Je crois qu’une des grandes novations introduites par le judaïsme est l’amour du prochain, ainsi que l’amour de D. pour ses créatures. Il ne faut pas oublier que les religions antiques adoraient des dieux cruels et sanguinaires, impitoyables envers les humains dont ils exigeaient chaque jour plus de sang et de cruauté pour apaiser leurs colères capricieuses.
Je crois que notre idée de l’amour était tellement forte et tellement séduisante, qu’elle avait littéralement fasciné les romains. Pour s’approprier cette idée de l’amour qui sonnait tellement juste par rapport aux idolâtries alentour, ils finirent par promouvoir une religion dérivée du judaïsme, le christianisme.

J’ai un jour demandé à un ami – de façon quelque peu narquoise, je l’avoue – , lui qui est de la religion qui se définit comme la religion de l’amour, de me donner une belle définition de l’amour et, si possible, un verset biblique qui l’illustre. En tant que « professionnel de l’amour du prochain », il devait avoir quelque chose de remarquable à nous donner à nous, les « amateurs » de l’amour.

Il m’avait répondu ce jour là qu’aimer quelqu’un c’est aimer sa compagnie, se sentir épanoui en sa présence, trouver dans sa compagnie des forces supérieures qui vous permettent de vous surpasser et de vous retrouver à la fois. En gros, lorsque je suis en compagnie d’une personne que j’aime, je me sens différent, je me sens fort, « je me sens bien ».

Je lui répondis qu’il devait s’aimer beaucoup pour ne voir que lui-même dans la définition de l’amour, et contenir tout l’amour qu’il pouvait ressentir pour autrui dans son épanouissement et la démultiplication de ses forces personnelles à lui-même. Je lui avais dis aussi, dans mon style lapidaire qui me joue parfois des tours, un peu pour m’amuser : « Sais-tu ce que c’est qu’un égoïste ? C’est quelqu’un qui ne pense pas à moi … ».

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Le commentaire Yalkout Lekah Tov raconte l’histoire d’un homme qui aimait le poisson, et qui, voulant s’offrir un régal, se rendit dans le meilleur restaurant, appela le serveur et lui commanda un plat de poisson. Il lui pécisa : « Faites vite, je suis très impatient. Vous savez, j’adore le poisson. ».

Pendant que dans les cuisines on s’affairait à lui préparer son met favori, notre homme était nerveux, impatient. Le temps lui paraissait long, et il comptait les minutes qui le séparaient encore de son repas délicieux. Lorsque le garçon le servit, notre client s’exclama : « Enfin ! Il était temps, je commençais vraiment à m’impatienter … enfin comprenez moi, j’adore le poisson ». À quoi le serveur rétorqua : « Ce n’est pas le poisson que vous aimez, Monsieur, c’est vous-même. Si vous aimiez vraiment le poisson, jamais vous ne planteriez votre fourchette dans sa chair. »

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J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de gens qui aiment leur prochain comme on aime le poisson : pour leur bon plaisir.

Lorsque Jacob arriva chez son oncle Laban, il fut immédiatement séduit par Rachel. Il fut convenu alors avec Laban que Jacob travaillerait sept années pour pouvoir épouser Rachel. Mais, lorsque les sept années de travail furent achevées, c’est Léa que Laban donna à Jacob, substituant dans la ruse une sœur à l’autre.

Le lendemain des épousailles, lorsque Jacob fit part de ses plaintes à Laban, il fut convenu que Jacob travaillerait sept années supplémentaires pour Rachel, soit quatorze ans en tout. Voici ce que dit le texte :

וַיַּעֲבֹד יַעֲקֹב בְּרָחֵל, שֶׁבַע שָׁנִים; וַיִּהְיוּ בְעֵינָיו כְּיָמִים אֲחָדִים, בְּאַהֲבָתוֹ אֹתָהּ

Jacob servit, pour obtenir Rachel, sept années et elles furent à ses yeux comme quelques jours, tant il l’aimait.

Comme quelques jours ? Tant il l’aimait ? Mais c’est le contraire ! Il aurait dû être impatient, attendre nerveusement que vienne enfin le jour où elle serait sienne, sa femme ! Impatient de vivre avec sa bien aimée, celle avec laquelle il pourrait s’épanouir et démultiplier ses forces, sans avoir à rendre de compte à quiconque. Non, le texte ne s’étonne pas de nous dire quelque chose qui semble tellement contraire à l’idée commune, celle que chacun se fait de l’amour.

Il aimait tant Rachel que tous les efforts qu’elle lui réclamait ou lui suscitait n’étaient rien aux yeux de Jacob, par amour pour elle. Jacob aimait tellement Rachel que tous les efforts n’étaient rien.

Celui ou celle que j’aime sont à mes yeux des modèles intouchables, qui soutiennent l’équilibre du monde tel que je le vois, et la moindre contrariété qu’ils auraient à endurer m’est insupportable comme la plus cruelle des injustices. La personne que j’aime ne doit rien souffrir, et la protéger suffit pour me forger une raison de vivre. Aimer c’est se préoccuper d’abord de l’être aimé avant de s’intéresser à soi, c’est le percevoir comme une raison d’être et un modèle, car la vie nous serait insupportable si l’autre qu’on aime venait à manquer de quelque chose. Lorsque la personne que j’aime est contrariée, je suis malade.

Jacob travailla sept années supplémentaires chez Laban, en plus des sept premières. Quatorze années au sujet desquelles il dira plus loin : (Genèse 31:26)

הָיִיתִי בַיּוֹם אֲכָלַנִי חֹרֶב, וְקֶרַח בַּלָּיְלָה; וַתִּדַּד שְׁנָתִי, מֵעֵינָי.

J’étais, le jour, en proie au feu du soleil, et au gel la nuit; et le sommeil fuyait de mes yeux.

Malgré cela, ces sept années parurent à Jacob comme quelques jours, par amour pour Rachel.

L’amour se dit en hébreu אהבה, et sa valeur numérique est 13, comme le mot אחד, UN, dont j’ai dit la semaine dernière que, dans nos mathématiques juives, il participait à une équation particulière qui affirme que 1=13. Pour cette raison, j’avais dit que nous célébrons la bar Mitsva de nos garçons à 13 ans, pour évoquer le mot אחד, UN, proclamant ainsi l’Unicité de l’Éternel.

Mais lorsque nous aimons aussi, lorsque nous exprimons אהבה, parce que l’amour aussi vaut 13, nous proclamons d’une certaine façon l’Unicité de Dieu.

Shabbat Shalom

Jacob Ouanounou

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Zuhurbelea

Shalom,

Puisque l’on ouvrait sur une question zélote, celle-ci est sympa : « Le Royaume est comparable à un berger qui possédait cent brebis.L’une d’entre elles disparut. C’était la plus belle. Il laissa les quatre vingt dix neuf
et ne se préoccupa plus que de l’Unique jusqu’à ce qu’il l’eût retrouvée. Après sa peine, il dit à la brebis :
je t’aime plus que les quatre vingt dix neuf autres. »

Il y en a d’autres plus complexes, mais c’est un autre sujet…