La Parasha de cette semaine ( Vayéra) nous raconte notamment l’expulsion de Hagar par Sarah sa maîtresse. En effet, sur la proposition de Sarah, et afin de permettre à Abraham d’avoir un enfant, Hagar devient la concubine d’Abraham et donne la vie à Ismaël.
Dans la vision midrashique, Hagar n’a pas de connotation péjorative. Elle est même considérée comme héritière d’une part de la sagesse d’Abraham, puisqu’après le décès de Sarah, Abraham épouse Kétourah qui devient donc ainsi son épouse légitime, et avec qui il aura sept enfants (voir la fin de la parasha de Hayyé Sarah, que nous lirons la semaine prochaine). Or le Midrash explique que Kétourah était l’autre nom de Hagar, car sa personnalité était aussi douce que de l’encens (Kétoreth).

Du fait de sa stérilité, Sarah avait donc suggéré à Abraham de prendre Hagar sa servante afin de pouvoir procréer. C’est ce que nous avons lu dans la Parasha de la semaine dernière : Hagar avait enfanté Ismaël, « pour Abraham » comme dit le Texte. Mais après la naissance d’Isaac, Sarah demande à Abraham de renvoyer Hagar et son fils. Elle fut alors renvoyée, avec son fils, et Abraham lui donna des provisions. Se trouvant par la suite dans le désert, et ayant épuisé ses provisions et vidé sa réserve d’eau, Hagar ne pouvait plus répondre aux pleurs assoiffés de sont enfant. Elle le jeta derrière un buisson, puis s’éloigna, à la distance d’un tir d’archer, afin de ne pas entendre les pleurs déchirants de son enfant.

C’est alors que, voyant « l’enfant dans sa situation » l’Éternel envoya un ange pour sauver Hagar et son fils, et voici ce que dit le texte :

יט וַיִּפְקַח אֱלֹ-הִים אֶת-עֵינֶיהָ וַתֵּרֶא בְּאֵר מָיִם וַתֵּלֶךְ וַתְּמַלֵּא אֶת-הַחֵמֶת מַיִם וַתַּשְׁקְ אֶת-הַנָּעַר:

Le Seigneur lui dessilla les yeux et elle aperçut une source; elle y alla, emplit l’outre d’eau et donna à boire à l’enfant.

L’Éternel lui dessilla les yeux !

Le problème n’était donc pas qu’il n’y avait pas d’eau – il y en avait donc ! – , mais qu’elle n’avait pas vu ce puits d’eau. Un puits qui était donc bien là ! En effet, le texte ne dit pas « l’Éternel fit un puits … », mais il dit : « l’Éternel lui dessilla les yeux » … il suffisait donc d’ouvrir les yeux !

Le puits était là … mais elle ne l’avait pas vu !

Comment peut-on ne pas voir un puits lorsqu’on a soif ? Comment peut-on ne pas voir une solution lorsqu’on a un problème ?

En réalité la réponse est dans la question : c’est parce qu’on a un problème qu’on ne voit pas la solution. Convaincus que nous avions affaire à un problème ardu, combien de fois avons-nous cherché des solutions à la hauteur de la difficulté du problème – telle que nous la percevions – alors qu’il y avait à notre portée une solution élémentaire ?

Nous n’avions pas vu la solution élémentaire uniquement parce que nous étions convaincus que, cette fois-là, nous étions « cuits ». Oui, Hagar n’a pas vu le puits d’eau qui était bien là – c’est bien ce que nous laisse entendre le texte – uniquement parce qu’elle était convaincue que ce genre de solution n’était pas envisageable : dans le désert, il n’y a pas d’eau. Voilà pourquoi elle abandonna son fils, et s’éloigna suffisamment pour ne pas avoir à supporter ses pleurs.

Nous avons ici, l’air de rien, subrepticement, une grande leçon de vie, résumée par une phrase de la tradition juive :

אל תתיאש מן הרחמים. Ne perds pas patience, ne sois pas désespéré d’avoir droit à la miséricorde.

Dans des situations désespérées, il faut parfois être capable de comprendre qu’une solution finira par surgir, en son temps. Il faut parfois laisser à la solution le temps de germer, ou simplement le temps de se révéler d’elle-même.

Cette patience, cette manière de « faire avec » en attendant des jours meilleurs, cette souplesse à l’égard des épreuves, a quelque chose de féminin.

C’est souvent l’apanage des femmes que de savoir relativiser les difficultés, prendre de la hauteur, et attendre qu’une meilleure solution paraisse, se fasse jour. Voilà pourquoi je ne suis pas étonné que cette leçon nous soit donnée à travers Hagar, une femme, concubine du Patriarche Abraham. Quelque part, il me semble qu’il fallait une présence féminine dans cette histoire de patience devant l’adversité, dans ce récit de confiance en la miséricorde divine.

Mais alors, si on accepte d’emprunter ce chemin, et si on veut bien jouer le jeu : n’est-ce pas à sa maîtresse, à Sarah, que Hagar est en train de porter cet enseignement – même si elle-même, Hagar, a failli – ?

L’impatience de Hagar est-elle autre chose que le reflet de l’impatience de Sarah sa maîtresse ?

Car, après tout, n’est-ce pas l’impatience de Sarah devant sa stérilité qui a engendré toute cette situation compliquée, depuis les péripéties de Hagar jusqu’à la naissance même d’Ismaël ?

La tradition juive enseigne que la « manière de Dieu », Sa façon de corriger, consiste en « מדה כנגד מדה » , ce qui signifie que l’homme est corrigé par là même où il s’est égaré. L’impatience engendre l’impatience ; et l’impatience de Sarah – pour procréer et donner une descendance à Abraham – s’est aggravée et amplifiée dans le récit de Hagar … À son paroxysme, cette impatience provoque des appels au secours, du fils et de la mère, pour enfin sortir de cette frénésie. Un appel au secours que Hagar adresse – inconsciemment – à Sarah, sa maîtresse, pour en finir avec l’impatience.

Une leçon de vie …

Je me plais souvent à penser que ces traits de personnalité, cette patience et cette endurance, tellement féminines et tellement princières, ne sont l’apanage des femmes que depuis ce récit de Hagar.

Jacob Ouanounou

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lydia.b

Bonjour j’ai aimé cette interprétation de votre message mais je voudrai vous demandé la signification exacte du mot « dissilla » car je n’ai pu le trouvé moi meme dans le dictionnaire merci .

Objective

J’aime beaucoup cette interprétation. Elle contient une grande lecon de vie dans sa toute simplicité…