Bruno Tertrais est maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique et a publié notamment, en 2011, «La menace nucléaire» aux éditions Armand Colin. Il estime que malgré les déclarations récentes, nous ne sommes pas dans une logique d’intervention militaire israélienne imminente.
Quelles sont les nouvelles informations sur le nucléaire iranien qui ont contribué à l’augmentation des tensions ces dernières semaines?

Le rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique qui doit être présenté officiellement ce mardi ou ce mercredi fait état de nombreuses précisions nouvelles sur les travaux de militarisation. Le tableau qui sera dépeint par ce rapport ne devrait laisser de doutes à personne sur les intentions iraniennes…

… qui sont le nucléaire militaire et la bombe ?

Aujourd’hui, l’Iran veut au moins disposer de tous les éléments nécessaires pour fabriquer la bombe rapidement. La seule question est de savoir s’il souhaite franchir ce seuil ou s’il s’arrêtera juste au-dessous.

Les menaces d’intervention israéliennes ne sont-elles pas destinées à imposer des sanctions plus dures?

En partie. Mais il faut d’abord lire les diverses déclarations et fuites dans la presse israélienne dans un contexte politique intérieur. Il y a des divergences profondes en Israël dans la manière de traiter ce dossier. Il y a également des règlements de compte personnels et politiques et on ne peut pas faire abstraction de ce contexte.

Maintenant, il est très probable que des déclarations publiques telles que celles de Shimon Pérès ont également pour but de dire en quelque sorte, «Retenez-nous ou nous faisons un malheur». C’est une manière de rappeler à la communauté internationale que si la crise Iranienne n’était pas réglée, Israël se réserve la possibilité de tenter une action militaire.

Il est évident que du côté des Etats-Unis et de l’Europe, on n’a pas besoin de ce rappel et que la mobilisation est déjà pleine et entière.

Est-ce que les menaces de sanctions accrues peuvent avoir une influence?

Personne ne pense que du jour au lendemain les Iraniens vont renoncer. En revanche, il s’agit d’imposer un coût de plus en plus élevé à ce pays afin de pouvoir peser sur le débat interne à Téhéran.

Les sanctions ont une autre fonction qui est de ralentir le programme nucléaire iranien en ciblant les importations de matériel et les circuits de financement du programme.

Depuis 2005, malgré les sanctions, la communauté internationale ne semble pourtant pas avoir réussi à pousser l’Iran à faire marche arrière.

Non, je ne suis pas d’accord. La progression est toujours là, le programme continue, mais les sanctions ont conduit à le ralentir, en gênant considérablement les Iraniens notamment dans leur programme d’enrichissement de l’uranium.

En apparence, les données du problème ne semblent pas avoir changé, mais l’Iran ne va pas aussi vite qu’il serait allé en l’absence de sanctions.

Dès 2007, Kouchner déclarait qu’on avait deux alternatives, la bombe iranienne ou le bombardement. On en revient au même débat.

Oui, mais attention. En 2007, Kouchner disait surtout que c’était les deux pires scénarios, et qu’il fallait tout faire pour éviter de se retrouver devant ces deux alternatives infernales. Là dessus, la politique de la France est restée constante et cohérente.

Quel serait le meilleur scénario dans les prochains mois ?

Le meilleur scénario serait que le régime finisse par se sentir en danger sous l’effet d’une combinaison de pressions internationales et de mécontentements internes.

En interne, si le «mouvement vert» ne tient plus le haut du pavé actuellement, il a quand même représenté une contestation assez forte de la radicalisation du régime. Si le régime se sentait en danger, il serait sans doute prêt à des concessions.

N’y-a-t-il pas toutefois une unanimité des politiques et du peuple sur le programme nucléaire iranien, au moins civil?

Je ne suis pas certain qu’aujourd’hui la population iranienne soit autant attachée à la question du programme nucléaire. Nous ne sommes plus dans le contexte de 2005. La population iranienne me semble bien davantage concernée par l’emploi, la vie chère et les libertés politiques.

Et en tout état de cause, si l’idée d’un programme nucléaire civil est effectivement assez consensuelle, en revanche rien ne permet de dire que le programme militaire iranien serait approuvé par la population.

L’Iran a-t-il les moyens de riposter à une attaque de ses installations?

Que l’Iran ait des moyens divers de riposter, cela ne fait aucun doute. Cette riposte pourrait être conventionnelle ou non conventionnelle, des actes de terrorisme jusqu’aux tirs de missiles balistiques. Mais le débat ne s’arrête pas là. Il est évident que tout pays qui envisagerait une attaque militaire contre l’Iran serait prêt lui aussi à l’escalade. La question serait alors celle de la maîtrise de cette escalade.

En cas d’escalade, comme réagiraient d’une part les Etats-Unis et la France, et d’autre part, la Chine et la Russie?

Tout dépendrait du contexte précis dans lequel une telle intervention se déroulerait. Il est impossible de répondre à cette question. L’essentiel est de dire que rien n’indique que nous sommes à la veille d’une intervention d’Israël. Ce n’est pas la première fois que le débat dans ce pays sur l’option militaire devient public. C’est même quelque chose d’assez récurrent. Ce n’est pas la première fois non plus qu’il y a des exercices de l’aviation israélienne pour des frappes à longue portée.

Par ailleurs, contrairement à ce que l’on croit souvent, même les plus durs des faucons israéliens sont pleinement conscients des risques d’une intervention. Même quelqu’un comme Nétanyahou ne pourrait l’imaginer qu’en tout dernier recours, à condition d’avoir des quasi certitudes sur la manière dont cela pourrait affecter le programme iranien et des quasi certitudes sur la manière dont une éventuelle escalade pourrait être maîtrisée. Cela fait beaucoup de conditions.

Et également des quasi certitudes sur le soutien des Etats-Unis?

Ce qui est certain c’est que Israël aurait besoin d’un «nihil obstat» (ndlr: une approbation officielle) des Américains. Mais le seuil d’intervention israélien est beaucoup plus haut que ce que l’on pense généralement et le seuil d’intervention américain est moins élevé que ce que l’on pense également souvent.

Propos recueilli par QUENTIN GIRARD

Libération.fr

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