Depuis le conflit de l’été 2006, l’antagonisme entre Israël et le Liban était confiné aux abords de la « ligne bleue », cette démarcation terrestre, fragile et ténue, dressée par l’ONU en juin 2000 après le retrait israélien du Sud-Liban.

Désormais, il s’étend également aux frontières maritimes. Objet de la discorde ? Deux immenses champs gaziers, Tamar et Léviathan, respectivement mis au jour en 2009 et 2010 par la compagnie israélienne Delek Energy à 90 et 130 kilomètres au large d’Haïfa, la grande cité portuaire du nord du pays.

Arguant du fait que ces gisements se trouveraient dans leur zone économique exclusive (la ZEE s’étend jusqu’à 370 kilomètres des côtes), les deux Etats, toujours officiellement en guerre, en revendiquent la pleine et exclusive souveraineté. L’enjeu n’est pas mince. A 1 634 mètres sous le niveau de la mer repose un gigantesque réservoir de gaz naturel : près de 700 milliards de mètres cubes au total (238 milliards pour Tamar, 453 milliards pour Léviathan). Un pactole estimé à 90 milliards de dollars (63,6 milliards d’euros).

Cette découverte en eau profonde, considérée comme la plus importante de ces dix dernières années, est-elle susceptible de remettre fondamentalement en cause les équilibres régionaux ? A en croire le groupe américain Noble Energy, associé aux opérations de prospection, elle pourrait offrir à Israël une réelle indépendance énergétique pour environ trois décennies. Le géopolitologue Frédéric Encel (*), lui, se veut plus nuancé sur la question : « Contrairement à ce que l’on affirme trop souvent, je ne pense pas qu’il s’agisse d’un tournant géostratégique majeur. En effet, même si ces gisements semblent représenter des quantités très importantes, il faut garder à l’esprit le fait que la part du gaz naturel dans la facture énergétique globale d’Israël est minime », de l’ordre de 11 %, d’après l’agence internationale de l’énergie, explique-t-il. Et de préciser : « Le rapport de forces, notamment économique, au Moyen-Orient ne sera, quoi qu’il arrive, pas bouleversé dans la mesure où l’excédent de la balance commerciale israélienne repose prioritairement sur les nouvelles technologies ».

« IMBROGLIO JURIDIQUE »

L’exploitation exclusive de ces fabuleux gisements sous-marins ouvrirait cependant à l’Etat juif de nouvelles perspectives. D’abord, elle lui permettrait – au prix certes de coûteuses installations – de pouvoir exporter du gaz en Europe et en Asie, en particulier en Extrême-Orient, où la demande est forte. Ensuite, elle soutiendrait sa croissance (4,5 % en 2010), tout en lui offrant l’opportunité de se défaire de la tutelle énergétique du Caire.

Jusqu’à présent, l’Egypte fournit 43 % du gaz naturel consommé dans le pays, où 40 % de l’électricité est produite à partir de cette source d’énergie. Mais la chute d’Hosni Moubarak le 11 février, vaincu par une révolution populaire après trente ans d’un règne sans partage, a rebattu les cartes. En témoignent les actes de sabotage, de plus en plus récurrents, contre le gazoduc reliant les deux Etats. Comme en 1979, au moment de l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Ruhollah Khomeyni en Iran – son premier fournisseur en pétrole de l’époque –, Israël ne se prive plus de chercher ailleurs, essentiellement par crainte de voir se mettre en place un nouveau régime hostile à ses intérêts. Enfin, le fait de pouvoir recourir plus largement au gaz naturel aurait un impact écologique sensible, l’Etat juif étant un gros consommateur de charbon (35 % de ses besoins) et de pétrole (49 %), deux énergies hautement polluantes.

Du côté du Liban, pays aussi pauvre en ressources naturelles que son puissant voisin, l’issue de ce contentieux revêt une importance autrement plus cruciale, en particulier sur le plan économique. En effet, le pays affiche actuellement une dette abyssale de 52 milliards de dollars (environ 36,7 milliards d’euros), soit 147 % de son produit intérieur brut. « Dans cet imbroglio juridique, le Liban est clairement le pays demandeur car il est loin de disposer de l’entregent diplomatique et de la force de frappe économique d’Israël », corrobore Frédéric Encel. A cela s’ajoute le fait que la friabilité du pouvoir actuel, largement phagocyté par le Hezbollah – milice armée soutenue par l’Iran et la Syrie – entrave les perspectives de développement rapide du pays.

L’ONU COMME ARBITRE ?

Ces dernières semaines, le ton entre les deux pays est monté d’un cran. « Ces ressources gazières »>Article original constituent un objectif stratégique auquel les ennemis d’Israël vont tenter de porter atteinte et j’ai décidé qu’Israël défendrait ses ressources », a mis en garde le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Le Liban a répondu, par la voix de son ministre de l’énergie, Gebrane Bassil, « qu’aucun Libanais n’accepterait de renoncer à ses ressources énergétiques ni à ses droits maritimes ». Dimanche, le Hezbollah a également assuré qu’il ne permettrait pas à « l’ennemi israélien » d’exploiter « un seul mètre en zone contestée ».

Peut-on alors imaginer que le mouvement chiite tire prétexte de ce différend pour pousser à nouveau l’Etat juif sur le chemin de la guerre, comme à l’été 2006 ? Pour Frédéric Encel, cette éventualité n’est pas à l’ordre du jour. « Le Hezbollah est la courroie de transmission de l’Iran. Il fait la politique des chiites au Liban, mais il suit aussi celle de Téhéran. C’est pourquoi je ne pense pas qu’il se risquera à déclencher un conflit dans lequel il perdrait beaucoup, sachant que l’exploitation des richesses maritimes ne lui reviendrait peut-être même pas directement », analyse-t-il.

En attendant, le pays du Cèdre s’est adressé à l’ONU, insistant sur son droit à exploiter les gisements découverts aux termes de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), qui fixe notamment la délimitation des ZEE et à laquelle il est partie. L’Etat juif, qui à l’inverse n’est pas signataire de la CNUDM, a aussitôt répliqué en expliquant que la limite fixée par le Liban à sa zone économique exclusive « empiétait » sur la sienne. Il devrait prochainement soumettre à l’institution onusienne le tracé de sa propre ZEE, approuvé la semaine dernière en Conseil des ministres. La « guerre du gaz » en Méditerranée a assurément de beaux jours devant elle.

Aymeric Janier

Le Monde.fr

(*) Frédéric Encel est professeur à l’ESG Management School de Paris et maître de conférences à Sciences Po. Il est également l’auteur de « Comprendre la géopolitique » (Le Seuil, 2011).

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Armand Maruani

L’ONU n’a pas à se mêler des affaires d’Israël . En effet elle est devenue , et a toujours été la courroie politique du monde arabe en liaison avec les groupes terroristes palestiniens . L’ONU a toujours été incapable de prévenir les guerres imposées par ses voisins . Souvenons d’U THANT , l’ancien secrétaire général , qui n’a pas hésité sur ordre de Nasser , à laisser le champ libre aux menaces de destruction de notre état . Au sud Liban qu’ont ils fait pour empêcher toutes les agressions ? Ne laissant pas d’autres choix à Israël d’envoyer ses enfants se sacrifier contre cette horde de sauvages sanguinaires. NON , l’ONU s’est disqualifiée à jamais . Nous n’avons pas besoin d’elle . Nous sommes assez grands maintenant ; et l’Histoire nous a appris à ne compter que sur nous mêmes . C’est plus sûr et nos intérêts seront mieux préservés . Qu’ils restent au chaud à New York à bavasser . Nous , nous poursuivrons notre route et plus rien ne nous détournera de notre destin qu’ HM nous a tracé.