QUEL GRAND RABBIN DE FRANCE? L’instance consistoriale qui se réunira le 22 juin pour élire le prochain grand rabbin de France assumera une lourde responsabilité au regard de la communauté juive de ce pays. Non pas à cause des circonstances qui ont provoqué le départ de l’ancien titulaire du poste. Ni même de l’affaire dite du « guet » qui en a assombri l’intérim. En cette affaire calamiteuse, l’ensemble des protagonistes devrait faire un solide examen de conscience: ceux qui ont monté le stratagème, ceux qui s’y sont laissés prendre et ceux qui ont tenté de l’exploiter. Les dégâts collectifs sont connus: tous les médias s’en sont saisis, effritant encore un peu plus non seulement l’image de l’institution rabbinique mais le crédit moral de toute la communauté. C’est donc ce crédit que le prochain grand rabbin de France devra reconstituer. Sera t-il non pas personnellement mais institutionnellement en mesure de s’y atteler? Pour autant qu’on l’ait su, les candidats ont dû souscrire une sorte de charte qui les subordonnera étroitement, soit pour leur financement, soit pour leurs prises de position publiques à l’équipe dirigeante du Consistoire central. On peut expliquer ce luxe de précautions au regard de déboires et errements passés.

Il faut néanmoins mesurer la nuance qui distingue le retour aux règles communes de la mise en tutelle débilitante, laissant penser qu’au fond le Consistoire central est un champ clos où le mot Pouvoir demeure magnétique, et revenir au sens minimal des réalités. En dépit de son appellation officielle il s’en faut de beaucoup que le grand rabbin de France soit reconnu de tous les Juifs vivant en métropole et dans les DOM-TOM. Son autorité ne s’exerce formellement qu’au regard des Juifs affiliés au Consistoire. Feindre de le méconnaître c’est affliger ce poste d’un fort coefficient fictionnel. Et encore, cette autorité là, ou ce qu’il en subsiste, n’est pas légitimée par nombre de mouvance dites orthodoxes, si ce n’est hyper–orthodoxes puisqu’en ce domaine la surenchère tend vers l’infini. Et pourtant plus que jamais les Juifs de France ont besoin, en cette phase tourmentée et inquiète de leur histoire commune, d’une véritable autorité spirituelle et cohésive. Sans vouloir regarder dans le rétroviseur, souvenons nous de ce que fut une figure de ce format lorsqu’il échut à Jacob Kaplan de l’incarner non pas dans tel ou tel raout mondain mais en France occupée. Et pour en prendre la mesure relisons ses « drachot » des années d’épouvante. Ce que l’on appelle en 2014 « la communauté juive de France » se réduit à l’oligopole de quatre institutions principales, coexistant avec un archipel d’allégeances diverses dont tous les îlots ne communiquent même plus entre eux.

Salutaire diversité? Faute d’une véritable orientation d’ensemble, face à l’élargissement et à l’assombrissement de l’horizon des menaces, de plus en plus nombreuses sont les familles qui partent ou qui songent au départ, puisqu’en république, mais une république qui s’affaisse, la réplique adaptée aux agressions physiques et verbales ne saurait consister dans l’incitation aux expéditions punitives. Depuis des années une douloureuse demande de conseil se dirige non pas vers ses destinataires naturels mais vers ceux à qui l’on croit devoir accorder son crédit, intellectuellement et moralement. Faut–il réaliser son alya? Faut–il demeurer sur place et combattre pour la préservation de sa pleine citoyenneté?

Devant des dilemmes aussi lourds de conséquences, qui oserait s’ériger en phare et en guide des âmes? Il faut aborder également l’autre aspect de la question: si chacun doit veiller seul à son salut et à celui de ses enfants à quoi bon s’affilier à la communauté juive institutionnelle? Et à quoi rime l’élection d’un grand rabbin qui le serait d’apparence? La France de 2014 n’est plus celle de 1807 lorsque Napoléon convoquait un Sanhédrin sous influence pour lui dicter ses volontés. Elle n’est plus celle de 1905 lorsque fut votée non sans mal la loi séparant l’Eglise et de l’Etat. Elle n’est même plus celle de 1940 lorsque l’ennemi identifiable paradait sur les Champs-Elysées.

En 2014, l’ennemi mortel est formellement citoyen français, pouvant tuer où ses commanditaires djihadistes de Tripoli ou de Mossoul ont décidé qu’il le ferait. D’où, assurément, la grande responsabilité qu’assumeront les électeurs du 22 juin. Une erreur de leur part portera un coup sans doute fatal au grand rabbinat de France mais encore à la vénérable institution qui se prévaut souvent de son origine impériale. Tant d’abeilles en leur temps se sont déjà envolées du manteau vert et or! Mais le discernement et l’esprit de suite sont aussi des facultés prophétiques.

Raphaël Draï – Actu J 19 Juin 2014

(Actu J – 19 Juin 2014)

raphaeldrai.wordpress.com Article original

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Kreuzer

D’instinct, et si j’avais le droit de voter pour élire le nouveau Grand Rabbin de France, capable de représenter le judaïsme français dans son extrême diversité —et dispersion—, je choisirais le moins médiatique, et sans doute le plus soucieux des intérêts de la communauté; le Rabbin Korsia, Aumônier Général des Armées, comme le fut, je crois me souvenir, le très regretté et bienaimé Grand Rabbin Kaplan.

Armand Maruani

{{Raphaêl Draï trouve les mots justes pour nous dire l’importance de cette élection pour l’avenir de notre communauté .}}

{{Comme le dit Danielle , souhaitons tous qu’il  » soit entendu  » .}}

DANIELLE

j’ose espérer, Raphaël Drai , que vous soyez entendu !

Mais vous savez une autorité consistoriale imbue de sa personne et avec qui le dialogue n’existe pas, c’est peine perdue.

Le Consistoire prend en otage toute la communauté et ça n’est pas beau à voir !

Est-ce Hachem qui nous délivrera ?