Depuis sa création en 1989,l’Union du Maghreb arabe (UMA), fantasme unitaire de la région, n’en finit pas de mourir.
Qu’est-ce que l’Union du Maghreb arabe (UMA)? Car, il faut redéfinir ce vieil objet politique. Il s’agit d’un organe qui réunissant cinq pays, dans le cadre d’un projet d’intégration régionale, dirigé par un Conseil de présidence composé des chefs d’État des pays membres. La présidence de l’UMA est tournate et d’une durée d’un an —chose qui n’a jamais eu lieu dans l’ordre et la politesse.

Le Conseil tient une session ordinaire une fois par an et des sessions extraordinaires, si nécessaire. Ce qui n’a pas été respecté depuis 1994. Six sessions ont été tenues, respectivement à Tunis en 1990, à Alger en 1990, à Ras Lanouf en 1991, à Casablanca en 1991, à Nouakchott en 1992 et à de nouveau à Tunis en 1994. Depuis, presque rien. Sur le site de l’UMA, à la rubrique «Réunions futures», on peut lire: «Pas de réunions dans le proche future». Et encore moins depuis le dernier (et énième) report de la rencontre entre les cinq présidents en 2005, après une énième crise entre l’Algérie et le Maroc.

Un grand vœu pieu

«L’UMA impossible» est donc l’un des thèmes favoris des journalistes et des observateurs sceptiques de la région. Le vœu d’une unité, d’un marché régional de près de 100 millions d’habitants, intéressant pour l’Occident, et d’une force politique pareille à celle de l’Union européenne n’a pas dépassé la photo mythique prise à Marrakech en 89, avec les cinq présidents de la région, dont l’un n’est plus (Hassan II), l’autre a «démissionné» (Chadli Bendjedid) et deux sont en fuite (Ben Ali et Kadhafi).

On peut compter sur la liste des réalisations de cette union un siège, un secrétariat, un budget avec des millions de dollars, de nombreux salariés et des objectifs secondaires: une union annoncée des avocats maghrébins, des accords sur le transport de l’énergie ou de l’électricité ainsi que sur l’industrie de l’artisanat.

Le problème ? Techniquement, il se résume à l’affaire de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et du soutien de l’Algérie au Front Polisario ou, vu de l’autre côté, au souci de souveraineté du royaume marocain sur ses terres sacrées. Le second grief reste celui des frontières entre l’Algérie et le Maroc fermées depuis 1994, date des attentats de… Marrakech, ville de naissance de l’UMA.

Réduite à un feuilleton de tensions cycliques, l’UMA a fini par être prise en otage entre deux de ses pays membres, l’Algérie et le Maroc, réduisant les autres adhérents à une neutralité passive ou à une médiation inutile. Tunisie, Libye ou Mauritanie cesseront rapidement d’y voir un quelconque intérêt, réduisant leur présence au sein du «club» à la politesse des rendez-vous entre ministres ou commissions subalternes, et à l’échange des vœux en attendant que le Sahara devienne une prairie verte, une zone autonome, un pays indépendant, divisé équitablement entre ses grands voisins, ou encore une annexe pour le pays gagnant.

Pendant des années, l’UMA deviendra même un sujet bateau pour les journaux, et les plus critiques s’en serviront pour créer une entité plus visible, avec une facture plus réelle, des statistiques plus vraies: le non-Maghreb et son coût pour la région. La situation restera telle quellle et sans «explication» jusqu’aux révélations de WikiLeaks fin 2010. C’est par WikiLeaks, en effet, qu’on saura un peu plus sur ce que pensaient vraiment les chefs d’Etat de la région, les uns des autres, derrière les bonnes manières de la diplomatie.

Des lendemains qui déchantent

Les quelques câbles WikiLeaks concernant le Maghreb ont révélé une cartographie inattendue. D’abords et surtout entre le Maroc et l’Algérie. Dans  des confidences à un haut diplomate américain, Abdelaziz Bouteflika a fait état d’une profonde divergence avec le roi du Maroc pour des raisons… toutes personnelles: Mohammed VI est jugé sans expérience et sans humour. Le dossier du Sahara occidental est présenté comme une situation qui prend en otage surtout l’Algérie, qui cherche, selon Bouteflika, une sortie honorable :

«Je ne peux pas parler à la place des Sahraouis, expliquera-t-il. Ce qu’il faut c’est que le Maroc et le Polisario trouvent une solution et ils peuvent le faire avec l’aide des Américains.»

De son côté, Mohammed VI est présenté comme un mauvais joueur, amateur de fourberies, dans la pure tradition des barbouzeries de son père Hassan II. Aux diplomates occidentaux, les services du roi présenteront souvent l’Algérie comme une menace: d’abord terroriste, ensuite militaire et, enfin, nucléaire. Presque un Iran maghrébin. «Le pouvoir est toujours entre les mains de généraux dogmatiques», selon des confidences faites par des proches du Mohammed VI, juin 2009, au représentant personnel du secrétaire général de l’ONU, Christopher Ross.

L’ex-président tunisien Ben Ali, désormais «dégagé», s’est révélé bavard avec les Américains sur cette région. Selon lui, l’Algérie est à la source des problèmes de l’UMA. A David Welch, sous-secrétaire d’Etat américain chargé des Affaires du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord, il expliquera que l’Algérie bloque tous les progrès dans la région du Maghreb à cause de sa position sur le conflit du Sahara Occidental. Ce conflit délicat ne peut pas «être réglé par le Conseil de sécurité des Nations unies». Ben Ali s’est même attribué le beau rôle :

«La Tunisie avait essayé de convoquer une réunion des Chefs d’Etat du Maghreb à ce sujet à Tunis. Alors que le Maroc et la Libye avaient accepté de participer, l’Algérie a refusé prétextant qu’il n’y avait rien à discuter.»

Et Kadhafi dans ce lavage de linge sale de l’UMA? Il ne s’en sort pas mieux. Le colonel libyen est décrit comme un personnage loufoque par les Tunisiens et encore pire par les Américains. C’est dire qu’après ces révélations, l’UMA est encore plus morte. Le fossé crée par ces révélation est impossible à combler et demandera peut-être, l’émergence d’une autre génération de dirigeants. L’UMA qui n’a pas réuni ses présidents depuis 1994 a eu le malheur d’annoncer en 2010, au cœur même de la tempête WikiLeaks, la date de la création de sa prochaine zone de libre-échange pour 2011. On attend toujours !

Kamel Daoud

Slate.fr

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Armand Maruani

Un crocodile , un caïman et un alligator comment peuvent ils s’entendre ?