Primo : Les médias ont-ils joué un rôle dans l’appauvrissement du culturel dans notre société ? Le terme de Génocide a été employé pour les Territoires palestiniens. Les mots sont vidés de leur sens.

Georges Bensoussan : On ne peut pas simplement parler d’une perversion de la communication. Ni seulement considérer qu’Internet est très souvent un collecteur de haine. C’est aussi l’outil qui contribue à casser les systèmes oppressifs comme jamais personne ne l’avait fait jusque là. La dissidence chinoise lui doit beaucoup. Comme aujourd’hui, le mouvement de résistance à la tyrannie en Iran.

Ces systèmes doivent repenser les outils et les modes de domination. Le pouvoir chinois entend verrouiller les nouveaux ordinateurs en les dotant d’un logiciel filtrant les « sites pornographiques ». On sait ce que signifie ici la « pornographie ».

Orwell annonçait la perversion de la langue comme outil d’oppression. C’était aussi l’analyse de Victor Klemperer dans LTI.

Cette perversion est perceptible, par exemple, dans l’usage et le mésusage du terme « Génocide ». Nous vivons dans une société victimolâtre, où paradoxalement, en dépit de la violence des rapports sociaux, le statut de victime vous fait exister. Si chacun pour exister comme victime a besoin de relever d’une tragédie génocidaire, la voie est ouverte à une concurrence des mémoires qui falsifie le passé.

Primo : il est vrai que l’on voit souvent ce terme fleurir dans les discours revendicatifs. On a entendu un syndicaliste parler de génocide des producteurs de lait.

Georges Bensoussan : Affirmer que la traite des Noirs qui est un crime contre l’humanité est un génocide est en soi une ânerie : on ne tue pas la main d’œuvre qui vous enrichit. La Bosnie du début des années 1990 fut le théâtre de crimes de guerre en nombre, voire parfois de crimes contre l’humanité, pas d’un génocide caractérisé.

Quant à la Palestine, on est ici dans une instrumentalisation grossière. Un génocide qui dure depuis soixante ans, et où la population est plus nombreuse qu’avant……… Le territoire de Gaza, qui comptait 250 000 habitants en 1947, en compte aujourd’hui un million quatre cent mille.

Il en va de même du terme « déporté » lorsqu’il s’agit des réfugiés déplacés ou expulsés de 1948. Si chacun s’accorde sur le chiffre de 750 000, peut-on qualifier des expulsés (en admettant même qu’ils aient tous été expulsés ce qui est loin d’être le cas) de « déportés » ? « Déporté » de Jaffa à Ramallah, trente kilomètres de distance, et en restant dans le même pays, la Palestine ?…..

Les réfugiés ayant fui l’avance allemande en 1914 et en 1940, déplacés de Lille à Tours par exemple, étaient-ils des déportés ? Chacun comprend qu’avec ce mot, il ne s’agit pas d’une erreur mais d’une dérive politique calculée.

Le mésusage du vocabulaire vise à délégitimer l’Etat d’Israël qui commettrait contre les Palestiniens ce que les nazis ont fait aux Juifs…..

Primo : Outre la perversion des termes, de la « Nakba » à la « déportation » il ya un transfert total des images des évènements des symboles.

Georges Bensoussan : Pour délégitimer cet Etat, on peut user comme Dominique Vidal d’un langage chrétien en évoquant, étrange réminiscence quand on sait le passé de l’Occident chrétien, un « péché originel » pour désigner l’expulsion-exode de 1948.

Comprendre un événement suppose de le saisir loin en amont. La focalisation sur une courte durée est en soi un parti pris. La longue durée seule rend compte d’une tragédie. Faire remonter le conflit à 1967 ou même à 1948 vous condamne d’emblée à ne pas en saisir l’enchevêtrement.

La guerre de 1948 et ses conséquences ne sont que la pointe émergée d’un iceberg. C’est l’iceberg tout entier qu’il faut étudier. Autrement, on reste dans une lecture idéologique qui conclut avant d’analyser.

1948 est l’aboutissement d’un conflit déjà vieux de soixante ans au moins. Près de quarante ans durant, aucun accord ne fut possible entre Juifs et Arabes. Les faits sont là, têtus et mal connus du grand public pour ne pas dire, le plus souvent, pas connus du tout : la partie arabe, sûre de son droit sur la Palestine, qu’elle jugeait exclusif et non négociable, est restée sourde aux droits d’autrui.

A fortiori des dhimmis juifs. Elle a refusé jusqu’au bout le compromis (qu’on pense aux négociations secrètes de 1934 entre Ben Gourion et plusieurs chefs palestiniens). Mais, paradoxalement, cette obstination a facilité la tache du sionisme dans sa volonté de proclamer un Etat juif, et le plus juif possible dans ses frontières vu une situation de belligérance qui n’était pas prête de cesser.

Un Etat juif fort d’une énorme minorité arabe (près de 40% de sa population) était d’emblée condamné à mort. Il n’était donc même pas utile de le créer, l’Etat juif aurait été balayé, de l’intérieur, en une génération. Créer un Etat n’avait de sens qu’à la condition qu’il fut viable.

La partie arabe a voulu la guerre, offrant à l’Etat juif naissant un véritable cadeau stratégique : la possibilité de s’extraire du piège des frontières non viables du partage onusien.

Est-ce la faute de l’Etat d’Israël si son ennemi l’a servi ? La partie arabe a refusé ensuite d’assumer les conséquences de ce choix désastreux, la guerre. En condamnant à mort l’ « entité sioniste », en lui promettant le sort des Croisés, voire en assurant que les massacres des Mongols au XIII° siècle seraient plaisanterie à coté de ce qui attendait les Juifs, doit-on s’étonner qu’Israël n’ait pas voulu d’une forte minorité arabe en son sein ?

Par ailleurs, l’ignorance vient toujours au secours de la paresse. En matière de purification ethnique (pour reprendre le titre d’un ouvrage récent d’Ilan Pappé), les États arabes nouvellement indépendants, et surtout l’Irak dès 1932, bientôt rejoint par la Libye de 1951, ont procédé à une purification ethnique de leur population en excluant peu à peu les éléments non arabes et bientôt non musulmans.

Qu’en fut-il du sort des Assyro-Chaldéens d’Irak en 1933 ? Du sort des Juifs de tous les Etats arabes ? Des Chrétiens d’Orient dont la place s’est réduite comme peau de chagrin depuis 50 ans ?

Primo : Israël Etat Juif, comme le dit Netanyahou

Georges Bensoussan : Un Etat juif au sens où la France est une nation française. Un sens culturel et évidemment non racial du terme : il n’y a pas de race juive contrairement aux élucubrations en cours qui visent à diaboliser l’Etat d’Israël.

L’Etat juif mêle presque tous les types physiques rencontrés sur la planète. Ce peuple est un composé culturel, une nation d’appartenance. Le nationalisme juif n’est pas volkisch comme l’est le nationalisme arabe lequel exalte, comme jadis l’Allemagne, la terre et le sang.

Le judaïsme n’est pas une religion d’Etat en Israël, l’islam est religion d’Etat dans tous les Etats arabes voisins. On peut devenir juif et israélien, comme on peut, ici, faire sienne la nation française, son histoire, sa langue et son pacte républicain.
On ne devient pas citoyen arabe, on l’est de naissance. Qui parle de race, de sang, de purification ethnique ? Toute honte bue, qui parle de racisme ?

Primo : Shlomo Sand écrivain si peu connu en son pays, vedette en France aux multiples récompenses notamment dans certains milieux enseignants, simple tartufferie des médias et d’intellectuels Français ?

Georges Bensoussan : Ce qui est intéressant n’est pas tant ce que dit Shlomo Sand, dont le travail scientifique est fait d’a peu près, de simplismes et d’une lecture partisane et idéologique de la réalité. C’est que l’on en dit en France où il est l’objet d’un réel engouement de la part de certains intellectuels.

Affirmer que « le peuple juif n’existe pas » est à mes yeux une affaire entendue depuis belle lurette. Fallait-il trois cents pages pour enfoncer cette porte ouverte ? Ce peuple là, plus qu’un autre sans doute, est une construction imaginaire et une nation atypique.

Un collectif bâti culturellement autour du souvenir mythique de l’expulsion de 70. Mythique parce que le gros du peuple juif était déjà dispersé en 70 de notre ère quand le deuxième Temple est détruit par Titus.

Le peuple juif est fait d’un agrégat de communautés et parfois d’ethnies converties au judaïsme (je pense, en particulier, aux Juifs du Yémen d’origine arabe). Qu’il n’existe pas de peuple juif biologiquement parlant, c’est peut être une découverte pour les Juifs orthodoxes en Israël. Pas pour nous.

Toutefois, si Shlomo Sand entend par là que l’« artificialité » de ce peuple le prive de toute légitimité sur cette terre, il se rapproche alors dangereusement de ce qu’il dénonce, une conception biologique de la nation. Il finit en d’autres termes par raisonner en termes de sang.

La légitimité juive sur la terre d’Israël tient au fait qu’Israël ne désigne pas une terre mais un peuple : c’est le nom donné à Jacob après sa lutte avec l’Ange. Que ce peuple seul peut décider de se considérer comme une réalité nationale.

Décider pour lui de sa définition s’apparente à une démarche colonialiste. C’est la position arabe qui décide que les Juifs ne sont pas un peuple mais une religion. Les Juifs se sont-ils jamais mêlés de décider si les Irakiens ou les Marocains étaient un peuple ?

Non, parce que c’est à eux seuls de le déterminer. Alors, qu’on leur accorde ce droit consenti à tous sur cette terre. La décolonisation aura alors peut-être fait quelques progrès dans l’évolution du monde arabe vis à vis de ses anciens soumis.

Le peuple juif se considère comme peuple « un »- au sens où la nation française est un « plébiscite du quotidien » pour user des mots de Renan – parce qu’il se reconnaît un passé un présent et un avenir communs, un patrimoine commun, des valeurs et une histoire communes, et surtout une langue commune qui est comme la colonne vertébrale de cette nation : l’hébreu.

L’hébreu est l’ossature du sionisme et de la nation juive. C’est pourquoi l’appartenance juive est d’abord culturelle. Cultuelle pour certains, c’est entendu, mais culturelle pour tous. On peut lire la Bible comme un livre d’histoire. Considérer la terre,« Eretz hakodech », comme une terre géographique, et user de la langue sacrée comme d’une langue vernaculaire. C’est ce qui constitue l’Etat d’ Israël aujourd’hui.

Pour de nombreux antisionistes, Sand est la caution intellectuelle juive qui leur manquait. Et qui épouse l’étrange raisonnement qui conclut de l’absence d’un peuple juif biologique à l’absence de nation juive, renouant ce faisant avec le biologisme primaire des années trente.

L’imaginaire est une réalité en soi, la construction imaginaire qu’est chaque peuple accouche d’une légitimité politique qui, elle, est tout à fait réelle.

(lire la suite Partie 4)

Entretien réalisé par Josiane Sberro & Véronique Lippmann © Primo, 24 juin 2009

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