Il est difficile, voire dangereux, d’intervenir lorsque’un groupe humain est plongé dans un acte d’adoration. Toute vision du dehors, toute approche distancée et critique, tout regard sociologique sont perçus comme une violence.

Il y a tout de même de quoi s’étonner de voir cette dévotion unanime, du sommet de l’Etat au simple quidam, aller à une personnalité dont les traits sont bien flous quand on les mesure à l’aune de la réalité. Des chercheurs ont montré que bien des traits de sa vie célébrés de toutes parts comme autant de preuves de son exceptionnalité sont ou bien faux ou bien déformés. Par exemple qu’il a contribué ou participé à la rédaction de la Déclaration des droits de l’Homme alors que lui même a reconnu dans un entretien avec Jean Daniel qu’il n’en était rien . On apprend aujourd’hui qu’il n’aurait jamais été formellement « normalien » (diplomé). On savait qu’il n’était pas formellement juif, etc.

Néanmoins, même les croyances infondées constituent un indice de la réalité sociale et, d’un point de vue sociologique, doivent être tenues pour des choses très sérieuses.

Le personnage d’Hessel est une fabrication médiatique mais les qualités qui lui sont attribuées sont très significatives. Le directeur de Libération, Nicolas Demorand, les a bien formulées : «J’aimais la gauche qu’incarnait Stéphane Hessel, forgée par la guerre, trempée dans les principes du Conseil national de la Résistance et l’esprit fondateur de l’ONU». Il « ne dérogea jamais». Rapporté par le même journal, Dominique Garaud dans la Charente Libre lui enchaîne le pas: « Résistant de la première heure, rescapé miraculé de Buchenwald, associé à la naissance de l’ONU, à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, diplomate promu à la dignité d’ambassadeur de France, médiateur pour les sans-papiers, perpétuel agitateur d’idées à gauche ».

Nous trouvons dans tous ces attributs l’écho des critères qui font la légitimité aujourd’hui : victime, mais résistant, survivant mais dévoué aux autres, fervent de la « communauté internationale », des « droits de l’homme », soutien aux « sans » de toutes sortes tandis que, selon la journaliste Hélène Pilichovsky, le fait que, quoique Juif, il a pris fait et cause pour les Palestiniens constitue le côté le plus fort du personnage. Il faut donc rajouter à tous ces critères, la haine de soi, si typique des post-modernistes, dévorés de culpabilité envers « l’Autre ».

« Juif » donc mais contre soi et finalement pas tout à fait juif mais « Juif d’origine » , sous « les foudres des associations juives » (Le Monde), martyr donc, internationaliste, pour les droits de l’homme (et pas du citoyen), pro-immigré, pro-Palestinien, défenseur des damnés de la terre et donc anti-colonialiste, participant de la Déclaration des droits de l’homme, au sortir de la Shoah et des camps , contre Israël qui aurait trahi cet héritage etc. A cela s’ajoute ce qui, dans la culture démocratique de masse, vaut comme un signe de confirmation sociale : la vente de 5 millions d’exemplaires d’un « livre » de 15 pages au message typiquement « bobo » c’est à dire relayant une idéologie qui, depuis son « grand soir » de 1968, « se la joue » et vit en prenant des postures dans son fauteuil de direction… « Indignez-vous » mais… ne vous révoltez pas.

Même surfait, le mythe Hessel est efficace et fait du personnage une icône du bien, du légitime, du gracieux, de l’espérance, génératrices de charisme. Dans les faits, quand il y a pouvoir charismatique, l’important c’est moins le personnage charismatique que la croyance de ses disciples en sa personne tenue pour hors du commun, incarnant des valeurs qui intiment l’autorité.

C’est justement là, quand on considère la foule de ses adorateurs, que cet étrange unanimisme inquiète. Au creux de cet écrin délicat se niche en effet une haine d’Israël, une inimitié extrêmement profondes, qui se nourrissent de toutes ces qualités que l’opinion contemporaine tient pour positives et dont l’impact rejaillit d’autant plus négativement sur Israël et les Juifs, clairement identifiés comme hostiles. Peu importe, sur le plan du réel, l’inanité, les erreurs, les jugements péremptoires qui inspirent cette inimitié, ce qui compte c’est la puissance de l’émotion. Vu la place qu’occupe dans son « livre » la dénonciation d’Israël, il est clair que dans tous les esprits énamourés qui se pâment devant son auteur, Israël et tout ce qui se rattache à lui incarnent le contraire absolu. Cela relève désormais de la croyance, de la foi, d’une forme de religiosité. Tous les problèmes de la terre qui doivent susciter « l’indignation » ont désormais le visage de l’Israël honni et des Juifs qui le soutiennent.

L’encensement aberrant et immérité de ce « juste » (Libération dixit, mais aussi avec la confirmation ahurissante de l’État hollandais, lui conférant les honneurs militaires aux Invalides) nous donne un indice extrêmement sûr de l’épaisseur de l’inimitié envers Israël et les Juifs qui a cours actuellement en France. Nous sommes dans une situation d’égarement moral et intellectuel maximal où la compassion pour les victimes de Merah fait cause commune avec le discours qui justifie leur meurtre (rappelons nous que le terroriste voulait venger « les enfants de Gaza » ). Au fait, où était l’indignation de Hessel après Toulouse, pour ne pas parler de la Syrie ?

Tout cela est éminemment inquiétant même si ces réalités restent pour l’instant « froides ». C’est un brandon pour le feu de demain.

Shmuel Trigano

– 1 « Laissez-moi faire une petite rectification. Quand on dit que je suis corédacteur de la « Déclaration universelle des droits de l’homme », c’est très exagéré. A l’époque, j’avais 30 ans et n’étais qu’un jeune diplomate, chef de cabinet d’Henri Laugier, secrétaire général adjoint de l’ONU. Lors de l’élaboration du texte, j’étais assis à côté de gens aussi importants que René Cassin et Eleanor Roosevelt, qui, eux, rédigeaient la Déclaration alors que, moi, je les écoutais rédiger. »Cf.
http://tempsreel.nouvelobs.com/stephane-hessel/20130227.OBS0206/debat-stephane-hessel-et-jean-daniel-insurgeons-nous.html

– 2 Le Match des éditorialistes de I-TV, le 27 février 2013. http://www.itele.fr/chroniques/le-match-des-editorialistes/le-match-des-editorialistes-43679;
« là où il était le plus séduisant et le plus crédible, à savoir quelqu’un d’origine juive qui défendait les Palestiniens et çà c’est quelque chose à louer… ». Le journaliste de Libération présent était parfaitement d’accord sur ce point là. Gauche et droite réunies !

– 3 Le titre de Une de Libération, « Un juste », est une reprise, calculée ou pas, du titre de « juste des nations » conféré aux non Juifs qui ont sauvé des Juifs durant la Shoah. Ce phénomène est très intéressant car nous assistons là à une nouvelle étape du discours sur les Justes (on se souvient de leur célébration par Chirac au Panthéon) qui a ouvert la voie à la tentation d’aborder la mémoire des victimes par le biais de leurs sauveteurs, une approche déculpabilisante. Avec Hessel devenu un « juste », l’argument du « juste » peut être retourné contre ceux qui étaient identifiés aux victimes, les Juifs. En quoi serait-il un nouveau « juste » si ce n’est parce qu’il « sauve » les nouvelles « victimes », les Palestiniens, de nouveaux « bourreaux », les Juifs, pardon, les Israéliens…
– 4 De façon très physique, la couture qui tient le livre passe juste au milieu du passage concernant Israël, de sorte qu’en l’ouvrant on tombe immédiatement sur son nom.
– 5 Ce que j’ai vu de mes yeux sur la place de la République dans une manifestation en faveur des droits des handicapés, le slogan anti-israélien était présent…
– 6 Évidemment, les Juifs qui ne se renient pas. Reste à remarquer que les Juifs qui dénoncent urbi et orbi les « mauvais » Juifs, alors qu’ils n’ont jamais pris part à quelque vie juive que ce soit, fournissent justement l’argument de la bonne concience (« philosémite ») aux tenants de cette attitude.
– 7 Mais très cohérente. Cf. S. Trigano, Les frontières d’Auschwitz. Le dérapage du devoir de mémoire, Bibio-Essais, Livre de Poche-Hachette, 2005.
– 8 Il faudrait écrire ici aussi un article sur la propagande de guerre du Hamas sur l’état des choses à Gaza dont Hessel s’était fait le petit facteur. Voir déjà mon article dans Le Figaro (9 aôut 2010) sur cette question
http://www.debriefing.org/30456.html
– 9 C’est vrai que le Hamas dont il s’était fait le porte-parole est dans le camp des ennemis des rebelles…

NDLR – Stéphane Hessel JUIF ? NON pas du tout.

Stéphane Hessel naît à Berlin durant la Première Guerre mondiale. Son père, l’essayiste et traducteur allemand Franz Hessel est un converti, il est le troisième fils d’Heinrich Hessel, Polonais d’origine juive, ayant fait fortune dans le commerce des grains. La famille est installée à Berlin depuis 1889 et est parfaitement assimilée. Franz est baptisé dans la religion luthérienne. Sa mère, Helen Grund, est la fille cadette d’un banquier d’origine silésienne dont la famille a eu du mal à accepter l’origine juive de Franz.

Il n’est ni juif par son père, encore moins par sa mère, seul critère de judaïcité.
Hessel se fait passer comme étant d’origine juive, encore une autre imposture.

——————————-

Débat Stéphane Hessel et Jean Daniel : « Insurgeons-nous! »

Le 22 janvier 2011, une véritable foule avait applaudi debout le dialogue de Jean Daniel et Stéphane Hessel, lors des portes ouvertes du « Nouvel Observateur », à Paris, au Collège des Bernardins. Ils avaient confronté leurs analyses sur l’actualité, notamment sur la révolution tunisienne qui avait débuté un mois plus tôt, mais aussi sur la gauche, la mondialisation, la Palestine, Israël…


Dialogue entre Jean Daniel et Stéphane Hessel… par LeNouvelObservateur

L’aveu de l’imposture en 10ème minute.

Personne ne réagi. Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut entendre.

Jean Daniel, vous avez placé cette journée de débats organisée par « le Nouvel Observateur » sous le signe de la révolution tunisienne. Stéphane Hessel, vous avez été corédacteur de la « Déclaration universelle des droits de l’homme » de 1948. Que vous inspire, tous deux, cette révolution et prouve-t-elle l’universalité des droits de l’homme tant mise en cause dans le monde arabo-musulman ?

Stéphane Hessel : Laissez-moi faire une petite rectification. Quand on dit que je suis corédacteur de la « Déclaration universelle des droits de l’homme », c’est très exagéré. A l’époque, j’avais 30 ans et n’étais qu’un jeune diplomate, chef de cabinet d’Henri Laugier, secrétaire général adjoint de l’ONU. Lors de l’élaboration du texte, j’étais assis à côté de gens aussi importants que René Cassin et Eleanor Roosevelt, qui, eux, rédigeaient la Déclaration alors que, moi, je les écoutais rédiger. J’ai eu la chance exceptionnelle, ayant connu tout ce que la guerre avait d’atroce, de voir des gens sérieux au travail pour que désormais il existe un texte dans lequel on trouve tout le programme que les hommes du XXe puis du XXIe siècle devraient mettre en œuvre pour vivre dans une société juste avec des droits et des libertés garantis.

Je m’associe à ce qu’a écrit Jean Daniel sur la révolution tunisienne. Ce qui vient de se passer est extrêmement important et neuf. Nous avons tous deux vu au cours de notre longue vie des événements historiques, mais ce qui se passe en Tunisie est très particulier car, pour une fois, c’est le peuple qui a décidé qu’il en avait assez d’être dirigé d’une façon aussi brutale et corrompue. Rappelons-nous que la charte des Nations unies commence par « Nous, peuples des Nations unies ». C’était déjà l’idée qu’il revenait aux peuples eux-mêmes de décider comment ils voulaient être gouvernés. Nous avons hélas peu d’exemples dans les soixante dernières années de peuples ayant pris d’eux-mêmes la décision d’être gouvernés autrement qu’ils l’étaient. La Tunisie est un exemple d’une libération démocratique et d’insurrection pacifique. Je fais le vœu que ce qui se passe soit le début d’un élan démocratique dans le monde, ce dont nous avons tant besoin.

– Jean Daniel : La révolution tunisienne n’est pas une révolte arabe à l’ancienne. Elle était imprévisible sous cette forme. Elle a commencé non par des attentats suicides mais par l’immolation d’un jeune homme qui hurlait sa détresse sans attendre une quelconque récompense au paradis pour son sacrifice. Aujourd’hui, ce peuple que j’ai vu naître dans l’indépendance renaît dans la liberté, même si elle est encore fragile. Les conditions de cette révolution sont tellement particulières que l’émotion qu’elle procure, elle aussi, est inédite.

Quelles sont ses particularités ? C’est un peuple qui est l’un des plus éduqués du monde arabe et dont les femmes ont une égalité totale avec les hommes, ce qui n’existe pas chez ses voisins. Mais il y avait un Etat si policier qu’aucun des habitants ne se sentait à l’abri d’une surveillance menaçante, tandis qu’une famille de voyous prédateurs humiliait d’autant plus le peuple que la misère des déshérités faisait place à l’ancienne prospérité. C’est donc aussi une révolte contre l’humiliation qui restitue la fierté d’être tunisien.

Pourtant, ce peuple n’était pas le plus malheureux et opprimé de la terre, comparé à celui du Darfour, par exemple. Et c’est à cause de cela qu’il a pu réclamer de manière aussi profonde sa liberté sans laquelle pour lui il n’y a ni pain ni indépendance. Ce peuple nous a donné l’idée, mais aussi à la jeunesse d’autres pays, que tout n’est pas impossible. C’est le message le plus exaltant et contagieux. Peut-être davantage encore pour quelqu’un comme moi, qui suis né en politique avec l’accession à l’indépendance de la Tunisie et avec la rencontre de deux hommes : Mendès France et Bourguiba. C’est le combat anticolonialiste qui a marqué mon engagement et qui est né sous le parrainage incroyable de ces deux hommes qui ont inventé en politique le gradualisme, cette volonté de limiter l’affrontement, de parcourir des étapes pour résoudre un conflit.

– S. H. : J’ai eu le privilège d’être au cabinet de Pierre Mendès France, alors président du Conseil, pendant ces sept mois et dix-sept jours trop courts où il a été obligé de se consacrer aux problèmes internationaux alors qu’il aurait pu nous montrer la voie d’une démocratie en France, comme il le développera dans son livre « Pour une République moderne ». A peine revenu de Genève, où il avait réussi à mettre fin à la guerre d’Indochine, il s’est tout de suite concentré sur l’Afrique du Nord et a engagé des négociations avec Bourguiba. Il a fait la preuve d’un courage et d’une imagination géopolitique remarquables. Il a eu la chance de tomber sur un partenaire extrêmement intelligent, acceptant d’aller par étapes afin de limiter les violences. C’est aussi cette non-violence, à laquelle je suis si attaché, que je salue dans la « révolution du jasmin ».

De Gaulle et Mendès France sont deux grands hommes de vos parcours respectifs. En quoi restent-ils ou non des modèles pour vous ?

– J. D. : J’ai été un admirateur inconditionnel de De Gaulle pendant la guerre : cet homme a réussi à me faire penser que l’Etat de Pétain qui m’avait enlevé la nationalité française n’était pas la France. Lorsque j’ai entendu la première fois son nom, je me suis émerveillé de sa musicalité. Il fallait un peuple peu ordinaire pour se donner un sauveur qui s’appelle de Gaulle ! Ce héros national est celui des grandes ruptures. Patriote, il a divisé la France. Militaire, il a divisé l’armée. Homme de droite, il a condamné le patronat collaborateur. Maurrassien, il s’est entouré de juifs. Mais mon admiration pour de Gaulle est proportionnelle au doute que j’ai sur le gaullisme. Je ne crois pas qu’il y ait un héritage de De Gaulle. Il disait lui-même qu’il n’avait pas de prédécesseur et ne voulait pas de successeur. D’ailleurs de Gaulle ne peut servir de modèle car il a changé sans cesse d’avis dans tous les domaines. Ce qui est normal pour un homme d’Etat qui doit s’adapter, voire mentir. Sur l’Algérie, il a menti à peu près à tout le monde. Les gaullistes d’aujourd’hui sont des usurpateurs : on n’imite pas de Gaulle.

– S. H. : Je suis d’accord. De Gaulle est un personnage plein d’ambiguïtés. Je ne me sens solidaire d’aucune équipe qui se proclame gaulliste aujourd’hui, mais je n’oublierai jamais qu’au moment où nous étions au nadir des démocraties en Europe, où elles paraissaient vaincues, où la France était à terre il a dit que le combat n’était pas fini, que nous devions le continuer et que nous finirions par gagner. C’est admirable ! Et quand je suis arrivé à Londres en mars 1941 et que je l’ai rencontré, on ne pouvait pas être plus ébloui que je l’ai été.

– J. D. : Mendès France incarnait pour moi la rigueur avec une authenticité simple, tranquille. Il n’avait aucune pose, aucune coquetterie, mais une incroyable confiance dans ses capacités de convaincre. Lui qui possédait cette vertu pédagogique se donnait un mal fou pour expliquer à chacun ses choix avec une clarté souveraine. De Gaulle est un mystique : il fascine. Mendès est l’incarnation de la raison : il convainc. Ces deux hommes ont une passion. L’un pour la vocation de la France, l’autre pour la dignité des Français.

Tous deux avez combattu dans la France libre et soutenu le programme visionnaire du Conseil national de la Résistance, qui fut la matrice de l’Etat-providence des Trente Glorieuses. Est-il trahi aujourd’hui et faut-il y revenir ?

– S. H. : Mon petit livre commence en effet par un rappel des principes et des valeurs sur lesquels repose le programme du Conseil national de la Résistance adopté en mars 1944. Jean Moulin avait voulu un texte qui réunisse toutes les composantes de la Résistance et qu’on puisse envoyer à de Gaulle. C’était une manière de lui dire : « Nous, les résistants, c’est ça que nous attendons de vous, que nous reconnaissons comme notre chef et qui devez conduire la France à la libération. »

Ce qui est écrit en quelques pages me paraît encore aujourd’hui essentiel. C’est tout ce socle des conquêtes sociales et démocratiques qui est aujourd’hui remis en cause par la domination des forces économiques et financières. Ce qui justifie de la part des citoyens une forme d’indignation. Les propositions du CNR auraient dû être maintenues contre les forces qui s’y opposent. L’intérêt général doit primer sur l’intérêt particulier, le juste partage des richesses créées par le monde du travail doit primer sur le pouvoir de l’argent. Ces principes sont bafoués aujourd’hui car le pouvoir de l’argent n’a jamais été si arrogant.

– J. D. : Jusqu’aux Trente Glorieuses, les principes du CNR ont été respectés. Mais c’est le choc pétrolier de 1973, les crises et aujourd’hui la mondialisation qui ont mis un point d’arrêt à l’Etat-providence, et qui provoquent les questions que la social-démocratie se pose sur ses compromissions avec le libéralisme. La Résistance avait voulu par l’Etat-providence une sorte de sanctuarisation du social. Elle souhaitait qu’à chaque progrès économique corresponde une volonté égale de produire et de répartir. Cette volonté s’est épanouie pendant le capitalisme rhénan. La cogestion en Allemagne atténuait la lutte des classes grâce la prospérité de tous.

Le succès du livre de Stéphane Hessel répond non seulement à un besoin d’indignation, mais à la révolte contre une logique d’échec présentée comme inéluctable par les forces économiques. Stéphane, votre mérite est de dénoncer la fatalité, mais votre insuffisance est de ne pas dire comment. Nous vivons dans un monde complexe, à la fois celui du « 1984 » d’Orwell et celui du « Meilleur des mondes » d’Aldous Huxley. Je ne sous-estime pas notre capacité de résistance, mais combattre la financiarisation de l’économie est un défi énorme.

Vidéo : Dialogue entre Jean Daniel et Stéphane Hessel, deuxième partie


Dialogue entre Jean Daniel et Stéphane Hessel… par LeNouvelObservateur

Vous êtes deux hommes de gauche, critiques de la financiarisation de l’économie et du pouvoir de l’argent. Que peut faire la gauche en France, face à la mondialisation, pour trouver de nouvelles voies plus justes à l’avenir ?

S. H. : Si elle veut obtenir des résultats concernant les grands problèmes du monde, la gauche ne peut pas se contenter d’être seulement française. Elle doit s’allier étroitement avec les gauches d’autres pays. Nous ne pouvons plus rester divisés en petites nations individuelles en rivalité perpétuelle. La gauche française doit préparer notre pays à des combats communs sur des problèmes mondiaux, en particulier environnementaux. C’est pourquoi je soutiens le combat d’Europe Ecologie. La droite à l’évidence n’a pas apporté les réponses nécessaires. J’espère en une gauche assez courageuse pour dépasser ses divergences internes insupportables et confiante dans les valeurs fondamentales du CNR.

J. D. : Pour ma part, je me suis défini dans le sillage de Camus comme « un réformiste radical », c’est-à-dire que si je refuse l’utopie révolutionnaire avec ou sans violence, en revanche je combats de toutes mes forces la dérégulation et l’abandon par l’Etat de tout ce que veulent lui prendre les ultralibéraux. Cependant, je redoute que, sous le prétexte que la gauche se serait pervertie par une sorte de ralliement à l’économie de marché, nous devrions nous diriger vers une réhabilitation rampante du marxisme. Est-ce alors que tous nos combats anti-totalitaires, notre refus du collectivisme, nos débats sur le matérialisme historique étaient illusoires ? Le scandale de la financiarisation de l’économie, qui mobilise à juste titre des citoyens dans le monde entier, nous ferait-il regretter ces luttes ?

Les financiers qui ont déclenché la crise ont cyniquement profité de l’aide qu’ils ont reçue des Etats pour la résoudre. Mais dans notre autocritique du ralliement de la gauche au libéralisme, il y a un vrai danger : celui de revenir à l’utopie malheureuse que nous avions combattue.

S. H. : Vous avez raison. La vigilance est nécessaire. Il ne suffit pas de s’indigner, il faut travailler en s’appuyant sur nos valeurs. Il faut se méfier des titres un peu trop accrocheurs tel « Indignez- vous ! ». Mais il est si triste pour des gens de ma génération de voir que les gouvernements successifs des grands Etats ne profitent pas de l’expérience de ceux qui les ont précédés. Nos valeurs fondamentales sont nées de durs combats. Quand elles sont oubliées ou rejetées au profit d’ambitions nationales étriquées, comme en Israël ou en Palestine, ça va forcément mal.

Tous deux, qui avez toujours soutenu depuis des décennies la cause palestinienne et milité pour la paix israélo-palestinienne, vous êtes aussi la mémoire longue de ce conflit qui ne trouve toujours pas d’issue. Pour vos engagements, vous avez subi de nombreuses attaques et de procès de la part d’une partie de la communauté juive en France, et encore récemment pour Stéphane Hessel. Partagez-vous aujourd’hui la même analyse sur Israël, la Palestine et le Hamas ?

J. D. : Pour l’essentiel, je suis d’accord avec Stéphane Hessel et je trouve irréfutables les explications qu’il a données sur Gaza, après la publication de son livre. Soyons clair, nous défendons lui et moi l’existence de l’Etat d’Israël. Nous estimons légitime qu’Israël se préoccupe de sa sécurité. Nous sommes aussi vigilants que nos accusateurs sur la façon dont l’antisionisme peut être instrumentalisé par les antisémites. Un homme nous manque : mon ami Pierre Vidal-Naquet a adopté dans ces questions un comportement exemplaire. Il se battait tous les matins sur trois fronts : le combat contre le négationnisme – c’est lui qui a confondu Faurisson -, contre la torture en Algérie – c’est lui qui a dit la vérité sur le cas Audin -, et avec la même volonté pour la création d’un Etat palestinien et pour les droits de ce peuple.

Quant aux attaques dont nous sommes l’objet avec Stéphane Hessel, j’y répondrai avec d’autres arguments que les siens. A Gaza, les conditions de vie sont intolérables et il faut y mettre fin. Mais il faut avoir une philosophie rigoureuse sur l’évolution de l’Etat juif. Israël, c’est l’installation d’un rêve après des persécutions dans un pays déjà occupé par les Anglais. Sa création a suscité un refus arabe, long et injuste, et provoqué des guerres. Les victoires militaires israéliennes ont suscité un nationalisme qui est devenu religieux dans les deux camps. Le soutien à Israël est aussi devenu religieux aux Etats-Unis. Il y a un succès du providentialisme, théorie selon laquelle chaque fois qu’on a une victoire, c’est la volonté de Dieu qui s’accomplit.

Ainsi s’est déployé aux Etats-Unis un parti, un immense lobby pro-israélien qui pèse lourdement sur la politique étrangère américaine. Dernier exemple en date : la façon inexcusable pour moi dont les responsables israéliens ont saboté une providentielle offre de règlement du conflit par le président Obama, offre qui était pourtant le salut d’Israël.

S. H. : Au même moment qu’était votée à l’ONU la « Déclaration universelle des droits de l’homme », j’ai le souvenir de la joie que j’ai éprouvée lorsqu’à l’unanimité le Conseil de Sécurité a déclaré qu’enfin, après des siècles d’errance et de persécutions, les juifs allaient avoir leur Etat. C’était le seul aboutissement acceptable après l’horreur subie par les juifs lors de la guerre. Comme tous les partages, celui des territoires entre Israéliens et Arabes était contestable, mais il a été reconnu comme acceptable.

La victoire israélienne dans la guerre de Six-Jours a conduit les gouvernements israéliens successifs à une démesure. Ils ont cru que c’était le destin de Dieu qui s’accomplissait et non les desseins des Nations unies. Ce qui nourrit ma tristesse et quelquefois mon indignation, c’est qu’aucun des gouvernements israéliens successifs n’a pu convaincre son peuple de vivre à l’intérieur de ses frontières tout en permettant aux Palestiniens de créer leur Etat.

Chaque fois qu’on a cru avancer, on est revenu aussitôt en arrière. C’est le grand malheur de cette région. Nous avions l’espoir qu’Obama serait capable d’obtenir un règlement pacifique mais, en raison du blocage israélien, on en est loin. Voilà pourquoi quand je vais à Gaza – ce qui m’est arrivé au moins à cinq reprises au cours de ces quatre dernières années – je prends contact avec Ismaïl Haniyeh, le Premier ministre du Hamas, même si je sais parfaitement qu’il est islamiste, qu’il a pris des positions contestables et même criminelles. Mais je pense que ce serait une erreur de ne pas parler avec lui, car, quelles que soient les violences qu’il porte en lui, c’est quelqu’un avec qui il est possible de négocier. Comme on a négocié hier avec le FLN ou avec l’OLP, qualifiée jadis de terroriste. C’est ce que me dit John Ging, le directeur de l’Organisation des Nations unies pour les Réfugiés, qui assure l’éducation de plus de deux cent mille élèves à Gaza et les soins de santé de centaines de milliers de Palestiniens, et dont il faut saluer l’admirable travail. Je crois encore qu’aujourd’hui il n’est pas impossible qu’une ferme attitude de l’Europe et des Etats-Unis puisse pousser Netanyahou vers une vraie négociation.

J. D. : N’oublions pas que des dirigeants israéliens ont été porteurs de paix. Rabin m’a tenu ce langage : « Je veux négocier avec les Palestiniens comme s’il n’y avait pas de terrorisme et je veux combattre les terroristes comme s’il n’y avait pas de négociations avec les Palestiniens ». C’était une leçon de clairvoyance et, avant d’être assassiné, il avait, par sa pédagogie, convaincu son peuple de faire la paix. Il faut se rappeler aussi que c’est à Tel-Aviv qu’il y a eu la plus grande manifestation au Proche-Orient contre les crimes de Sabra et Chatila. Il y a eu des moments privilégiés, des négociations entreprises, autant d’occasions manquées.

A partir du moment où le nationalisme arabe ou juif est devenu religieux des deux côtés, l’islamisation et la théologisation juive ont transformé toutes les données du problème. Mon pessimisme actuel vient du fait qu’on ne voit plus aucun progrès vers la paix de chaque côté. Ni des Palestiniens vers une islamisation moins violente, ni des Israéliens vers une acceptation franche d’un Etat palestinien. Quand je dis franche, je veux dire, par exemple, qu’on ne peut pas coloniser un bout de territoire palestinien au moment même où l’on négocie pour décider de son appartenance !

Débat animé par François Armanet et Gilles Anquetil-Le Nouvel Observateur

Article publié dans « le Nouvel Observateur » du 22 février 2011. Article original

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Richard

Merci Youssef pour cette rédaction.
Je suis allé la première fois en Israël en 1976 . Une bonne partie de la famille de ma mère est à Sédérot et à cette époque nous allions faire le marché à GAZA. Je me souviens de mes parents originaires du Maroc qui discutaient paisiblement avec les arabes, idem au souk à Jérusalem. Les fouteurs de merde
ont les connais bien et voilà le résultat qu’ils nous laissent: d’un côté les salafistes qui se sentent pousser des ailes et qui ont des désirs « pas très catholique » et de l’autre l’iran qui se revendique le droit d’agir comme les nazis, et c’est sur Israël que l’on fait pression. Alors dès fois, quand je n’ai pas envie de vomir je me pose cette question: « Y-a-t-il plus de lâche que d’antisémite, ou plus d’antisémite que de lâche? »…..Alors que ces salopards aillent dans un enfer bien pire que celui qu’ils nous laissent ici bas en Europe comme ailleurs.

Youssef

{{Lettre ouverte à Monsieur Stéphane HESSEL

Qu’il repose en PAIX pour le grand bien de tous.}}

Il va bien falloir en terminer un jour !,……….. Le monde entier devra accepter d’une manière ou d’une autre à ce qu’il n’y ait qu’un seul état en terre de Palestine, l’ÉTAT d’ISRAËL. Seule la création d’un Etat englobant toute la Palestine, la Samarie, la Judée, le Golan. Du Jourdain jusqu’à la Méditerranée, depuis Haïfa jusqu’à Eilat, apportera une PAIX longue et durable dans cette région.

Il est tout à fait acceptable de créer des « Zones autonomes à majorité arabes » au sein d’Israël. Des arabes vivants en terre de Palestine commencent à le vouloir. La grande majorité sont les chrétiens qui en font la demande.

Il est impossible de créer deux états dont l’un n’est pas en conformité avec la Charte de l’ONU, dont l’un ne sait pas ce que sont les DROITS de l’HOMME, dont l’un n’est pas démocratique, dont l’un n’a de loi que l’application de la charia, dont l’un veut détruire son voisin. Dont l’un ne vit qu’avec des subventions, qui est victimisé mais qui ne cesse de s’armer. Dont l’un martyrise sa propre population. Dont l’un a chassé juifs et chrétiens de son espace.

Les plus virulents à cette opposition ce ne sont pas les arabes d’Israël, ceux qui veulent pratiquer leur religion et vivre en PAIX, mais les Inconscients Bobos Européens Pro Arabes Anti-Juifs et tous les étrangers arabes qu’a fait venir Arafat pour envahir et occuper les habitations des chrétiens. Arafat et sa meute ont fait fuir les chrétiens de cette région…….. En 1948, les chrétiens formaient 28% de la population arabo palestinienne. Aujourd’hui, sur une population de 6,7 millions, ils ne sont plus que 2%.

En 10 ans, 80% des chrétiens palestiniens ont choisi l’exil.

Plus récemment, lors des affrontements entre Palestiniens à Gaza, le 14 juin dernier, le couvent des Soeurs du Rosaire a été vandalisé par des membres du Hamas. Les croix ont été détruites ainsi que plusieurs exemplaires de la Bible…….Alors qu’à Gaza d’avant 1948 vivaient juifs et chrétiens…………. Partout où passe la meute, c’est pour détruire, c’est pour dominer et imposer une seule religion, la leur.

Ce qui est en totale contradiction avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme – (Article 2) – Et la Charte de l’ONU – (Article 1 alinéa 3)

Vous trouverez ci-dessous les textes en question, de même comparés à la Déclaration D’indépendance d’ISRAËL

{{DECLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L’HOMME – 10 décembre 1948}}

1.Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

2.De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté.

{{CHARTE des NATIONS UNIES – 26 juin 1945}}

Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion;

{{DECLARATION D’INDEPENDANCE d’ISRAËL – 14 Mai 1948}}

L’ETAT D’ISRAEL sera ouvert à l’immigration des juifs de tous les pays où ils sont dispersés; il développera le pays au bénéfice de tous ses habitants; il sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes d’Israël; il assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe; il garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture; il assurera la sauvegarde et l’inviolabilité des Lieux saints et des sanctuaires de toutes les religions et respectera les principes de la Charte des Nations unies.

Monsieur Stéphane HESSEL ne fait pas parti des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais s’il se réclamait de celle-ci, alors pourquoi n’a t il jamais demandé à ses amis arabes de respecter cette « Déclaration des Droits de l’Homme » ni même de respecter la « Charte des Nations Unies » ?…… Nations Unies pour laquelle il a travaillé lorsque le siége se trouvait à Paris au Palais de Chaillot à partir de 1945.

Pourquoi ne s’est-il pas indigné de voir ni la « Déclaration des Droits de l’Homme » ni la « Charte des Nations Unies » appliquée ni à GAZA, ni en Cis Jordanie et encore moins dans l’ensemble des pays arabo musulmans ?

Pourquoi ne s’est-il pas indigné de ne pas voir de DEMOCRATIE dans les pays arabes ?

Se déclarer être une DEMOCRATIE, ce n’est pas seulement donner un bulletin de vote à chacun. C’est accepter la séparation des pouvoirs, c’est respecter la liberté d’expression, c’est accepter la critique, c’est respecter la liberté d’opposition, c’est accepter la liberté d’opinion et la liberté de culte.

Pourquoi n’a-t-il pas demandé l’exclusion des Nations Unies, des pays qui ne respectent pas la « Charte des Nations Unies » ?……….Pourquoi ne s’est-il pas indigné ?

Monsieur Stéphane HESSEL qu’auriez vous bien pu faire pour mériter une place au PANTHEON ?……. Vous qui n’avez jamais cessé d’attiser la haine et de monter les hommes contre les hommes, vous qui avez entretenu de malsaines revendications. Quelle grande oeuvre avez vous laissé derrière vous ?

Pourquoi ne vous êtes vous pas indigné de votre opportunisme ?

{{Monsieur Stéphane HESSEL, oui je suis indigné !,…..Je suis indigné par vous !!}}

{Référence des documents cités ci-dessus.}

http://www.un.org/fr/documents/udhr/

http://www.un.org/fr/documents/charter/

http://www.mfa.gov.il/MFAFR/MFAArchive/1900_1949/La%20Declaration%20d-Independance%20d-Israel