Lorsque le Premier ministre Binyamin Netanyahou s’est confronté aux brutales déclarations de Barack Obama, qui s’exprimait début mai sur le Moyen-Orient, il était clair que son voyage aux Etats-Unis allait être particulier. Et il l’a été.

L’appel américain à un retour aux frontières de 1967, le refus de Netanyahou de céder, la colère israélienne suivant les clarifications d’Obama devant l’AIPAC, et l’accueil particulièrement chaleureux réservé au Premier ministre par le Congrès… un voyage exceptionnel.

Session de brainstorming. Le Premier ministre Netanyahou discute avec ses conseillers pour préparer son voyage américain.
PHOTO: GPO , SPONSOR

Pourtant, de nombreuses questions restent en suspens. Sur la scène diplomatique, rien n’arrive par hasard. Toutes les actions sont pensées, considérées, pesées. Alors que l’on passe en revue les faits marquants de la visite de Netanyahou à Washington, une question simple vient à l’esprit :

pourquoi ?

Pourquoi Obama a-t-il pris Netanyahou par surprise en affirmant que les frontières de 1967 devaient servir de base aux négociations ?

De toutes les questions débutant par « pourquoi », c’est peut-être celle dont la réponse est la moins évidente. D’autant plus que, avant son voyage, l’entourage de Netanyahou n’a cessé de saluer la coopération exceptionnelle entre la Maison Blanche et le bureau du Premier ministre. Mais à y regarder de plus près, cette coopération n’existait pas dans les faits. Elle aurait précisément permis d’éviter certaines surprises désagréables dont le discours d’Obama était truffé.

En plus des références aux frontières de 1967, le président américain a mentionné l’absence d’échanges avec l’Autorité palestinienne (incluant désormais le Hamas), ainsi que la réticence israélienne à clarifier la situation des réfugiés palestiniens – en affirmant, comme l’avait fait George W. Bush, que les descendants des réfugiés de 1948 pourraient revenir dans un Etat palestinien, mais pas en Israël.

L’une des explications de l’effet de surprise créé par le président américain relevait de son désir de préserver son message. Par crainte de fuite par les médias, Washington avait gardé ses déclarations secrètes jusqu’au dernier moment.

Autre possibilité, selon un membre important de la diplomatie américaine, la vision du conflit israélo-palestinien de la Maison Blanche reposerait sur le raisonnement suivant : le leader de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a la volonté de parvenir à des accords de paix mais n’en a pas le pouvoir ; Netanyahou, lui, en a le pouvoir mais pas la volonté. Washington chercherait donc comment rendre le pouvoir à Abbas et la volonté à Netanyahou.

Une des solutions : privilégier le contact entre Abbas et son peuple – ce qu’un « non » au retour des réfugiés pourrait sensiblement menacer. Une autre consisterait à ne pas totalement exclure le Hamas, surtout au lendemain d’un accord de réconciliation avec le Fatah très populaire au sein de la population palestinienne. Enfin, une troisième alternative reviendrait à redorer le blason du leader palestinien. Par exemple, en soutenant officiellement une idée qu’il défend depuis longtemps, comme le retour aux frontières de 1967.

Mais alors comment faire pour donner l’envie à Netanyahou de faire la paix ?

La solution est toute trouvée : montrez-lui où sont les Etats-Unis et forcez-lui la main. C’est précisément ce qu’à fait Obama. Le temps de la procrastination est révolu, a-t-il ainsi déclaré. « Je veux voir les choses bouger maintenant. » Tout cela, a-t-il pensé, allait enfin insuffler un peu de volonté au Premier ministre israélien.

Depuis 2009, la politique d’Obama vis-à-vis d’Israël semble guidée par le sentiment – très populaire auprès de certains experts israéliens et de l’opposition – que la population de l’Etat hébreu ne tolérera jamais une confrontation directe avec le président des Etats-Unis. Plus encore, si on en venait à une telle extrémité, les Israéliens soutiendraient plus facilement Obama que leur Premier ministre, afin de ne surtout pas mettre en péril les relations entre Israël et les Etats-Unis.

Alors, le président américain pouvait facilement surprendre Netanyahou. Il a apparemment pensé, à tort, que si le leader israélien lui tenait tête, il en sortirait perdant. Au moins, d’un point de vue de politique interne.

Pourquoi Netanyahou a-t-il décidé de défier Obama, notamment par des commentaires virulents sur le discours du président américain sur le Moyen-Orient ?

Le discours prononcé par Obama était très complexe. La plupart des téléspectateurs ont sans doute eu beaucoup de mal à le saisir. Le président américain s’est dressé contre les atteintes à la légitimité d’Israël et le plan palestinien de proclamation unilatérale d’indépendance devant les Nations unies. Barack Obama a également réitéré l’engagement américain envers la sécurité d’Israël et avoué que la réconciliation Fatah-Hamas soulevait « d’importantes et légitimes » questions pour l’Etat hébreu. Nous avons tous entendu ses références aux frontières de 1967, sur les bases d’échanges territoriaux préalablement consentis, ainsi que l’évocation du problème de Jérusalem et du retour des réfugiés palestiniens.

Mais, beaucoup ont dû penser que « tout cela avait déjà été dit ». Bien entendu chacun est libre d’y voir le bon ou le mauvais, de considérer la coupe à moitié vide ou à moitié pleine. Netanyahou, lui, a pris la décision – mûrement réfléchie – de se concentrer sur les aspects négatifs de ce message.

Pourquoi ?

Premièrement, parce qu’il était réellement en colère, comme on a pu le voir lors d’un échange téléphonique musclé avec la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, peu de temps après l’allocution. Netanyahou s’est senti piégé. Un sentiment qu’il avait déjà éprouvé lors de sa première visite à la Maison Blanche en mai 2009, lorsque le président l’a pressé – sans avertissement – de geler les implantations.

Deuxièmement, Netanyahou y a vu une opportunité de chercher plus de soutien. Comme l’a déclaré l’un de ses conseillers, « si je devais donner une réponse je dirais que le Premier ministre a restauré la fierté nationale ».

Netanyahou s’est ainsi rendu aux Etats-Unis dans l’idée de s’opposer au président. Il a sans doute été aidé par les images, diffusées quelques jours plus tôt, des affrontements qui ont marqué les célébrations de la « Naqba ». Le Premier ministre pouvait alors expliquer, avec une plus grande aise, qu’un retour aux frontières de 1967 était tout simplement impossible pour Israël.

Netanyahou a également basé ses commentaires sur le sentiment de vulnérabilité dont souffrent de nombreuses nations.

Résultat : selon un sondage publié par Haaretz jeudi 26 mai, sa popularité a grimpé en flèche depuis sa visite américaine.

Pourquoi Netanyahou a-t-il ressenti le besoin de croiser le fer avec Obama, une fois de plus, lors de la publication de leur déclaration commune ?

Selon plusieurs sources israéliennes, la réunion entre Obama et Netanyahou s’est déroulée en deux parties. La première a consisté en un tête-à-tête de 90 minutes, suivie par une déclaration publique. La seconde, en un entretien supplémentaire de 30 minutes, suivi d’une promenade sur la pelouse de la Maison Blanche.

Voyant que le président américain ne comptait pas revenir sur ses positions « controversées », Netanyahou a choisi de le défier de façon publique. Déjà, avant la réunion, il avait clairement précisé que le communiqué publié par les deux hommes serait primordial. Quoi qu’il en soit, s’opposer ainsi à son hôte était particulièrement étonnant.

La combinaison « communiqué + réunion » a eu un impact évident : Obama s’est senti obligé de s’expliquer sur ses déclarations devant l’AIPAC. Clarifications qui ont alors davantage aligné la politique américaine sur les exigences israéliennes.

Pourquoi Obama a-t-il décidé de parler à l’AIPAC et pourquoi a-t-il tenu ces propos ?

La décision d’Obama de s’exprimer devant l’AIPAC, trois jours après un discours majeur sur le Moyen-Orient, fait écho à sa décision, en 2009, de se rendre à Buchenwald peu de temps après son allocution au Caire. Après avoir tenté de faire avaler la pilule aux Israéliens, il tendait la main aux Juifs américains. Histoire de minimiser les retombées de ses propos. La visite d’Obama à Buchenwald en 2009 avait profondément touché les Juifs américains. Voir un président américain visiter les camps de concentration avait été interprété comme un geste fort. Mais Obama n’a pourtant pas touché la corde sensible des Israéliens. Idem devant l’AIPAC.

Bien entendu, un discours à l’AIPAC est très important sur le plan politique. Obama peut désormais dire à ses détracteurs qu’il a eu le « courage » de se lever devant 10 000 fervents partisans d’Israël et d’exiger les changements nécessaires au processus de paix.

Quoi qu’il en soit, Obama semble changer de discours en fonction du contexte. En s’adressant au monde entier, il n’a pas qualifié le Hamas d’organisation politique, ce qu’il a pourtant fait devant les Juifs. Lorsqu’il s’est adressé à la communauté internationale il n’a pas précisé que les implantations devaient rester sous souveraineté israélienne. Devant les Juifs, si. Face au monde, il ne s’est pas opposé une seule fois au retour des réfugiés palestiniens. Devant un public juif, il l’a clairement fait.

Même si Obama veut mettre les cartes sur table, sans choisir la voie de la facilité, il sait qu’il aura besoin du soutien des Juifs pour la prochaine élection. Il sait aussi qu’à cause de sa politique israélienne, il risque de perdre quelques voix parmi les 78 % de Juifs qui avaient voté pour lui en 2008. Et ces voix pourraient s’avérer capitales dans la bataille pour des Etats clés comme la Floride ou l’Ohio.

Pourquoi le discours de Netanyahou devant le Congrès était-il si important, sachant qu’il n’a fait aucune déclaration inédite ?

Alors que le discours de Netanyahou devant le Congrès américain n’a rien révélé de nouveau au sujet du programme politique israélien, il a posé certaines bases qui ne sont pas sans importance. Ainsi, comme il l’a lui-même affirmé lors d’une conversation privée, il a simplement tenté d’énoncer quelques principes qui ne pourraient pas être remis en cause par les vents changeants de la région. Ces bases sont très simples : pas de retour aux frontières de 1967, pas d’accueil des réfugiés palestiniens, pas de Hamas, et l’absolue nécessité pour les Palestiniens de reconnaître le caractère juif de l’Etat d’Israël.

D’autres éléments de son discours méritent également que l’on s’y arrête. Le premier est la flexibilité dont a fait part le Premier ministre, en affirmant qu’il serait prêt à se montrer « généreux » si les Palestiniens se décidaient à utiliser ces cinq mots clés : « Nous reconnaissons l’Etat juif. » Il est également important de préciser que Netanyahou n’a jamais parlé de démantèlement, de destruction ou de déracinement des implantations. A la place, il a déclaré que « dans n’importe quel accord de paix réel, n’importe quel accord de paix pouvant mettre fin au conflit, certaines implantations se situeront en dehors des frontières d’Israël ». Des proches de Netanyahou ont déjà expliqué, par le passé, que des millions d’Arabes vivaient en Israël et qu’il n’y avait donc pas de raisons pour qu’un Etat palestinien n’inclue pas des Juifs.

Troisièmement, à propos du futur Etat palestinien, Netanyahou a assuré qu’Israël saurait se montrer généreux à propos de sa taille mais serait ferme concernant les frontières et notamment la sécurité israélienne. Il n’a jamais utilisé le mot « contiguïté ». Ce n’est pas un oubli. Il lui restera simplement à clarifier comment il pense relier Gaza à la Judée-Samarie.

Enfin, un quatrième point porte sur le fait qu’il a annoncé, pour la première fois de façon publique, quelques idées controversées sur Jérusalem. Netanyahou a, en effet, affirmé que la ville devait « rester la capitale unie d’Israël », mais qu’une solution restait possible « avec un peu de bonne volonté et de créativité ».

Si ces points sont révélateurs, ils n’expliquent pas toute l’importance du discours. L’allocution trouve en effet tout son sens dans l’accueil qu’elle a reçu. Le fait que le Premier ministre israélien ait eu droit à une ovation digne d’une star de cinéma, des deux côtés de l’assemblée, envoie un message important aux amis comme aux ennemis des deux pays.

Netanyahou le sait, et il le savait avant de prendre la parole devant le Congrès. Il connaissait toute la valeur symbolique d’un discours prononcé à cet endroit par un dirigeant étranger. Autrement dit, ce discours, et la façon dont il allait être reçu, pouvait rendre leur fierté à bon nombre de ses citoyens et de Juifs dans le monde entier. Alors, même s’il savait que Obama ne l’applaudirait sans doute pas, Binyamin Netanyahou a parié que, sur le long terme, lui et son pays auraient beaucoup plus à gagner en « disant la vérité ».

Par HERB KEINON JPOST.

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