Marianne : Si les idées du FN ont pu prospérer, si 37 % des Français affirment aujourd’hui en partager les idées, est-ce que cela tient, selon vous, à une défaite de la pensée de gauche ?

Alain Finkielkraut : Si faillite il y a en France, elle tient au fait que ceux-là mêmes qui devaient faire vivre les idées sont tombés dans l’idéologie, et que les idées majoritaires, notamment à gauche, ont servi à masquer la réalité que nous connaissons, en rabattant le nouveau sur l’ancien, en projetant sur l’actualité des catégories et des inquiétudes liées aux traumatismes du XXe siècle : l’affaire Dreyfus et les années noires. Cette hantise a conduit soit à minimiser les difficultés actuelles du vivre-ensemble, soit à les imputer au peuple, incapable de s’ouvrir aux vertus de la rencontre et du métissage. C’est, je crois, cette idéologisation de la vie intellectuelle qui a profité considérablement au FN. Le fossé n’a cessé de se creuser entre l’expérience vécue et le discours des experts. Nous en payons le prix.

Dans les années 30, c’était le juif Stavisky l’étranger. Aujourd’hui, ce sont essentiellement les populations immigrées d’origine africaine…

A.F. : Certes. Mais, dans une enquête récente de l’Ipsos pour le Monde et le Cevipof, la majorité des personnes interrogées disaient à la fois, et avec la même sincérité, qu’il y avait trop d’étrangers en France et qu’elles ne supportaient pas les propos racistes. Les commentateurs de ce sondage n’en auront pas moins dénoncé la crispation de la société française. Mais ils se trompaient, car ces gens, quand ils disent qu’ils ne se sentent plus chez eux, expriment un sentiment nouveau : non pas le rejet de l’autre, mais le malaise né du fait d’être soi-même l’autre.

Ils vivent dans des cités et sont vécus comme des étrangers. Il est absurde de dénigrer ce comportement, et il encore plus absurde de le rabattre sur le passé des années noires. Sur ce point, je crois que les intellectuels et les politiques de gauche manquent à leurs devoirs. Ils délaissent un terrain, celui précisément de la réalité présente et de la crise du vivre-ensemble, au seul bénéfice de la démagogie du FN.

Cette démagogie du FN, selon Bernard Stiegler, s’appuie également sur une crise de civilisation, à commencer par la crise de l’éducation, la toute-puissance du marketing, le culte du court terme, l’incohérence de la politique européenne. Qu’en pensez-vous ?

A.F. : Je comprends son inquiétude. Je crois qu’il a raison de relier ce phénomène politique à une crise de civilisation, mais malheureusement Bernard Stiegler parle très souvent dans le livre d’une révolution conservatrice qui serait à l’œuvre, et c’est là sans doute que nos positions divergent. Je crois qu’en France aujourd’hui aucun mouvement, aucune famille politique n’est conservatrice.

Tout le monde a les yeux fixés vers l’avenir, la droite, la gauche dans toutes ses versions, molle et radicale, partagent un même fétichisme de la technique. Nul ne songe à s’interroger sur le choix délirant de numériser l’école pour résoudre tous les problèmes. Même les écologistes, qui devraient incarner le parti de la préservation, défendent le «mariage pour tous», se prononcent pour la légalisation du cannabis, pour le droit de vote des étrangers non européens, et croient pouvoir remplacer la lutte contre la criminalité par la lutte contre les prisons. Il s’agit d’étendre les droits. Le principe de responsabilité n’est porté par personne ; or, c’est bien de cela que nous aurions besoin.

PHILIPPE PETIT- Marianne Article original

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Armand Maruani

Alain Finkielkraut est quelqu’un de cultivé et d’intelligent mais il va chercher de l’eau à la rivière alors qu’il a un robinet à la maison . Il a du mal à passer au bifteck directement . A chaque fois que je l’écoute je prends un cachet d’aspirine et je me mets un linge sur la tête , tellement je suis épuisé .

schlemihl

La pensée de gauche n’a subi aucune défaite car elle n’ existe pas . Le discours de gauche n ‘ est pas faux il est déréel , il n’ a aucun rapport avec ce que les gens voient , vivent , pensent . On ne peut rien y répondre car il nie ce qui est et affirme ce qui n’ est pas .

Il faut que le peuple français ait une culture démocratique bien enracinée , il faut que dans la masse de la population il y ait un refus sincère du racisme et de l’ intolérance pour que l’ extreme droite ne réussisse pas à l’ emporter . Mais elle progresse car ses chefs ont le bon sens de ne pas dire au peuple que les races n’ existent pas , que l’ immigration est une chance pour la France , qu’il faut augmenter les impots , que tout va bien , qu’il faut chasser les travailleurs des grandes villes . Il leur suffit de dire des choses exactes – sans dire tout ce qu’ils pensent ni tout ce qu’ils veulent – pour gagner non des partisans mais des voix . La gauche fait les affaires du FN , et le FN le sait .

Un jour peut etre on verra d’ étranges alliances , entre autres l’ alliance du FN et des islamistes , si les islamistes sont capables de pensée rationnelle.