Spécialistes de l’extrême droite, Caroline Monnot et Abel Mestre, journalistes au Monde, décryptent dans Le Système Le Pen (Denoël) les divers jeux d’influence qui se tiennent autour de la présidente du Front national. Extraits. »Marine Le Pen (s’est construite) contre son père, si indispensable et pourtant si encombrant. « Le Pen avec des cheveux », comme la décrit souvent sa mère, Pierrette Lalanne. Si elle n’est pas le clone de Jean-Marie Le Pen, la plus jeune de ses trois filles n’en demeure pas moins dans sa droite lignée. Elle se pose comme différente sans toutefois le renier. Une posture difficile à tenir que Gilbert Collard (…) résumera d’une jolie formule (…) : « Elle n’est pas la fille des phrases de son père. » Au-delà de la ressemblance physique, Marine Le Pen fonctionne à l’identique de celui qu’elle appelle « Le Pen ». Comme lui, elle est entourée de plusieurs clans, de figures diverses – qui pour quelques-unes sont issues des familles les plus radicales de l’extrême droite – chargées de la conseiller et chez lesquelles elle pioche des idées au gré de l’actualité. Des personnes qu’elle arrive à faire cohabiter alors que certaines se détestent cordialement. Comme lui, elle sait être dure, intransigeante, même avec ses proches. Comme lui, la famille est aussi un clan politique : son compagnon est vice-président du FN, son beau-frère est l’un de ses conseillers les plus influents, et sa sœur Yann est toujours là, à la fois discrète et omniprésente.

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Quand on travaille sur Marine Le Pen, il y a un double piège à éviter. Reprendre le discours frontiste qui consiste à expliquer en quoi « le FN n’est plus d’extrême droite ». Ou reprendre les slogans des années 1990 qui dressaient un parallèle avec les « fascistes » et les « nazis ». Comme souvent, la vérité se situe dans un entre-deux, chez ces hommes qui évoluent dans une zone grise où se mêlent modérés et radicaux, assimilationnistes et racialistes, étatistes et partisans d’une « grande Europe de Brest à Vladivostok », admirateurs de « Marine » et apparatchiks cyniques.

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De sa jeunesse d’étudiante en droit à l’université d’Assas, Marine Le Pen a conservé des amitiés sulfureuses. Frédéric Chatillon, président, à partir de 1991, du GUD Groupe union et défense »>Article original, est de celles-ci. A l’époque, c’est-à-dire au début des années 1990, la jeune fille appartient au Cercle national des étudiants de Paris, organisation plus « convenable » car plus sage – mais toutefois proche du FN.

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Frédéric Chatillon marque alors son époque. Il est plus qu’un président du GUD, il est le GUD. Dans l’esprit : culte du corps, pratique des arts martiaux, violence, antigauchisme primaire, goût prononcé pour la provocation. Mais aussi dans l’ascendant qu’il exerce sur ses semblables : chef de bande, c’est lui qui fait prendre au GUD un tournant dit « antisioniste » radical – il travaillera d’ailleurs dans une librairie diffusant des écrits négationnistes et néonazis. Comme d’autres gudards, il s’est engagé aux côtés des nationalistes croates, au début des années 1990.

Aujourd’hui âgé de 43 ans, Frédéric Chatillon dirige Riwal, une entreprise de communication qui travaille essentiellement avec le FN. Pour le reste, il n’a pas beaucoup changé. Il adore l’humour potache et veille, comme un « grand frère », aux destinées du GUD. Il admire la République sociale italienne de Mussolini : son fonds d’archives a permis récemment l’édition d’un DVD hagiographique sur les dernières années du Duce par la Semis, une petite boîte de production d’extrême droite « hardcore ».

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Frédéric Chatillon, fervent supporteur du Hezbollah, a des amitiés syriennes haut placées et solides. Quand la contestation a commencé à gagner en Syrie, fin mars 2011, il a apporté son soutien au régime de Bachar Al-Assad en ces termes : « Le lobby sioniste (aux ordres duquel est la presse française) rêve de déstabiliser votre magnifique pays. Tous ceux qui participent directement ou indirectement à ces manifestations se font complices de ce lobby (Page Facebook du groupe We Are Syria, 26 mars 2011). » Un peu plus tard, en juin, à mesure que le pouvoir syrien s’enfonçait toujours plus dans la répression violente, il a même créé le site Infosyrie.fr, organe « de réinformation » au profit du régime syrien. Le site est d’ailleurs domicilié à la même adresse et enregistré au nom de l’entreprise de Frédéric Chatillon, Riwal.

Frédéric Chatillon occupe une place à part dans la galaxie mariniste, étant l’époux de Marie d’Herbais, une amie d’enfance de la présidente du FN, employée au service communication du parti, avec qui il a six enfants. Tous deux organisent des dîners pour présenter Marine Le Pen à des avocats ou des hommes d’affaires. « C’est un ami », dit de lui la candidate à la présidentielle (…).

Bon professionnel, produisant des visuels efficaces, modernes et esthétiques, Frédéric Chatillon s’est chargé de la réalisation des plaquettes de son amie pour la campagne interne du FN. Aujourd’hui, il a franchi un palier et s’est taillé un rôle à mi-chemin entre le prestataire de services et le conseiller en communication.

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Un samedi de mars 2010. A l’étage d’une brasserie parisienne, Chez Jenny, où l’on sert de la « cuisine alsacienne dans le respect des traditions », une grosse centaine de convives est réunie (Chez Jenny connut une certaine heure de gloire au début des années 1990 en servant de lieu régulier de réunion au Parti nationaliste français (PNF), comme au Parti nationaliste français et européen (PNFE), deux groupuscules néonazis.) Les femmes sont bien mises, les hommes portent beau. L’invitation précisait d’ailleurs à l’intention de ces derniers qu’un « costume sombre » était requis.

Le thème de la soirée, à mi-chemin entre dîner-débat et soirée de gala : « Pour une Europe forte et indépendante, l’axe diplomatique Paris Berlin Moscou ». Les orateurs se succèdent pour insister sur « la nécessité vitale » de voir la France et l’Europe sortir de « l’état de vassalité à l’égard des Etats-Unis » et de renouer « des liens d’amitié et de respect » avec la Russie. Il y a là, d’ailleurs, un conseiller de l’ambassade de Russie et un consul honoraire.

A l’origine de l’événement, une association, la toute jeune Alliance France-Europe-Russie, présidée alors par Fabrice Sorlin. (…) Mais l’intérêt de la soirée n’est pas là. Il a pris place à la table d’honneur en la personne du maître de cérémonies, un homme affable, policé : Emmanuel Leroy. A ses côtés, plus discret, Philippe Olivier.

L’un et l’autre appartiennent au cercle très fermé des conseillers de Marine Le Pen, même si peu le savent. Ils sont les deux chevilles ouvrières du clan des « ralliés », ceux qui ont réussi à revenir discrètement dans le sillage des Le Pen, malgré leur allégeance à Bruno Mégret en 1998.

On s’en doute, les lepéno-lepénistes s’en méfient comme de la peste. Et pourtant, les ralliés se sont vite rendus indispensables en fournissant notes et argumentaires.

Emmanuel Leroy et Philippe Olivier sont des tacticiens politiques et des idéologues très influencés par le Grece, le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne, école de pensée qui, dans les années 1970-1980, prônait le culte de la différence comme rempart au métissage (d’où son appellation quelque peu barbare de courant ethno-différentialiste) et où l’élitisme le disputait à l’antilibéralisme. Derrière un éloge du droit à la différence et du respect des spécificités culturelles de chaque peuple, érigés en valeurs absolues, se déploie chez les tenants de ce courant de pensée un racisme beaucoup plus subtil qu’une hiérarchie des races un peu primaire. Sa logique devient celle du refus du mélange et de la préservation de la communauté conçue comme un ensemble homogène biologique et/ou culturel.

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Reprendre la recette mégrétiste et y apposer la marque « Le Pen », voilà l’enjeu pour la nouvelle présidente. Entourée d’anciens partisans de Bruno Mégret, Marine Le Pen a donc fait de la « dédiabolisation », qu’elle s’est appropriée, un axe majeur de sa stratégie électorale. Et dit ne pas vouloir se faire piéger par le paradoxe Mégret. « Probablement que Bruno Mégret faisait le même constat que moi : la diabolisation est un plafond », reconnaît-elle.

Un plafond à quoi ? A la progression électorale du FN. Laquelle sert un but : arriver au pouvoir. L’idée, dans l’immédiat, n’est pas de passer des alliances avec la droite. Mais bien de faire exploser la majorité présidentielle. Et de ramasser une partie des morceaux d’une UMP détruite. En somme, il s’agit d’affaiblir l’UMP jusqu’à rendre possible son éclatement pour se poser, alors, en force alternative, voire en force de substitution.

Pour y parvenir, le FN doit se transformer en un « parti crédible » et surtout « normalisé », devenir « attractif » aux yeux d’éventuels transfuges, aujourd’hui élus de la droite classique. « Petit à petit, ça viendra. On est au début d’un processus lent. On doit revenir sur vingt ans de diabolisation. Les gens s’habituent à voter pour nous. Parmi nos électeurs, beaucoup ne reviendront jamais à leur famille politique d’origine, assure Louis Aliot. L’UMP a un grave problème. Ils sont victimes de leur inaction. Et la nature a horreur du vide. »

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Le « nouveau FN » considère les élections législatives de 2012 comme son vrai rendez-vous, misant sur un piètre score de Nicolas Sarkozy à la présidentielle. Le parti pourra alors exercer une pression maximale sur les élus de la droite parlementaire. Ses bons scores aux cantonales de mars 2011 l’ont confortée. « Les états-majors des partis ont compris qu’il y a un seuil au-delà duquel la résistance à notre progression ne sera plus possible », s’est convaincue la présidente du FN.

(…)

La défense de la laïcité présente bien des avantages pour le parti d’extrême droite. Fini les accusations de xénophobie, ce n’est pas à l’immigré, à l’étranger que l’on s’attaque, mais à « l’islamiste », au nom des valeurs de la République. Pour les marinistes, il y a un vide politique autour de cette question que leur championne entend occuper, et le plus vite possible. (…) Ainsi, les frontistes entendent bien faire le lien entre les vieilles revendications du FN – la lutte contre l’immigration – et le nouveau ton porté par Marine Le Pen, le social et « l’islamisation ». (…) Il fut un temps où l’ennemi de l’extrême droite était le « Juif ». Décrit comme une « cinquième colonne », au service de « forces étrangères et apatrides », des « internationales capitalistes et marxistes ». Aujourd’hui s’est substituée à cette figure haïe celle du « musulman ». Dans les mêmes outrances, avec les mêmes amalgames. Ainsi, un communiqué de presse, signé de Marine Le Pen et diffusé en septembre 2010, est passé totalement inaperçu.

Intitulé « Pour les apatrides, la France doit devenir « chariacompatible » », la future candidate à l’élection présidentielle y fustigeait la « finance islamique » et ses complices, à savoir « les institutions internationales (ONU, G20…) (qui) soutiennent discrètement l’installation de la charia dans notre nation peuplée d’irréductibles Français qui refusent de se soumettre au courant mondialiste ». Ou encore « Mme Lagarde, « l’Américaine à passeport français », vient de commettre une énorme erreur en cédant encore au lobby des « banksters anglo-saxons » » (le terme « bankster » était utilisé par Léon Degrelle, célèbre nazi belge, à la fin des années 1930, dans ses campagnes contre la « corruption »). Marine Le Pen concluait ainsi : « Jusqu’où iront ces politiciens, agents des puissances de l’argent, dans la destruction de la souveraineté et de l’identité de la France ? »

(…)

Sur le papier, la répartition des tâches est claire. Les Héninois – Bruno Bilde et Steeve Briois – sont au service de la présidence du FN et font tourner le parti. Ils sont chargés de le mettre en ordre de bataille. Louis Aliot, le numéro deux du FN, coordonne le projet (…). Pour lui, la tentative de putsch de Bruno Mégret reste un traumatisme. Jamais totalement rassuré, il n’a qu’une hantise : que la machine mise en place « autour de Marine » ne soit braquée, en un mot, qu’elle ne lui échappe au profit d’ex-mégrétistes. Il est aux aguets, surveille les jeux de pouvoir autour de la présidente.

Très tôt, il a lancé le club Idées Nation, un think tank qui ambitionne de nourrir le projet présidentiel de Marine Le Pen. Structuré en marge du FN, Idées Nation doit permettre de solliciter, en toute confidentialité, des spécialistes effrayés ou indisposés à la perspective d’être associés publiquement au parti d’extrême droite. Grâce à Idées Nation, s’est créé un canal « aliotiste » de nouveaux venus autour de Marine Le Pen. Comprendre des experts tout acquis à la ligne « modérée » défendue par le compagnon de la présidente. Est-ce le noyau d’une tendance, d’un courant ? Il est, en tout cas, compliqué d’en tirer un bilan. La crise de l’euro semble avoir permis de nouer le dialogue avec certains économistes hétérodoxes, héritiers, entre autres, de la pensée de l’ancien Prix Nobel d’économie, Maurice Allais.

C’est encore Louis Aliot qui a ramené dans les filets du FN la seule personnalité, pour le moment, prête à soutenir Marine Le Pen : l’avocat Gilbert Collard. Autre prise importante – quoique beaucoup moins médiatique que Gilbert Collard – dans l’escarcelle de Louis Aliot : l’avocat libournais Valéry Le Douguet. Militant de l’UMP jusqu’en 2010, ami de Jany et Jean-Marie Le Pen, Me Le Douguet est un ancien attaché parlementaire d’Yvon Briant, député de l’Essonne, qui a quitté le FN pour rejoindre le Centre national des indépendants. Il fut aussi chargé de mission à la direction générale du cabinet du maire de Paris à l’époque de Jacques Chirac. De cette époque il a gardé, dit-il, des « entrées dans les réseaux corses de la mairie de Paris ». Aujourd’hui, il est en charge du volet « justice » du projet de Marine Le Pen.

Mais surtout, Valéry Le Douguet se présente comme un membre du Grand Orient. Il compte des amis dans les réseaux maçons, notamment « autour de Jean-Louis Borloo », affirme-t-il. Un « franc mac » au FN, tout un symbole, quand on sait la haine tenace que portent l’extrême droite en général et le Front national en particulier envers les loges maçonniques. Pas sûr par ailleurs que tout le monde, dans l’entourage de Marine Le Pen, apprécie l’arrivée du petit nouveau… »

Abel Mestre et Caroline Monnot. Le Système Le Pen. Enquête sur les réseaux du Front national. Denoël, 208 p., 14,50 euros. Sortie le 8 septembre.

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Armand Maruani

Dans l’entreprise des Le Pen on fait du neuf avec du vieux . Une couche de peinture grise , et c’est reparti comme en 40 .