L’avis d’un Rabbin américain sur nos débats théoriques d’intellectualistes français, pendant que la « maison brûle »…

Monsieur le futur Grand rabbin de France,

La communauté juive de France, la plus importante d’Europe, est aujourd’hui à un tournant de son histoire: un nombre croissant de nos coreligionnaires est en train de quitter le pays pour Israël, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Canada et d’autres destinations, alors que les résultats du FN aux élections européennes confirment la popularité grandissante des idées d’extrême-droite, dont l’antisémitisme, et que 40% des actes racistes commis l’année dernière en France, ont été des actes antisémites. Presque chaque semaine, en France, des juifs religieux sont agressés sur le chemin de la synagogue ou de la maison et dans les transports en commun.

D’une part, le processus de délégitimation de l’Etat d’Israël est toujours à l’œuvre ; d’autre part, depuis l’attentat au musée de Bruxelles, en mai dernier, nous avons la confirmation que le phénomène Mohamed Merah n’est pas un cas exceptionnel. Il est peut être le début d’une nouvelle réalité, étant donné le nombre de djihadistes qui partent pour la Syrie sans parler de ceux qui sont endoctrinés dans les prisons de France.

Que faire?

Quand un être humain est menacé, il y a deux réflexes possibles : se battre ou s’enfuir.

Pour ceux de la communauté juive qui décident de rester en France, il ne faut pas seulement être vigilant, il y a urgence à se battre . Mais comment ? D’abord, il convient de faire confiance aux autorités civiles pour assurer la protection des citoyens juifs de France et de leurs institutions.

Ensuite, la communauté doit se ressaisir et combattre avec les « armes de l’esprit » : l’éducation, la culture, et le coalition building . Cela signifie créer de plus en plus de liens possibles avec des associations cultuelles et culturelles de différentes nature afin de promouvoir le vivre ensemble.

Dans chaque synagogue, chaque institution culturelle, nous devrions consacrer plus de temps, de moyens et d’efforts à des actions vers l’extérieur afin d’engager le dialogue et l’échange avec nos voisins qui ne sont pas juifs.

Refuser le repli communautaire

Face à des dangers extérieurs, nous avons trop tendance à nous replier sur nous-mêmes et à adopter une attitude d’assiégé. Après l’attentat de Toulouse, en mars 2012, la réponse du Grand Rabbin de France, Gilles Bernheim, a été : « nous construirons encore de nouvelles écoles juives » . Il aurait du ajouter : « et nous allons aussi redoubler nos efforts pour promouvoir le dialogue inter-religieux entre juifs et musulmans en France ». Ce qu’il n’a pas fait.

Ainsi, un homme tel que le Grand rabbin Michel Sarfaty (co-président de l’Amitié judéo-musulmane de France), dont je salue les actions pionnières dans le domaine du dialogue inter-religieux, apparaît comme un militant trop isolé, alors qu’il devrait être davantage soutenu et relayé par tous les rabbins de France. Et il serait bon de créer dans chaque municipalité où l’on trouve au moins une synagogue et une mosquée, de nouvelles antennes de ces associations qui œuvrent dans le même sens.

L’école, principal lieu d’échange

Soyons réalistes, la priorité est la sensibilisation des jeunes dans les écoles publiques. Le prochain Grand rabbin France, dont l’élection aura lieu le 22 juin, devra absolument convoquer une réunion avec le Ministre de l’éducation nationale pour faire avancer l’enseignement du fait religieux dans les écoles.

Nous savons, à partir d’expériences conduites au cours des dernières années, et notamment celle d’un lycée de Roubaix, que lorsque des jeunes musulmans de France (qui sont d’ailleurs victimes d’un racisme au quotidien dont on n’a pas assez conscience dans les milieux juifs !) ont la possibilité d’acquérir des connaissances, à l’école, sur leurs origines religieuse et culturelle, ils sont moins enclins à avoir une vision négative vis-à-vis des juifs comme des autres religions. Il est regrettable que la frilosité d’une bonne part des enseignants de l’école publique, freine l’expansion de cette enseignement.

Un Grand rabbin de France, pourquoi faire?

De mon point de vue de rabbin américain installé en France depuis plus de vingt ans, il vous incombe, monsieur le futur Grand rabbin de France, d’être d’abord un fédérateur pour tous les juifs de France, quel que soit leur courant dans le judaïsme et leur sensibilité politique. Il vous faudra mobiliser les talents et les énergies de tous les juifs dans ce pays. Non seulement en restaurant la confiance dans votre institution et en faisant en sorte qu’il y ait plus de transparence , mais il vous faudra surtout faire preuve d’un leadership audacieux.

Où sont les think tanks et des fondations capables d’initier cette nouvelle réflexion et action qui, à l’instar des associations juives américaines telles que Synagogue 3000 ou STAR, attirent et favorisent l’engagement de ceux qui sont éloignés de la tradition et de la communauté?

Permettez-moi, cher futur Grand Rabbin de France quelques suggestions :

1- Oeuvrer pour la réintégration du Consistoire dans le CRIF.

2- En binôme avec le CRIF, convoquer un congrès exceptionnel rassemblant les représentants de toutes les institutions juives de France autour du thème des Juifs en France au XXIè siècle. Et que de jeunes dirigeants des associations qui se créent en marge des institutions officielles et dominantes soient invités à ce congrès, non pour seulement débattre (un travers trop français) mais pour faire des propositions concrètes. Il existe là, un vivier de personnes talentueuses q ui ne sont pas « exploitées » par les institutions actuelles . Je pense notamment aux jeunes dirigeants de l’association Limoud France (Limoud : l’étude).

Tachlès ! Un objectif ! Il faut des propositions concrètes pour renouveler l’éducation, la culture, l’engagement communautaire, les échanges avec les chrétiens et les musulmans, etc. Et passer à l’acte. En France, on a tendance à trop débattre, trop théoriser : le temps presse, il faut agir aujourd’hui!

A l’issue de ce premier congrès, il émergera une entité indépendante qui sera un think tank voué à échanger et proposer de nouvelles idées. A travers cette instance, on s’attellera à réfléchir à la promotion d’une identité juive-française-européenne.

Débattre dans le respect mutuel

3- Monsieur le futur Grand rabbin, il s’agit d’abattre les cloisons entre les communautés juives de France. Elles suscitent cet immobilisme si dommageable. Il vous faudra promouvoir le pluralisme, l’enjeu est d’importance. A l’exception de la commémoration de Yom ha shoah ( le jour de la Shoah) et d’événements ponctuels — débats organisés au centre communautaire de Paris -, les rabbins de différentes tendances, consistoriale, loubavitch, stricte observance, traditionaliste, libérale, et massorti, ne se rencontrent jamais pour débattre de questions religieuses et communautaires, qui les concernent pourtant tous.

Pourquoi ne pas inaugurer sous votre patronage des séries de programmes où dans plusieurs grandes synagogues consistoriales de France, des rabbins loubavitch, massortis, et libéraux seraient invités pour débattre et échanger afin de créer une nouvelle dynamique de respect mutuel ? Ce qui est en jeu n’est pas le fait de chercher de la part des communautés modernistes une reconnaissance halakhique (une reconnaissance du corpus des règles de conduites pratiques) de leur mouvement. J’accepte volontiers la proposition de l’ancien doyen de la Yeshiva University de New-York, le rabbin Norman Lamm :

« Je ne peux pas reconnaître et accepter les décisions prises par des rabbins libéraux en matière de halakha, mais je peux respecter et admirer le travail de kerouv que font des rabbins libéraux pour attirer des personnes vers le judaïsme, vers la communauté ».

Mais vous pourriez aussi, Monsieur le futur Grand rabbin, vous adresser à l’institut Shalom Hartman de Jérusalem qui depuis plus de 30 ans promeut le pluralisme entre rabbins. Pourquoi pas ?

Il semble admis que les citoyens français sont, au moins eu Europe, les plus pessimistes et déprimés. Parmi eux, les juifs ont des raisons légitimes d’être soucieux. Personnellement, je préfère garder à l’esprit l’enseignement du rabbin massorti Abraham Heschel : il nous est interdit de tomber dans le désespoir . J’espère, Monsieur le futur Grand rabbin de France, que nous pouvons être aussi d’accord sur ce point.

STEPHEN BERKOWITZ | LE 17.06.2014 À 08:02

fait-religieux.com Article original

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amapol

Je ne suis pas juive mais je m’approche pas à pas de votre communauté et je suis très favorable à ce que vous proposez : donner de la visibilité aux différents judaïsmes, les faire connaître, favoriser le dialogue inter-religieux. Je suis atterrée de l’antisémitisme décomplexé que professent les jeunes musulmans. Je vous rapporte une phrase prononcée par une jeune fille à propos de l’une de ses copines (qui n’était pas là), lors d’une conversation entre filles de quartier sensible « Ah (cri de dégoût) je croyais qu’elle était algérienne! Elle est juive? Je ne lui parle plus! » J’ai dit certaines choses parmi lesquelles qu’il y avait des arabes chrétiens et juifs, et une autre jeune fille a ajouté : « et même des arabes israéliens! » au grand étonnement de celle qui se récriait. Eduquer les jeunes à la tolérance est indispensable comme vous le soulignez. En tant que professeur je n’hésite pas. Il est certainement important de ne pas laisser les médias donner l’image d’une religion fermée car c’est celle sur laquelle se ruent les antisémites de tous les bords : ils n’ont que le mot « loubavitch » à la bouche pour faire des comparaisons douteuses servant leur rhétorique pitoyable (entendu plusieurs fois de gens d’extrême-gauche). De son côté, la controversée OIF donne des conférences, organise des congrès, avec des visées idéologiques indéniables et préoccupantes. Pourquoi les organisations juives n’organisent-t-elles pas de congrès, davantage de conférences, pour permettre à ceux qui le souhaitent de venir y faire connaissance avec le judaïsme? C’est une question que je me posais. Amicalement.