace centrale. Lorsque nous limitons le conflit à une question territoriale, que ce soit au Liban ou à Gaza, nous voyons que chacun de nos retraits a renforcé l’extrémisme. C’est un exemple de notre différence de point de vue avec les Etats-Unis.

Le second désaccord concerne de toute évidence Téhéran. Nous voyons la question du nucléaire iranien comme la plus importante. Si vous cherchez le centre d’instabilité de la région, il ne faut pas regarder du côté du conflit israélo-palestinien mais du côté du Régime des mollahs qui nourrit la vague du djihadisme islamique.

J.P. : Pourquoi les Etats-Unis ne perçoivent-ils pas comme un signe de mauvaise volonté de la part des Palestiniens le rejet en 2008 de l’offre d’Ehoud Olmert ?

M.Y. : Depuis les prémices du sionisme, aucune autorité palestinienne n’a reconnu le droit d’Israël à exister en tant que foyer national du peuple juif. C’est la source du problème, et non pas les territoires qualifiés « d’occupés » depuis 1967. L’opposition au sionisme a débuté bien avant la fondation de l’Etat. Un bon pronostic commence par un bon diagnostic. Nous sommes en désaccord non seulement avec les Etats-Unis, mais aussi avec une partie de la gauche israélienne. Une partie du blocage réside dans notre confusion interne. Les Etats-Unis et l’Europe en profitent. J’ai aussi approuvé à une époque l’option « terre contre paix » jusqu’à ce que je prenne la direction des renseignements et que je vois les choses de l’intérieur.

J.P. : Mais comment peut-on rester juif et démocratique ? Il y a une majorité qui pense que la séparation (avec les Palestiniens) est indispensable.

M.Y. : D’abord, nous nous sommes désengagés politiquement de la Judée et Samarie et physiquement de Gaza. Une chose est sûre : nous ne voulons pas les gouverner. C’est la position de Binyamin Netanyahou. Mais ne pas diriger ne veut pas dire que nous devons nous retirer jusqu’aux frontières de 1967 ou diviser Jérusalem pour permettre aux tueurs du Hamas de prendre possession de la Ville sainte.

J.P. : Le Premier ministre a déclaré qu’il était prêt à l’option de deux Etats. L’êtes-vous aussi ?

M.Y. : Ce qu’il a dit exactement, c’est que nous ne voulons pas les gouverner… Et, comme il l’a déclaré à l’université Bar-Ilan, si au bout du compte les Palestiniens acceptent de reconnaître notre droit à un foyer national, de renoncer au droit des réfugiés à revenir en Israël, de se démilitariser avec une garantie internationale, et de signer un accord mettant fin à toute violence, alors oui, vous pouvez appeler cela comme vous le voulez : un Etat, même un empire. Nous sommes prêts à avancer en Judée et Samarie avec Abou Mazen (Mahmoud Abbas) et Salam Fayyad. Mais nous ne sommes pas prêts à revenir aux frontières de 1967 ou à diviser Jérusalem. Nous ne voulons pas à nouveau nous mettre en danger. Il y a un refus général – y compris chez Fayyad – d’accepter le lien qui unit le peuple juif à la terre d’Israël. Il y a deux ans, il a participé à une conférence interreligieuse à New York sur la place de Jérusalem. Il a alors expliqué en quoi la ville était sainte pour le christianisme et pour l’islam. Comment est-ce possible de faire l’impasse sur le judaïsme ?

J.P. : Certaines critiques disent que l’extension des implantations fait le lit des extrémistes palestiniens et ruine tout effort pour faire reconnaître notre droit à vivre ici.

M.Y. : Le Premier ministre a déclaré avant les élections qu’il était prêt à accepter les engagements précédents pris entre George Bush et Ariel Sharon. A savoir : aucune nouvelle implantation ne sera construite en Judée-Samarie. En revanche, les constructions à l’intérieur des localités déjà existantes seront poursuivies pour garantir une vie normale. Netanyahou est même allé plus loin.

Il s’est engagé à démanteler les 23 avant-postes définis par le gouvernement Sharon comme illégaux. Il avait donné son accord jusqu’à ce qu’il soit devenu clair que l’administration américaine ne reconnaissait pas les avancées des précédents gouvernements.

Deuxièmement, nous rejetons l’argument qui affirme que les implantations sont le facteur principal qui empêche la paix. C’est justement grâce à elles que Yasser Arafat est allé jusqu’à Oslo. Lorsqu’il a pris conscience de l’arrivée massive des Juifs russes et de la croissance des implantations, il a compris qu’il pouvait tout perdre. Mais, si nous voulons parler de coexistence et de paix, pourquoi cette insistance à recevoir des territoires nettoyés de toute présence juive ? Pourquoi doivent-ils être « Judenrein » (« purifiés » de tout Juif) ? Des Arabes ne vivent-ils pas dans le Néguev et en Galilée ?

J.P. : Voulez-vous vraiment que des Juifs vivent sous autorité palestinienne ? Est-ce réaliste ?

M.Y. : D’abord, nous n’en sommes pas là et je n’y fais pas allusion. Je parle de ces Juifs qui vivraient en Judée-Samarie sous souveraineté et nationalité israéliennes. Pourquoi est-il impossible de parvenir à cette solution si nous voulons vraiment la paix et la coexistence ?

J.P. : Pensez-vous vraiment que des Juifs seront autorisés à vivre dans des implantations sous souveraineté israélienne dans un futur Etat palestinien ?

M.Y. : Si nous sommes prêts à la paix, il y a assez de place pour Juifs et Arabes en Judée-Samarie. Si nous voulons la guerre, c’est plus compliqué. Combien comptons-nous de terrains inhabités en Judée- Samarie ? Il y en a beaucoup. Quel pourcentage de ce territoire est contrôlé par les Israéliens ? 5 %. Faut-il vraiment focaliser notre attention sur cette petite partie ?

J.P. : Selon vous, devrons-nous dans le futur déraciner d’autres implantations ?

M.Y. : Aucune. Je ne veux même pas penser à d’éventuelles évacuations de territoires. Nous avons vu que celles du Liban et de Gaza ont permis le renforcement du Hezbollah et abouti à la naissance d’une seconde république islamique au Moyen-Orient – la première en Iran et l’autre à Gaza : le Hamastan. Cela va à l’encontre de nos intérêts stratégiques et de ceux de l’Occident.

J.P. : Vous évoquez la possibilité d’un nouveau pic de violence. Avons-nous une solidarité interne suffisamment forte pour y résister ?

M.Y. : C’est en effet un vrai défi. Lorsque l’on me demande quel est notre problème n°1, je n’ai qu’un seul mot à la bouche : la confusion. Dès que nous parvenons à un consensus, les pressions extérieures s’évanouissent. Nous l’avons vu après le discours de Netanyahou à l’université Bar-Ilan. Sur la question des implantations, il n’y a aucun consensus, pas étonnant donc que les Américains se focalisent dessus.

J.P. : Pour Jérusalem en revanche, tous les Israéliens sont d’accord. Pourtant, les Américains font toujours pression.

M.Y. : Nous entendons des voix contradictoires au parti travailliste et elles causent des dégâts. Beaucoup de nos désaccords internes s’achèvent de la même manière : par de l’autoflagellation. Beaucoup disent que nous sommes responsables de l’échec d’Oslo parce que nous n’avons pas assez donné… C’est une habitude occidentale, en particulier chez les Juifs, de se punir soi-même. Et c’est dangereux.

J.P. : Mais beaucoup d’Israéliens ne pensent pas qu’Olso a échoué par notre faute. En revanche, certains continuent de croire que les implantations aggravent la situation.

M.Y. : Nous devons, en effet, mieux communiquer sur les défis qui nous font face et ce sur quoi nous sommes prêts à combattre. Il y a toujours une menace extérieure. La guerre d’Indépendance n’est pas terminée. D’un point de vue historique, toutes les guerres que nous avons menées depuis 1948 – et même avant la fondation de l’Etat – jusqu’à aujourd’hui, font partie de notre lutte pour acquérir un foyer national après 2 000 ans d’exil. Nous ne pouvons pas transiger sur Jérusalem. Qu’est-ce que Jérusalem ? C’est Sion. Pourquoi ma mère est-elle venue s’installer ici après la Shoah ? Pourquoi mes grands-parents sont-ils arrivés en 1925 ? Ils ont rejoint Sion. Du côté de ma femme, ses parents ont quitté le Maroc en 1897 et un autre aïeul a débarqué en 1600. Pourquoi ici ?

J.P. : Mais certains disent que Sion ne se trouve pas à Abou Dis ou à Isawiya…

M.Y. : Je rappelle que j’étais favorable à des compromis territoriaux avant les accords Oslo. J’ai grandi dans ce camp-là. Mais ensuite, je me suis rendu compte que nous n’avions pas de partenaire, même parmi ceux qui sont considérés comme les plus modérés.

J.P. : Mais alors comment changer la situation ? Les implantations ne vont pas aider.

M.Y. : Pourquoi les constructions dans le Goush Etzion ou à Ariel devraient-elles provoquer un blocage ? Aucune nouvelle implantation n’est actuellement créée, aucune nouvelle terre n’est prise. Alors où est le problème ? Cela ne les gênait pas à l’époque d’Olmert et de Sharon. Alors pourquoi soudainement ? Nous nous étendons plus. Pourtant, ils préfèrent esquiver. Je sais pourquoi. Parce que c’est plus commode pour Abou Mazen de poursuivre la lutte indéfiniment plutôt que de trouver une solution. S’il voulait vraiment que les choses s’arrangent, il aurait conclu un accord avec Ehoud Olmert.

J.P. : Peut-être parce qu’il (Mahmoud Abbas) veut une solution imposée à Israël…

M.Y. : Voilà et c’est pourquoi nous devons nous battre de toutes nos forces à travers la hasbara (communication publique) à la fois en Israël et à l’étranger.

J.P : Nous ne sommes pas très efficaces…

M.Y. : C’est vrai, nous ne réussissons pas toujours. Mais nous ne devons pas désespérer, ni abandonner. Nous sommes sur une pente glissante. Il faut s’accrocher. Le djihadisme islamique a renforcé sa puissance sur les territoires que nous avons laissés. Et cela n’aide pas les soldats américains au Pakistan et en Afghanistan.

J.P. : Quels sont les dirigeants mondiaux qui, selon vous, sont les plus déterminés contre l’Iran ?

M.Y. : Nous voyons que la France prend le bon chemin, accompagnée de la Grande-Bretagne. Ils ont compris l’importance de l’enjeu.

J.P. : Pourquoi, à votre avis, la communauté internationale n’en fait pas plus ?

M.Y. : Il y a de nombreux intérêts complexes qui entrent en ligne de compte. Certains prennent forme dans un « modus vivendi » secret entre l’Iran et la Russie : nous vous aiderons dans ce domaine, et vous ne nous causerez pas de problèmes dans les Républiques islamiques. Voyez le Kirghizistan sous domination russe et je ne serais pas surpris si le renouvellement du terrorisme en Tchétchénie n’y était pas lié. Pour les Chinois, il y a des considérations énergétiques. Ils ont besoin de pétrole. Mais il y a une bonne nouvelle : selon les statistiques, la fourniture en or noir de la Chine depuis l’Iran a chuté de 40 %. L’Arabie Saoudite et le Golfe persique fournissent des alternatives à l’Empire du milieu.

J.P. : Si personne ne parvient à arrêter l’Iran, que devons-nous faire ?

M.Y. : J’ai toujours dit que nous ne devions pas sauter à pieds joints sur la question iranienne, car elle ne constitue pas seulement un problème pour Israël mais pour l’ensemble du monde libre. D’un côté, nous devons laisser les autres régler la question et de l’autre, nous devons être préparés, car comme dit l’adage : « Si je ne pense pas à moi, qui le fera ? »

J.P. : Etes-vous opposé à une extension du moratoire de 10 mois dans les implantations ?

M.Y. : Le Premier ministre y est opposé. Il l’a dit clairement. La mesure a été prise pour dix mois et elle expire le 27 septembre. A la suite de cela, nous retournerons aux dispositions prises par Bush et Sharon, conformément à la Feuille de route. Et Jérusalem n’est pas concernée.

J.P. : Parlons de vous maintenant. Quelles sont vos ambitions politiques dans le futur ?

M.Y. : Je me suis toujours concentré sur le travail que j’avais à accomplir. Lorsque j’étais commandant de section, je voulais être le meilleur commandant. Lorsque je me suis retrouvé au niveau supérieur, je voulais simplement être le meilleur à mon poste. A mon entrée à l’armée, je n’imaginais pas un jour devenir chef d’état-major général de Tsahal ou même simplement officier. Je me suis laissé porter par la vie. Je continue ainsi aujourd’hui. Je ne fais pas de grandes déclarations. Je laisse ce plaisir à d’autres. J’essaie de remplir les missions que l’on m’a attribuées le mieux possible.

J.P. : Cette conversation a été plutôt sombre. Alors, où se loge le rayon de soleil ?

M.Y. : Bien sûr, lorsque nous évoquons les problèmes et les menaces contre Israël, nous voyons toujours le verre à moitié vide. Mais si nous regardons en arrière, même si nous devons toujours lutter pour notre indépendance, nous pouvons être fiers de ce que nous avons accompli. Que ce soit dans la sphère économique, des sciences ou de la culture, le verre est plein. Nous avons accompli des progrès spectaculaires et parfois presque miraculeux. Imaginez, nous avons créé un Etat sur une terre où il y a certes du lait et du miel, mais pas une goutte de pétrole, d’or, ou même d’eau.

Et notre victoire sur les éléments est le résultat d’une association : le cerveau et le cœur, le savoir et l’esprit. C’est ce que nous avons, ce que les Juifs possèdent depuis des milliers d’années. S’il y a quelque chose à fortifier pour notre 62e anniversaire, c’est la force de notre esprit qui a eu tendance à s’éroder. Nous entendons malheureusement que le temps joue contre nous. En réalité, le temps est en faveur de celui qui sait bien l’utiliser. Comme nous l’avons fait par le passé, nous continuerons à en tirer avantage dans le futur pour grandir et prospérer. Je suis convaincu que nous pouvons le faire. Nous devons simplement poursuivre notre route.

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