Nous avons eu l’opportunité de passer deux heures, samedi, avec Julian Assange le fondateur de Wikileaks qui est aujourd’hui même en train de se défendre face à un tribunal britannique.

« Bonjour Julian, je suis Francesco, Francesco Piccinini… »

« Francesco ! Rentre ! »

Une phrase « normale », presque « banale » mais si la personne qui est en train de t’inviter chez lui est Julian Assange, l’invitation à tout de suite une saveur particulière…

Julian Assange, Fondateur de Wikileaks l’homme qui a ébranlé grâce à ses révélations, des bureaucraties mondiales et qui en ce moment même est en train de se défendre face à un tribunal anglais qui devra décider s’il sera extradé ou pas en Suède, où il est recherché pour une accusation de prétendu viol.

On pourrait se demander pourquoi il est jugé par la Belmarsh Magistrates’ Court, une sorte de Guantanamo anglaise qui s’occupe de terroristes… Mais ceci est une autre histoire…

Quand nous approchons Julian, il est dans sa voiture et dehors il y a beaucoup de vent. Ainsi, pendant que son assistante continue à lui répéter s’il est vraiment sûr de vouloir faire une interview, il nous fait signe de rentrer.

Les deux heures passées avec Julian Assange chez lui face à sa cheminée ont démarré de cette manière. Deux heures pendant lesquelles, j’essaie de me concentrer sur ce que je dois lui demander et non pas sur ce que répresente la personne que j’ai en face. Heureusement je suis avec Giorgio Scura, un ami de la revue italienne Leggo et c’est lui qui m’aide parfois à reprendre le fil du discours. Avec Julian nous avons d’abord parcouru les années 90 d’Internet, période à laquelle j’ai eu la chance de le « rencontrer » même si à l’époque pour moi il n’était qu’un simple nickname, un pseudo anonyme.

Notre voyage avait commencé le jour avant cette interview. Giorgio passe me prendre à la maison où je logeais à Londres et nous partons en voiture vers Norfolk sur la mer du nord. Une contrée écrasée entre les navires et la chasse. Pendant que nous sommes en voiture, je continue à appeler sur le portable du porte-parole de Wikileaks, Kristin Hrafnsson : « Francesco je ne sais pas si vous réussirez à vous voir, Julian est très occupé ces jours-ci avec la préparation du procès, vas y essaie de le rencontrer et s’il a un peu de temps, il te rencontrera »

Nous avons traversé des ville immergées dans le vent jusqu’à arriver à Beccles où nous avons rencontré la police locale près de laquelle Assange effectue sa garde à vue dans l’attente d’être jugé aujourd’hui. A peine rentré dans le commissariat, le policier nous regarde et dit « encore des journalistes ! » comme un refrain répété mille fois.

Le jour d’après nous sommes là-bas à 14 heures à l’extérieur du commissariat à attendre l’arrivée de Julian. Avec nous la BBC. A 16h45 Assange arrive, son assistante gare la voiture et lui il va signer au commissariat, et ne veut pas parler ni accorder d’interview. Il est grand, très grand, et tout habillé en bleu. Mais revenons à notre interview réalisée chez lui.

Avant de nous faire rentrer dans son salon à Ellingham Hall et de démarrer nos deux heures de discussion, Julian nous a fouillé. Après que son assistante nous demande de déposer tout ce que nous avions dans nos poches, c’est Assange qui nous a fouillé de manière méticuleuse. Un geste inattendu mais compréhensible pour quelqu’un qui, comme lui, n’a pas beauccoup de personne à qui faire confiance. Les premières trente minutes démarrent tranquillement avec « Monsieur Wikileaks » qui allume sa cheminée tout en me demandant comment se porte AgoraVox….

Ensuite nous rentrons dans le coeur de la discussion en commençant par la situation de l’Italie.

Pourquoi n’avez-vous jamais donnée des « câbles » à des journaux Italiens ?

« Nous l’avons fait. Nous les avons donné à un grand journal mais ils ont décidé de ne pas les publier directement mais à travers uniquement des articles. »

A quel journal les as-tu donné ?

« Deux journaux, les deux principaux mais à la fin ils n’ont rien fait. La même chose est arrivée au Japon. Nous avons donné les câbles au principal quotidien régional, qui a plus de 2200 journalistes mais eux aussi ont refusé. »

Dans quelle ville de l’Australie as-tu grandi ?

« Je viens de plusieurs endroits (il sourit) mes parents travaillaient au théâtre. J’ai donc vécu un peu partout de Darwen jusqu’à Melbourne. Et toi où est-ce que tu habitais en Australie ? »

Sydney Paramatta.

« Tu as dû apprendre pas mal de choses là-bas ? »

Disons que j’en ai appris davantage à Naples, du quartier d’où je suis issu.

« Lequel ? »

Un quartier tout proche où on a tourné le film Gomorra, Secondigliano
« Gomorra je le connais, j’ai échangé des mails avec son auteur, Roberto Savieno. »

Es-tu préoccupé par le procès ?

« Non j’ai 40% de possibilité de gagner mais de toute façon en cas de victoire ou de défaite il y aura un appel. Nous avons l’intention de le demander et naturellement si nous perdons ce sera à l’accusation de faire appel. Même si le procès de lundi sera important, l’appel le sera encore plus puisque tout devra recommencer. »

Entre temps est-ce qu’ils te laisseront ici ou tu devras partir ?

« Si nous perdons je serais arrêté et je devrai à nous nouveau rester en prison. Nous essaierons de démontrer que ce n’est pas juste que j’aille à nouveau en prison puisque que je ne pense pas être un sujet dangereux. Probablement qu’il faudra que j’y passe quelques jours et ensuite on m’assignera à résidence. Ce serait quand même un grand soulagement de pouvoir revenir ici. Si par contre nous gagnons je serais libre de partir ».

Ca a été dur en prison ?

« Ca a été une expérience, une expérience importante. J’ai appris beaucoup de choses, mais une expérience de 10 jours trop longue. 5 jours auraient été suffisants je pense… »

Comment tu te trouves ici à Beccles ?

« Un endroit très tranquille… Disons qu’il n’y a pas beaucoup de choses qui se passent. Il s’agit de personnes très accueillantes même si je suis responsable de l’augmentation de la « criminalité » dans ce lieu…. »

Est-ce que tu penses que Wikileaks va s’en sortir d’un point de vue économique ?

« Pour nous ça a été un vrai problème. Jusqu’au moment de mon arrestation nous avions réussi à recueillir jusqu’à cent dix mille dollars en trois jours et demi. Mais ceci a duré très peu de temps. Nous avons perdu ce que nous aurions pu gagner avec cette popularité puisqu’on nous a bloqué toutes les donations. Nous aurions pu utiliser cette popularité pour nous financer et nous améliorer. Ceci te montre combien est puissant le système bancaire qui, sans même attendre un jugement de la cour, sans rien attendre du tout, a décidé de tout bloquer mes comptes. Mais grâce à cet argent nous avons réussi à rendre notre site plus sûr et plus accessible : maintenant il est plus facile de trouver les informations. »

Une banque peut en arriver jusqu’à un tel point ?

« Oui car elles sont très puissantes. Elles tracent toutes les opérations que nous faisons. Visa, BankAmeriacard, etc, enregistrent tout ce que nous faisons et d’ailleurs c’est la raison pour laquelle en Russie ils ont leur propres cartes de crédit nationales parce qu’il ne veulent pas que les Etats-Unis à travers leurs bases de données puissent surveiller les citoyens. Les banques par ailleurs contrôlent qui fait du commerce avec qui. Les prochains câbles que nous publierons, les plus attendus, concernent l’univers bancaire. »

Qu’est-ce que tu penses de l’Italie et de la situation actuelle de Silvio Berlusconi ?

« Je ne l’aime pas mais les italiens oui…. Le problème de Berlusconi n’est pas son pouvoir politique ou économique mais la manière dont il l’a utilisé uniquement pour ses propres intérêts, en corrompant le système. »

Est-ce qu’il y a quelque chose sur l’Italie qui ressort ?

« Il y a beaucoup de câbles qui parlent de la corruption en Italie surtout dans les grandes sociétés. Il y a beaucoup d’informations qui vont ressortir, surtout concernant l’Eni, la société nationale du pétrole qui est le moyen que l’Italie utilise pour entrer dans certains pays corrompus comme par exemple le Kyrgyzstan. L’Eni est la vraie grande entreprise corrompue… »

Pourquoi ces histoires ne sortent pas dans les journaux italiens ?

« Le vrai problème est qu’en Italie les grands journaux ne parlent pas de corruption quand il s’agit de grandes entreprises. Les journaux italiens s’occupent des personnes déjà en prison ou sous procès, mais ne s’occupent jamais de personnes qui ne sont pas poursuivies, même si nous les citons dans des câbles. »

Est-ce qu’il y a autres choses d’intéressant dans les câbles ?

« Oui il y a des éléments intéressants en ce qui concerne les rapports entre les compagnies pétrolières et les Etats. Par exemple BP fait beaucoup d’affaires avec l’Iran… Voici la grande hypocrisie : les Etats se plaignent de l’Iran et ensuite ils font du business avec sans soucis »

Je regarde ma montre et je vois que ça fait déjà une heure que nous sommes là. Je demande à Julian s’il veut que nous partions et lui nous répond qu’il n’y a pas de problème. Nous continuons donc.

Est-ce que vous avez déjà demandé le financement à des fondations ou des organisations ?

« Oui nous avons frappé à plusieurs portes. Mais les fondations ne veulent pas financer des projets qui puissent engendrer des problèmes. Ils ont uniquement deux règles : ne pas financer des organisations qui puissent prendre l’argent et s’enfuir et ne pas financer des projets qui pourraient les mettre face à des situations compliquées par rapport à l’establishment. Elles se trouvent donc à financer des projets qui n’ont aucune valeur ajoutée. En réalité, elles agissent dans un environnement très fermé dans lequel elles s’échangent des conseillers au sein de leurs conseils d’administration et à travers les financements à octroyer ils essaient de rentrer dans d’autres sphères d’influence. Toutes les structures fonctionnent ainsi. Les conseils d’administration de toutes les fondations sont constitués par des personnes qui essaient uniquement de maintenir le statu quo et l’inaction. C’est l’antithèse de ce que devrait être le travail d’une fondation. Un exemple pourrait être par exemple la fondation Ford. Un de leurs objectifs est de recruter des personnes potentiellement dangereuses afin de les « neutraliser ». Mais leur plus grande erreur est de prétendre ne pas faire de politique : mais comment on peut affirmer ne pas faire de politique quand on participe à la vie publique ? Quand on finance la vie publique, qu’est-ce que cela veut dire ne pas faire de politique ? »

A part les fondations quels sont à ton avis les problèmes que créent les lobbies en général ?

« Un autre problème c’est le financement de la recherche scientifique. Prenons l’exemple de la malaria avec environ quinze mille morts par jour. Ceci pourrait se résoudre facilement puisqu’il y a une possibilité de modifier génétiquement les moustiques qui véhiculent la malaria de manière à ne plus porter le virus. Ceci n’est pas fait puisqu’on prétend que le risque est trop élevé et qu’on ne connaît pas les conséquences. Personnellement je pense qu’on pourrait au moins faire des essais qui permettraient de sauver des milliers de personnes par jour. »

Pourquoi avez-vous commencé le projet Wikileaks ?

« Mon histoire vient de loin. Je ne me suis pas réveillé un jour et j’ai lancé Wikileaks. J’avais commencé en Australie avec d’autres personnes, ensuite j’ai eu un peu de notoriété avec des documents publiés contre la scientologie et en 94 en Australie, j’ai mené des opérations de hacking sous un autre nom… J’ai écrit plusieurs programmes d’élaboration d’images et j’ai commencé à m’intéresser aux mathématiques, à la physique et à la mécanique car pour comprendre les technologies il faut être capable de regarder dans plusieurs directions. »

Qu’est-ce qui t’a poussé à t’orienter dans le domaine de l’information ?

« J’ai commencé car trop souvent les journalistes ont renoncé à leur rôle de conduire le débat public en devenant simplement des spectateurs. Ce que nous avons fait avec wikileaks c’est probablement quelque chose que personne n’aurait fait. Les journalistes ne comprennent pas qu’ils ont un pouvoir quasiment unique : pouvoir contribuer aux débats et pas uniquement les subir. »

Quelques exemples ?

Prenons l’exemple de Bill Keller du New York Times. Lui il m’a décrit en disant que quand il m’a rencontré j’avais un T-shirt sale, des chaussures de gym, les chaussettes sales, que je puais… etc. Sans préciser que c’était la période où j’étais recherché et que donc je fuyais d’un endroit à l’autre… Moi je me demande pourquoi il a décrit seulement la première partie et pas la deuxième où je lui racontais ma fuite où je ne dormais pas pendant plusieurs jours pour ne pas me faire attraper… Voilà un simple exemple pour décrédibiliser une personne. Tout ceci est indigne et même si c’était vrai que j’étais sale et que je transpirais, quelle était le besoin d’écrire de telles choses sans les expliquer ? Probablement le New York Times fait tout ça pour se justifier face à Washington d’avoir collaboré avec Wikileaks. C’est un peu comme s’ils disaient à la Maison Blanche : « nous ne sommes pas contre vous, mais nous travaillons pour vous ! »

Oui mais pourquoi as-tu choisi le New York Times ?

Pour des raisons simples. Nous avons voulu privilégier un grand quotidien américain car nos sources étaient américaines. Par ailleurs, sur le plan juridique il est plus évident de protéger des sources américaines par le biais d’un journal qui paraît aux Etats-Unis. Dans l’hypothèse de poursuites, un éditeur peut ainsi toujours intervenir à la cour pour prendre notre défense. Voilà pourquoi nous avons choisi un journal américain.

Et que s’est-il passé ?

Nous avons demandé au NYT de publier en premier. Ils étaient d’accord au début, mais ils se sont incroyablement dégonflés au dernier moment : le journal est revenu vers nous en nous demandant de « publier d’abord ». Je n’en reviens pas que le NYT puisse passer à côté d’un scoop en laissant un petit site avoir l’exclusivité. Le journal a baissé son pantalon par peur du gouvernement : il n’aurait jamais rien publié si nous ne l’avions pas fait en premier lieu. On m’a dit que lorsque nous leur avons donné des câbles, les gens du NYT, à une table ronde avec la CIA et la NSA, leur ont dit « voilà ce que nous avons obtenu… ».

Peux-tu nous donner d’autres exemples ?

Il y a par exemple ce scandale en Afghanistan ; l’histoire de l’unité 373 responsable de la mort de 2000 personnes présentes sur une liste. Cette unité, spécialisée dans les « crimes spéciaux », était si puissante que lorsque le frère de Karzhai s’est lancé dans le trafic de drogue, un général américain a déclaré qu’il le « mettrait sur la liste ». Le gouvernement afghan s’est plaint à ce sujet, car même si vous êtes revendeur de drogue et que vous aidez les talibans, vous ne pouvez être jugé et puni par une unité en marge de la loi. Lorsque nous avons évoqué cette affaire au journal, Keller et Schmidt n’ont plus voulu en entendre parler, « censurant » ainsi cette importante « épine » afghane. Un exemple comme celui-ci montre bien que les systèmes d’information ne font pas leur travail.

Avez-vous eu le même problème avec d’autres journaux ?

Nous avons aussi eu un problème avec le Guardian. Car en donnant des informations au Guardian, on ne sait pas exactement dans quelles mains elles atterrissent. Dans celles des éditeurs ou dans celles de la Guardian Co. qui est reliée à tout un tas d’intérêts économiques ? Tous les gens au Guardian ne sont pas mauvais. Il y a aussi des bons gars qui y travaillent. Mais dorénavant nous nous adresserons à eux directement. Ca nous évitera de confondre les gens qui contrôlent le Guardian avec ceux qui travaillent pour le Guardian…

S’est-il passé la même chose avec Le Monde ou les autres journaux ?

Il y a une multitude de raisons pour lesquelles nous avons donné les infos à plusieurs journaux. La première étant que les journaux poussent la publication à des degrés variables. Der Spiegel, par exemple, a fait sa couverture sur une news qui n’avait jamais été publiée. Quand vous donnez une info au NYT qui va en partie la censurer, vous pouvez être sûr qu’un autre journal ira plus loin. La deuxième raison, je l’ai mentionnée plus haut (dans le cas du Guardian). A savoir qu’on n’est pas sûr dans certains cas de savoir qui est la personne qui va, au final, bénéficier de l’information.

Quels problèmes as-tu eu avec le Guardian ?

Nous avons été obligés de faire certaines choses dans la précipitation. Et ceci a été à l’origine d’une rupture de contrat avec les gens du Guardian. Nous leur avons procuré un accès unique aux dossiers. Ils étaient les seuls à pouvoir les consulter. Ils ne pouvaient cependant les diffuser, les transmettre ou les publier. Seulement les lire. Et c’est ça qui les a mis en pétard. Ils ont rompu le contrat. Ce qui nous faisait peur c’est que des chinois, par exemple, aient pu se procurer des informations et les diffuser en Chine. Nous avons donc porté l’affaire en justice pour réclamer un sursis d’un mois avant publication éventuelle, car nous savions que nous serions mis sous pression dès la parution. Et nous avons obtenu le sursis.

Comment vas-tu procéder à l’avenir ?

Avant nous n’étions pas capables d’assurer un vrai travail d’édition avec toutes les vérifications que cela impose. Désormais nous le pouvons. Il existe un réseau de personnes pour nous aider. Une barrière plus nette devrait s’ériger entre les bons et les mauvais journalistes.

Quelles relations as-tu avec d’autres médias britanniques ? Pourquoi ils vous accusent d’être antisémites ?

Nos relations ne sont pas au beau fixe. Notamment avec la BBC. Aujourd’hui un journaliste m’a agressé verbalement à la sortie du commissariat. Il s’agissait de John Sweeney de l’émission Panorama. La BBC est l’un de nos plus grands adversaires. Ce média nous a accusé de collaborer avec des prétendus antisémites comme Israël Shamir qui nous soutient. Il s’agit d’un journaliste et écrivain natif de Sibérie et installé en Israël. Niant le judaïsme et devenant pro-palestinien, il s’est par la suite reconverti à l’orthodoxie russe. C’est pourquoi il est haï dans les mêmes proportions que Salman Rushdie. Il vit maintenant en Suède, et comme il nous aidé pendant un certain temps, des médias nous accusent à notre tour d’être antisémites, d’avoir fourni des documents aux russes et d’avoir des relations avec Loukachenko. Nos adversaires contactent également nos ennemis pour les interviewer. Ils vont en faire un spectacle qui sera sur les ondes lundi (comme par hasard lors de la première journée du procès) et tenteront ainsi d’influencer les juges. On a finalement découvert que la femme du producteur de ce spectacle faisait partie du mouvement sioniste à Londres…

C’est vrai que tu crains Israël ?

Bien entendu.

Pourtant tu as fait certains choix lorsque tu as décidé de publier les premières informations…

Nous avons choisi de ne rien publier sur Israël pendant la première semaine, car cela nous aurait causé beaucoup de problèmes. Nous avons donc entamé la publication des fichiers sur d’autres pays. Dès que notre « bateau » avait quitté le port, il n’était pas concevable de le faire changer de cap. Au début nous n’avions pas beaucoup de fichiers sur Israël et nous avons eu peur des attaques en provenance de la côte est des Etats-Unis (c’est sur la côte est que résident les principales organisations juives, NDR). Si nous avions publié des informations sur des pays « sensibles » dès le début, nous aurions subi des attaques pour nous faire dévier de notre trajectoire.

As-tu plus peur d’Israël ou des Etats-Unis ?

C’est l’union des deux pays qui m’effraye le plus. A plus forte raison parce qu’ils partagent un certain nombre d’intérêts dans le conflit irakien. Bush a soutenu Israël car il était entouré d’amis à la tête de compagnies pétrolières. Israël, de son côté, a des liens solides avec la côte est des Etats-Unis. Non seulement en raison de la présence de nombreux juifs sur le sol américain, mais également parce que beaucoup de passeports israéliens ont été fournis aux juifs de la côte est afin de renforcer leurs liens avec leur terre d’accueil. La Russie a procédé de la même manière avec l’Ossétie du Sud, en distribuant des passeports à la population locale afin d’encourager la lutte contre le nationalisme géorgien.

Certaines personnes pensent que l’on s’apprête à vivre une troisième guerre mondiale en ligne

Je l’espère….

C’est-à-dire… ?

Bien entendu, je souhaite une révolution non violente et sans victimes. J’ai été surpris par l’ampleur du soutien dont nous avons bénéficié. Des milliers de personnes nous ont aidé. Et grâce à cette communauté, nous avons été en mesure de fournir un accès Internet à 6% de la population égyptienne après qu’Hosni Moubarak ait procédé au black out total. Et ce grâce à une connexion par satellite d’une grande multinationale (Mitsubishi). Bien entendu, sans qu’elle soit au courant…

Que penses-tu des émeutes en Egypte ?

Ce n’est que récemment que Moubarak a reçu le qualificatif de dictateur. Tony Blair l’appelle encore « le grand homme ». Dans nos câbles nous avons tout. Nous avons même publié 480 câbles sur Kadhafi. Ce que nous essayons de faire s’inscrit dans une démarche régionale. Donc même dans le cas où les occidentaux remplacent Moubarak par un pantin, ce dernier devra améliorer les conditions de vie de la population pour gouverner. Cela poussera, par exemple, la Tunisie à offrir à son tour une meilleure condition à sa population, et cela aura un impact sur toute la région. Les régimes se soutiennent mutuellement, mais les populations sont elles aussi solidaires entre elles.

Comment cela va se terminer en Egypte ?

Je ne sais pas comment va se terminer toute cette histoire autour de Moubarak, mais l’histoire sera la même en Libye lorsque la question du remplacement de Kadhafi sera posée. Son successeur devra reconstruire le pays, mais si nous pouvons contribuer à améliorer les conditions de vie dans la région, il ne sera pas en mesure de revenir en arrière. Le cœur du problème reste la question israélienne, et plus particulièrement le cas de Gaza. Car un nouveau chef d’Etat pourrait constituer une frontière avec Gaza. Et si la bande de Gaza a une frontière d’Etat, elle pourrait avoir une armée, des chars et des hélicoptères pour se défendre. C’est exactement ce qu’Israël veut éviter.

Qui va remplacer Moubarak ?

Les Etats-Unis voudraient remplacer Moubarak par Omar Souleiman, ancien chef des services secrets égyptiens, car il est l’homme qui sécurise le plus les américains.

Donc tu ne penses pas qu’ils vont appuyer El Baradei ?

Non. Ils préfèrent Suleiman. El Baradei est un homme compétent qui a fait ses études en occident. Il pourrait être utile dans un nouveau gouvernement. Mais Suleiman a une plus grande faveur des américains.

Comment gères-tu la publication des câbles dans le temps ?

En publiant une information, nous mettons des personnes en danger. Et cette donne peut être utilisée contre nous. Nos adversaires crient volontiers que nous signons l’arrêt de mort d’une source ou d’une personne par le simple fait de publier un câble. Mais c’est juste un jeu politique. Dans les ambassades le personnel est souvent renouvelé. S’il arrivait malheur à l’un des collaborateurs diplomatiques, nous serions soudainement accusés. Nous vérifions donc les câbles avant de les publier, pour éviter que cela se produise. Il faut dire qu’on nous accuserait même si quelqu’un était tué pour une toute autre raison, qui n’aurait rien à voir avec telle ou telle information. C’est pourquoi nous avons baissé le tempo. Le risque de voir quelqu’un mourir à cause d’un câble est réel, et le jour arrivera où nous ne serons plus les seuls à gérer ces câbles. Mais en attendant cette perspective, nous devons faire preuve de prudence.

Qui est le véritable ennemi des régimes ? Toi ? Wikileaks ? Les nouveaux câbles ?

Pour les américains, le véritable ennemi c’est moi et non mes sources. On me vise moi et non pas Wikileaks car je suis la personne qui représente Wikileaks et je leur ai dit d’aller se faire foutre. Ils m’avaient demandé de détruire toutes les informations afin d’éviter des ennuis avec la justice américaine. Ils voulaient que je passe à la télévision pour dire que j’allais détruire tous les câbles. J’ai refusé, et ils ont inventé des histoires pour pouvoir m’arrêter.

Pourquoi ?

C’est comme quand une minette de 16 ans essaye de te séduire. Si tu l’envoies balader elle pique sa crise… Ils sont habitués à demander et à obtenir ce qu’ils veulent. Mais ça ne marche pas comme ça avec nous. Le seul moyen qu’il leur reste est d’anéantir mon image. Tout ça parce que je ne suis pas allé dans le sens de leur requête. Et à cause de ça je ne pense pas que je serai tranquille à l’avenir…

Pourquoi représentes-tu un tel risque pour eux ?
Je représente une menace, car si je ne suis pas condamné je resterai un symbole vivant pour tous les gens qui tiennent tête aux institutions. Nombreux seront alors ceux qui seront libres de dire non, Et pas seulement le citoyen lambda mais également des personnes de l’administration américaine ou de l’armée. En revanche si je suis puni, les gens se diront tous : « Regardez Julian Assange. Il s’est fait avoir. Si lui a échoué, comment diable pourrai-je y arriver moi ? »

Comment tu résistes face à toute cette pression ?

Ce n’est pas si dur. Je ne dis pas que c’est facile, mais ça aurait été plus périlleux si tout m’était tombé sur la tête en même temps. C’est arrivé progressivement, et donc j’ai appris à gérer la pression. Par exemple, les premières infos que nous avons fait passer sur la scientologie nous ont valu une centaine d’actions en justice, quatre ans de procès et une batterie de 22 avocats. A mon âge, chaque année vous laissez filer 2% de votre temps de vie. Il faut donc profiter du temps qu’il vous reste au lieu de dormir devant la télévision… Cela dit l’année dernière, j’ai l’impression d’avoir perdu non pas 2% de mon temps de vie… mais au moins 15% (rires).

Qu’est-ce qu’on te reproche le plus souvent ?

Ils prétendent que je travaille contre un tel ou un tel. Mais nous n’avons rien contre personne. Que nous ayons des infos contre les talibans ou contre les américains, on les publie de la même manière. La seule chose qui nous importe est la fiabilité des sources.

par Francesco Piccinini

AGORA VOX

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Jmnpsg

Moi je trouve que ce qui est le plus inquiétant c’est la puissance des groupes financiers qui peuvent influencer des grands journaux, Wikileaks existe parce que les médias sont de moins en moins indépendant.

pierrot

Le prix Nobel de la Démocratie pour Julian Assange : {{si ce type n’a pas le droit de parler}} et de faire savoir les faits aux Citoyen(ne)s, {{alors il n’y a plus de Monde Libre}}, et c’est la victoire des Totalitaires et des Fascistes. Qui veut ça ??

djay

Pourvu qu’on arrête ce type ! Rien de tel pour provoquer une guerre !
Chaque gouvernement doit garder ses secrets, on est pas dans une télé réalité quoi !
il es mauvais de tout savoir !

Anamariapelliss

Pourvu qu’ils puissent continuer !