Qui n’a pas vu les policiers turcs, casqués et vêtus de cuirasses noires chasser les militants de la place Taksim à Istanbul ? Ils sont sous le feu des projecteurs depuis les événements de mai dernier et l’expulsion des manifestants du parc Gezi. La répression violente de la protestation du 28 mai a enflammé la ville. Face à l’occupation pacifique par les militants écologistes, les policiers antiémeute lancent un assaut brutal. Les pelouses sont balayées à l’aide de canons à eau. La poudre a pris et le feu de la révolte populaire s’étend dès lors aux quatre coins du pays. Au milieu de tout ça, une autre petite voix, aspirant à plus de démocratie, tente de se faire entendre. Celle du syndicat de police, créé en 2012 ; et toujours bâillonnée.De l’eau dans le gaz

Loin du centre-ville et de l’émulation de la place Taksim, Ilan*, le représentant du syndicat Emniyet-Sen d’Istanbul, a des soucis plein la tête. Oui, « il y a eu des dérapages individuels de policiers durant les protestations et les fautifs doivent être blâmés ». Mais pour lui, ils n’ont fait qu’appliquer les ordres des supérieurs et ont riposté aux attaques pour se défendre. De l’avis d’Ayse Ayata, sociologue et professeur à l’université technique du Moyen-Orient à Ankara, il s’agit d’abord d’une question de légitimité de la police. « Si elle avait été légitime, il n’y aurait pas eu de clashs. Mais elle n’est plus considérée comme un défenseur de l’ordre public. » C’est que depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP, en 2002, le gouvernement a accentué le rôle de la police.

Et cette légitimité perdue, le syndicat tente tant bien que mal de la restaurer. Ilan avale sa dernière gorgée de thé avant d’écraser sa cigarette dans le cendrier. « Saviez-vous qu’une vingtaine de pays européens ont leur syndicat de police ? Même la Zambie en a un. » Dépité, il s’explique : « En Turquie, une loi interdit aux policiers en activité de se syndiquer. Si quelqu’un doit manifester, c’est bien nous. Nous avons encore moins de droits que les autres. » Depuis trois mois, lui et six autres représentants du Emniyet-Sen sont en procès contre leur hiérarchie. Ses collègues ont perdu leur emploi, il attend son tour, mais ne désespère pas. « J’ai confiance en la justice de notre pays. »

Suicides en série

Autre chose préoccupe aussi Ilan : ce sont les suicides de ses pairs. Selon le syndicat, l’espérance de vie d’un policier est de 55 ans contre 70 pour le reste de la population. Un chiffre qui en dit long. Depuis six mois, il y aurait eu vingt et un suicides de policiers. Et six d’entre eux auraient mis fin à leurs jours durant les manifestations. Il n’y a pas eu une ligne à ce sujet dans les journaux. Le gouvernement, lui, fait la sourde oreille devant les demandes du syndicat de créer une cellule de soutien psychologique. Paradoxalement, les revendications du syndicat de police ne sont pas si éloignées de celles des manifestants. Ils luttent pour plus de liberté d’expression, de reconnaissance et pour le respect des droits de l’homme.


Femme battue à terre par la police durant les manifestatons. Elle a perdu son bébé.

Il y a aussi les conditions difficiles de travail. Burahn*, jeune policier de 23 ans, a participé à l’opération dans le parc Gezi. Il se souvient de la fatigue et de la faim alors qu’ils sont restés 110 heures sur place : dormant dans la rue, ne se changeant pas et se restaurant avec les moyens du bord. Outre ces contraintes, le statut de policier est dur à assumer. « Nous ne sommes pas aimés, sourit tristement Burahn, et c’est même difficile pour nous de trouver une compagne. »

L’un est devenu policier pour le salaire, l’autre par passion. Mais, quelle que soit la raison, ils ne s’attendaient pas à ça. Le mois dernier, un de leurs collègues s’est suicidé avec son arme de service. Il a expliqué son geste dans un message sur le mur Facebook de la police. « Je le fais pour la démocratie. Pour que les policiers aient les mêmes droits et soient respectés en tant qu’être humain. Je le fais pour que personne d’autre n’ait à le faire. » Ilan et Burahn espèrent que les derniers mots de leur collègue ne resteront pas lettre morte. Désormais, la balle est dans le camp du gouvernement.

* Les prénoms ont été modifiés.

lepoint.fr Article original

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