Réalisé par André et Clémentine Campana, le documentaire Corse, île des Justes ? diffusé dimanche 14 avril à 22h sur France 5, apporte un éclairage jusqu’ici inédit sur la situation de l’île de beauté durant l’Occupation. Le seul département français où les Juifs n’ont pas été déportés, et surtout, ont été accueillis, cachés et protégés par la population. C’est à travers un « road-movie corse » que nous conduisent les réalisateurs de ce passionnant documentaire.

Comme le souligne Serge Klarsfeld : « île des justes ? Je dis oui. Car la Corse est le seul département français qui n’ait pas connu de déporté, sauf un, mais c’est accidentel ». Et le Vice-président du mémorial de la Shoah va plus loin. Il se propose de demander le titre de « Juste parmi les nations » auprès de Yad Vashem pour le préfet de Corse de l’époque, Paul Louis Emmanuel Balley.

Mais pour l’historien Sylvain Grégori, la réponse est négative : « un territoire ne peut pas recevoir le titre de Juste et par ailleurs, il est peu probable que les corses dans leur ensemble aient protégé les juifs pendant la guerre ». Noëlle Vincensini, ancienne déportée, présidente de l’association anti-raciste « Ava basta », n’est pas d’accord : « île des Justes, c’est un peu exagéré parce que la Corse a connu nombre de collaborateurs, mais, ajoute-t-elle, ce qui a dominé chez les Corses, c’est le sentiment de protection de la population par rapport aux juifs ».

Le film raconte en effet dans le détail la manière dont le préfet et son administration ont détourné les ordres de Vichy concernant les juifs. C’est un jeune professeur d’histoire, corse, Louis Luciani, qui dès 2008, ayant décidé de préparer le Concours National de la Résistance avec ses élèves de 4ème, a mis au jour, par un travail minutieux dans les archives départementales, nationales et italiennes, les principaux éléments de ce dossier. Louis Luciani démontre d’abord que le préfet a fait un recensement relativement favorable à la communauté juive : « il y a seulement 146 noms. Pas d’enfants. Et surtout aucun juif étranger », c’est-à-dire les juifs qui seront sur le coup de la déportation au moment des grandes rafles de 1942. Et Luciani ajoute que, dans cette action de protection : « c’est tout un système qui a fonctionné, avec les sous-préfets, Ravail à Sartène, Rix, à Bastia, et les responsables de la police. Et cela n’aurait pas été possible sans une interaction de la population ».

L’une des questions essentielles est celle de la présence de juifs étrangers en Corse à partir de 1940 et jusqu’en 1942 (avant la grande rafle d’août 1942). « Il y avait au moins, affirme Louis Luciani, une famille de juifs étrangers par village en Corse ». Et il cite un rapport des services secrets italiens qui évoque l’arrivée « massive de touristes en Corse ». Ce rapport évoque notamment le cas d’un groupe de juifs étrangers, qu’on appelait « les boches », qui étaient installés dans la commune de Porto, en Corse du sud, et qui n’ont pas été livrés par l’administration pétainiste de l’époque. « Ils ont été très bien accueillis par la population ». Le paradoxe est que ce groupe de personnes avait été assigné à résidence par le même gouvernement de Vichy en 1940.

A Bastia, Madame Ninio, figure emblématique de la communauté juive et témoin essentiel de ces événements, raconte l’arrivée des Italiens, puis l’arrestation de son mari par ces derniers, « avec les menottes ». Elle évoque « la protection qu’ont organisé tous les villages corses à l’égard des juifs. Ils nous ont protégé, ils nous ont aidés ». A Asco, petit village de montagne, ont été interné 80 juifs. Là aussi, les rapports avec la population furent excellents. Madame Halewa de la communauté juive de Porte Vecchio, explique : « le maire d’Asco était très bien avec eux, il leur avait dit : « je sais que les allemands ont le projet de vous arrêter. Avant que ça se produise, je serai averti et on vous fera prendre le maquis. Ils ne vous trouveront jamais ! ».

Le « road-movie corse » à travers les villages continue alors. On sillonne les routes et l’on découvre, de commune en commune, de ville en ville, des corses pétris d’émotions, qui ont accueilli et protégé des juifs pendant la guerre « parce que c’était normal ». Parmi les témoignages, celui de Charles Grimaldi, ancien maire de la Porta : « il y avait quatre familles de juifs à la Porta. Ils étaient intégrés au village. L’antisémitisme ne nous venait même pas à l’esprit ».

Le documentaire rapporte aussi le témoignage ému, de Jean-Hugues Colonna, dont le père, Jean Colonna, a caché Monsieur Jean-Pierre Ergas et sa famille, pendant plus d’une année à Cargèse. La lettre que celui-ci a écrite au président des Assises au moment du procès d’Yvan Colonna : « au nom de ma famille qui a été sauvée, au nom de la Corse qui a aidé les juifs pendant la guerre, je tiens à apporter ce témoignage moral ». « Mon père n’a jamais voulu en parler, explique Jean-Hugues Colonna, et moi non plus – Pourquoi en parler aujourd’hui ? C’est Jean-Pierre Ergas qui a pris l’initiative. Je ne lui ai rien demandé en ce qui concerne mon fils. S’il faut écrire quelque chose, m’a t-il dit, je l’écrirai. Il a écrit cette lettre ».

Remarquable, également, le témoignage du Grand rabbin Korsia : « les Corses dans leur ensemble – pas tous les corses, car il y a eu beaucoup de collaborationnistes – mais, dans leur ensemble, les Corses, ont considéré que c’était une partie d’eux-mêmes que l’on touchait ». Et il ajoute : « c’est une tradition en Corse que l’on accueille les juifs et ce qui s’est passé pendant la guerre, n’est que la conséquence d’une relation ancestrale ».

Apparaît alors un pan de l’histoire de la Corse peu connu des français. Il commence au 16ème siècle, avec les persécutions anti-juives, qui obligent les « marranes », juifs contraints à se convertir, à émigrer en Europe, au Maghreb, et en Corse. « A cette époque déjà, explique Alexandre Adler, se produit déjà en Corse une assimilation de
grandes familles juives, parmi lesquelles, par exemple, les Zucarelli, les Jacobbi, les Siméoni… mais il y en a d’autres ».

L’historien Michel Vergé-Franceschi s’attache à mettre en lumière l’intérêt pour la communauté juive, porté par deux hommes d’Etat d’origine corse : Pascal Paoli et Napoléon, qui sont les premiers à proposer aux juifs un statut de citoyen à part égale. C’est l’époque, le 18ème siècle, où la Corse, île de bergers et de montagnards, se transforme, sous l’influence des lumières et de la Franc-maçonnerie, en une république moderne et démocratique et devient une terre d’accueil en Europe.

Est raconté également l’installation en 1915 d’une communauté de 800 juifs français, expulsés de Palestine par les turcs, et qui sont débarqués à Bastia, puis à Ajaccio. Les descendants des familles juives ont encore en mémoire les propos émus de leurs parents et leurs grands-parents, racontant l’accueil exceptionnel fait par les Corses et la République française, à cette communauté qui donnera naissance aux communautés juives d’Ajaccio, et de Bastia, où sera ouverte une synagogue.

« La Corse, île des Justes ? Il faut garder la mesure, estime Edmond Siméoni, et ne pas rapprocher des événements qui ont eu une ampleur dramatique dans le monde, avec ce qui s’est passé en Corse, mais on est bien obligé de reconnaître que la Corse, qui est une terre qui fabrique des corses, est une terre qui a aidé les juifs, les a protégés et mieux, les a intégrés ».

Par Alain Granat – JewPop Article original

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Armand Maruani

Oui Bzcom il est bien de rappeler le rôle de Bonaparte pour la libération des juifs d’Europe . Cette volonté de prendre fait et cause pour nous n’est pas étrangère à son éducation . En effet son père qui avait pris le parti de la France et Pascal Paoli le père des indépendantiste opposé à Gênes étaient initiés à la Franc Maçonnerie . Peu apprécié naturellement de la France , Paoli avait des relations dans le monde entier , jusqu’à Catherine de Russie qui souhaitait avoir des attaches en méditerranée pour combattre les Ottomans . Bien que nous n’ayons aucune preuve Napoléon aurait pu être initié ou du moins avait il des liens trés étroits avec elle . Mais on le sait Napoléon ne souhaitait pas s’enfermer dans un systéme ni recevoir des ordres ou des  » conseils  » de quiconque . Un fait est sûr il a été baigné dans cet esprit de  » frères  » . Un détail , je pense qui aura son importance et qui pourrait expliquer la suite des évènements . Quant à Paoli , il a eu toute sa vie un parcours maçonnique , voyageant de l’Angleterre en France où il fit la connaisssance de Mirabeau , La Fayette , Montesquieu et Bailly , tous franc maçons , jusqu’à Livourne ce qui n’est bien sur , pas un hasard . Il était bon d’apporter ce nouvel éclairage sur ces corses qui nous ont tendu la main .

Laila tov .

Bzcom

Merci à vous Armand pour votre témoignage de l’amitié entre Corses et Juifs. Vous avez bien raison de citer Napoléon pour l’aide qu’il a apportée aux Juifs pendant la campagne d’Italie à la fin du 18eme siècle. En effet, Napoléon a mis fin à l’inquisition et a libéré les Juifs des ghettos de Rome, Venise, Vérone et Padoue (d’où est issue la famille des Padovani que vous avez précédemment cité), ghettos dans lesquels ils étaient confinés et obligés de porter l’étoile jaune, disposition qui a été reprise par Hitler et les nazis en 1941.
De plus, Napoléon projetait de créer en 1799 en Palestine un Etat Juif indépendant (cf proclamation du 20 avril 1799), mais malheureusement, l’échec du siège de St Jean d’Acre (à cause des Anglais, encore eux…) ne lui permit pas de mener à bien ce projet, sinon l’Etat d’Israël aurait été créé 150 ans plus tôt !… Néanmoins, c’est grâce à Napoléon qu’est né le sionisme. Toute cette période est très bien décrite sur le lien suivant :
http://napoleon1er.perso.neuf.fr/Napoleon-juifs.html

Et si certains doutent encore des liens amicaux entre communautés Corse et Juive, voici de quoi les convaincre définitivement : http://danilette.over-blog.com/article-les-corses-et-les-juifs-didier-long-117059968.html

Amitiés à tous

Armand Maruani

J’allais oublier . Un grand merci merci pour le lien , très émouvant .

Armand Maruani

Merci Bzcom de remettre les pendules à l’heure et de nous éclairer sur certains faits historiques . J’ai énormément d’amis corses et dans toutes les régions . Tous savaient que j’étais Juif et ils me considéraient tout naturellement comme des leurs . A Saint Florent j’ai l’un de mes meilleurs amis qui y réside et son beau frère est d’origine de Corfou . Il est apprécié de tout le monde , il est plus corse que les corses ( avec l’accent ) , avec une tête de  » juif errant et de pâtre grec  » comme dans la chanson de Moustaki . Eh bien il n’a jamais eu de problèmes et il considère la Corse comme sa patrie . C’est à travers lui que j’ai découvert il y a 35 ans l’histoire de ces juifs corses que j’ignorais . J’ai toujours dit que nous n’avions pas d’amis mais je ferai une exception pour ce petit peuple merveilleux et courageux . Rendons lui Justice et soyons reconnaissants non seulement à leur île de  » Beauté  » mais à l’un des leurs qui fut le plus grand homme de toute l’histoire de France : Napoléon Bonaparte .

Bzcom

Cher Armand, ce que vous dites est absolument et historiquement exact, j’adhère à 100% ! Je pense que notre ami momotilou a un compte personnel à régler avec la Corse, mais clairement, il n’y a pas d’objectivité dans ses propos. Ce qu’il oublie de dire, c’est que Jérôme Carcopino, suite à sa participation au gouvernement de Vichy, a bénéficié en 1947 d’un non-lieu pour services rendus à la Résistance et a été réintégré dans ses fonctions de directeur de l’École normale supérieure en 1951 puis élu à l’Académie française en 1955. Je ne fais pas son apologie mais Carcopino n’est un fait divers, rien de plus, ce n’est pas lui qui a « fait » la Corse.
Les avis sont d’ailleurs quasi-unanimes sur ce blog. Quant à ceux qui douteraient encore, qu’ils lisent cet article émouvant au sujet de la synagogue Beith Mer à Bastia et du rôle e la Corse pendant l’occupation allemande :
http://www.massorti.com/Corse-juive

Rendons hommage et justice à l’ïle de Beauté, historiquement et légitimement ïle des Justes pour toujours !
Yom Tov !

BALTHAZAR

NON SEULEMENT LA CORSE MERITE LE TITRE D’ILE DES JUSTES MAIS EN PLUS JE SUIS POUR UN JUMELAGE AVEC ISRAEL. EN LANGUE CORSE ON NOMME LE JUIF PAR L’HEBREU MEME LEUR VOCABULAIRE EST JUSTE. DENIER A LA CORSE CE DROIT C’EST OUBLIER QUE GRACE A D… IL EXISTE ENCORE DES PEUPLES JUSTES QUI NOUS ONT PROTEGE ET GRACE A QUI AUJOURD’HUI IL REEXISTE UN ETAT HEBREUX NOMME ISRAEL.

Armand Maruani

@momotilou :

 » J’y veillerai personnellement  »

?

Armand Maruani

@momotilou

Ce que vous  » oubliez  » de dire c’est qu’Edmond Siméoni le fondateur de l’Union du peuple corse est un grand ami des Juifs ( peut être l’est il d’origine lui même ) . Quant à Cohen Skali dont sa cave avait été plastiquée , il en fut victime en tant que rapatrié d’Algérie ( comme beaucoup d’autres ) et non pas en tant que Juif . A vous écouter tous ces attentats étaient la réplique de la nuit de cristal . Oui je confirme que les Juifs vivent depuis des siècles en toute sécurité en Corse et que pendant le guerre ils ont été protégés par la majorité de la population . Et je répète encore une fois comme la majorité des intervenants de notre site qu’elle mérite d’être considérée comme île des Justes .

momotilou

Je connais bien votre site. Vos propos sur les Relations entre Corses, juifs et Israël relèvent du fantasme. je connais bien cette histoire de 25% de Corses d’origine juive. Elle ne repose sur aucun travail historique reconnu. Vous trouvez normal que le musée d’Aléria porte le nom d’un antisémite comme Carcopino, alors tant que vous y êtes, donnez à l’université de Bastia le nom de Maurice Papon. N’oubliez pas qu’après la guerre quand il était sous-préfet de Bastia, l’homme qui avait envoyé vers les chambres à gaz les juifs de Bordeaux avait organnisé à partir de la Corse des envois d’armes vers Israël. Pour le remercier, Tsahal lui avait offert une mitraillette Uzi qu’il a exhibé lors de son procés.
Et puis vous avez décidément la mémoire courte. Je vous rappellerai que le 5 mai 1976 est la date anniversaire de la naissance du FLNC. Ce jours là il y eut 21 attentats détruisant des habitations et des installations agricoles dont celle de la famille Cohen Skalli, principale cible des terroristes corses qui à l’époque se répandaient partout en propos violemment antisémites. Et je sais de quoi je parle…

Alors à moins d’être révisionniste, pas question que la Corse soit décrétée « Ile des justes ». J’y veillerai personnellement.

Armand Maruani

J’adhère entièrement à l’analyse de Bzcom . Ce n’est pas d’aujourd’hui que les Juifs se sont réfugiés en Corse . Sans oublier Paoli et Napoléon Bonaparte . Ce dernier nous l’avons rappeler à plusieurs reprises sur notre site avait libéré les Juifs d’Europe et a été à l’origine de notre Consistoire . Les Juifs en Corse sont considérés comme de bons patriotes qui adorent leur île et seront reconnaissants pour l’éternité aprés des siècles de vie commune en toute intelligence . La Corse île des Justes ? OUI , elle le mérite 1000 fois .

Bzcom

Dénier à la Corse son titre d’ïle des Justes à cause d’un contre-exemple isolé est aussi injuste que stupide. C’est comme si vous affirmiez que la France de 39-45 était un pays antisémite à cause de Pétain, alors que des milliers d’enfants Juifs ont été cachés et sauvés par des familles françaises, des prêtres ou des institutions catholiques. La Corse et Israël ont une histoire commune qui démarre en l’an 800, qui s’est poursuivie pendant des siècles et dont les liens ont permis aux enfants Juifs qui s’y trouvaient d’échapper à la barbarie nazie (aucun enfant Juif n’a été déporté depuis la Corse). Une partie de la population corse (environ 25%) est d’origine juive. La Corse a aidé Israël lors de sa création et toujours soutenu sa cause face à l’hostilité du monde arabe et la désinformation visant à faire passer Israël pour un agresseur. Prenez un moment pour écouter cette interview du président (corse) de l’association Corse-Israël et vous réviserez, je l’espère, votre jugement un peu hatif :
http://www.dailymotion.com/video/xn0b6m_corsic-associu-association-corse-israel_news

Vive l’amitié Corse-Israël !
Vive l’île des Justes et vive Israël !

momotilou

Corse île des Justes? Cela n’a aucun sens. Les mérites sont individuels, jamais collectifs. Il en va de même pour les défauts. Je veux bien que les juifs qui se trouvaient en Corse sous l’occupation n’aient pas été persécutés, mais cela ne doit pas faire oublier que la Coses est aujourd’hui le seul territoire Français à honorer très officiellement un complice actif de la solution finale, en la personne de l’ancien secrétaire d’état à l’éducation nationale de Pétain, Jérôme Carcopino dont le musée archéologique d’Aléria porte le nom.
C’est carcopino qui en 1941 a exclu les fonctionnaires juifs de l’université, y compris ceux qui étaient prisonniers en Allemagne… C’est aussi lui qui a instauré le numérus clausus des étudiants juifs. L’historien Jules Isaac dit de lui que parmi les ministres de l’Éducation nationale de Vichy, il fut celui « qui a mis, au service de la Révolution nationale, le tempérament le plus autoritaire et la poigne la plus rude ».

Il serait pour le moins choquant que l’on accorde le titre de juste à une île qui continue d’honorer un tel personnage.