Mon récent blog (« Septembre 2011: Israël face à tous les dangers ») a suscité beaucoup d’échos. C’était mon objectif unique. Non pas de faire entendre un point de vue défaitiste, ni d’instiller du désespoir mais de provoquer une prise de conscience de ce qui pourrait se passer. Pour lire l’article: Septembre 2001: Israël face à tous les dangers. Article original

La méthode de simulation

J’ai défini cet exercice comme une « simulation ». Le terme dit bien ce qu’il veut dire. C’est une méthode couramment employée dans l’analyse stratégique, quand il s’agit de simuler une situation de crise pour savoir comment on réagirait et devrait réagir en telle et telle circonstance. C’est une démarche purement théorique mais qui élabore des modèles de comportement prêts à être mis en acte pour répondre à certains types de défis prévisibles.

Les événements (très catastrophiques pour Israël : c’est la condition d’un tel exercice) que j’ai illustrés au moyen d’une chronologie imaginaire sont en effet possibles. Ils mettent en forme le scénario qui sous-tend la politique des Palestiniens, tous courants confondus. Ils l’expriment d’ailleurs eux mêmes clairement, comme le « ministre des Affaires étrangères » de l’Autorité Palestinienne, M. El Maliki .

Cependant, même si les événements envisagés sont théoriques, ils s’inscrivent dans la doctrine stratégique globale de l’OLP, très réelle, elle, depuis 40 ans, définie comme « le plan par étapes ». Il prévoit la destruction progressive d’Israël au fur et à mesure de l’évolution du rapports de forces, en combinant actes de négociation politique et actes militaires. De nombreux chercheurs l’ont déjà bien analysée.

Les événements réels de septembre

La crise dont j’ai simulé le déroulement serait le produit d’un concours de circonstances, qui, lui, n’est pas absolument pas imaginaire :
– la réunion à New York de « Durban III », le 21 septembre
– la réunion, ce même mois, de l’Assemblée générale des Nations Unies et la mise à l’ordre du jour du suivi du Rapport Goldstone
– la réunion du Conseil de sécurité, durant cette période
et, last but not least, évidemment,
– la déclaration d’indépendance de l’Etat de Palestine par l’Autorité Palestinienne.

Ce n’est pas un hasard, si cet acte unilatéral de l’Autorité Palestinienne a été programmé pour cette date-là. L’environnement international que nous avons défini lui sera favorable. Durban III accusera Israël d’être un Etat raciste, pratiquant l’apartheid. L’Assemblée générale, gouvernée par les diktats de l’Organisation de la Conférence Islamique forte d’une soixantaine d’Etats et donc faisant et défaisant les majorités, votera la reconnaissance du nouvel Etat, en vertu de la procédure « S’unir pour la paix » datant d’un précédent de 1950 (du temps de la guerre de Corée quand le Conseil de sécurité était bloqué), même si c’est le Conseil de sécurité seul qui peut lui conférer le statut d’Etat-membre de l’ONU. Elle remettra le rapport Goldstone sur la table de ce même Conseil pour donner une suite juridique aux accusations de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre qu’il formule contre Israël.

La première étape de ce processus se produira dans quelques jours quand l’Union européenne va confirmer que l’Autorité de Palestine est capable de fonctionner comme un Etat, ce qui équivaut à une sorte de pré-reconnaissance officielle et qui encouragera de nombreux Etats, déjà le cas pour la majorité des pays d’Amérique Latine, à faire de même.

Ce concours de circonstances, notamment la planification pour cette date de Durban III et de la déclaration éclairent rétroactivement la finalité de la campagne mondiale de boycott d’Israël pour « apartheid » qui fait rage depuis de nombreux mois. Ce mensonge énorme, surfant sur la désinformation courante des médias à propos de la situation en Israël et dans le monde arabe, vise en fait à préparer l’opinion publique mondiale à soutenir la déclaration d’indépendance palestinienne, en lui conférant un cachet moral et humanitaire entrainant l’assentiment mondial. L’apothéose de cette accusation sera bien entendu la conférence de Durban III.

Se confronter à l’éventualité d’une crise

Tous ces événements sont programmés pour se tenir, sauf cataclysme naturel ou manifestation de la Providence. Ils encouragent les fervents de la Cause palestinienne à imaginer une série de développements possibles et d’actions. Bien que ces événements pourraient se produire, ils ne sont pas inévitables. Justement, l’exercice de simulation vise à réfléchir à la façon de les éviter, de les contourner, de les annuler. Pour ce faire, il faut imaginer les situations de départ les plus extrêmes « au cas-où », afin de trouver la parade et les écarter ou les maîtriser.

Ceux qui n’ont pas le courage de se confronter à leur éventualité, voire même de la penser, par peur ou par confiance excessive, font le choix de la politique de l’autruche. C’est une marque de faiblesse. De ce point de vue-là, l’inquiétude est toujours créatrice car, même si la situation crainte ne se produit pas, elle aura au moins réactivé les réflexes de défense.

Les conséquences de la proclamation d’un« Etat de Palestine »

Quel est le danger impliqué par la reconnaissance d’un « Etat de Palestine » ? La transformation instantanée de la situation sur le terrain. Les territoires et Jérusalem « Est » ne seront plus des territoires sans statut comme ils le sont aujourd’hui (exceptée l’annexion de Jérusalem-Est par Israël, quoique non reconnue sur le plan international). Il n’y a jamais eu en effet dans le passé d’Etat de Palestine sur des territoires occupés militairement, jusqu’en 1967, par la Jordanie et l’Egypte (à Gaza). Ils deviendront ipso facto les territoires d’un Etat, surtout si ses frontières « reconnues » par l’ONU sont celles de 1967, tandis qu’Israël deviendra une puissance occupante d’un Etat membre de l’ONU, s’exposant à des sanctions de la part du Conseil de sécurité et à un boycott, réel cette fois ci, de la « communauté internationale » (comme on dit).

Ce qui accrédite la prévision pessimiste

C’est là où le climat actuel envers Israël prend toute sa signification : il nous donne une indication de la conduite éventuelle du monde envers lui, dans une telle situation. A quoi avons nous assisté en effet depuis 10 ans ? A une manipulation des faits, à la transformation de la victime en accusé, à la falsification des critères de la morale, déniant à Israël tous les droits reconnus par la charte de l’ONU à ses membres, et avant tout celui de l’auto-défense. Comme pour l’antisémitisme arabo-musulman en Europe les puissances occidentales ont renvoyé Israël et Palestiniens dos à dos, en brouillant les critères de la justice, par parti pris en faveur de la cause palestinienne. Le rapport Goldstone fut le summum de la mauvaise foi coulée dans une formalité pseudo-juridique et institutionnelle, autorisant le haro sur Israël au nom de la morale et de la loi. Le pire fut que les Etats occidentaux et en premier lieu l’Union Européenne, littéralement obsédée par Israël dans son agenda politique, et les Etats-Unis d’Obama, ont gobé cette falsification au service de leur négociation globale avec l’islam mondial. Israël est pour eux une monnaie d’échange universelle. Tout est donc possible de la part des anciens « alliés » d’Israël.

Il y a par ailleurs des précédents depuis l’invention du « droit d’ingérence » pour sauver des « populations en danger » : depuis la Serbie – en Europe même ! – jusqu’à la Libye – en Méditerranée. La Ligue Arabe a d’ailleurs très bien enregistré cela en demandant récemment l’application à Gaza d’une zone d’exclusion aérienne visant à interdire les représailles israéliennes aux tirs de missiles sur son territoire (ils semblent tout à fait normaux à tout le monde).

C’est l’Union Européenne qui est le maillon le plus inquiétant dans ce concert et plus particulièrement la France et la Grande-Bretagne. L’état de leur opinion publique, en tout cas celle des médias, est alarmant : il donne une mesure, négative, de la légitimité d’Israël.

Ces événements prévus et ceux qui sont prévisibles prennent ainsi toute leur ampleur quand on les replace dans le contexte actuel des affaires internationales et de l’attitude envers Israël dans les pays démocratiques. Ce que nous craignons depuis dix ans pourrait bien se concrétiser à cette occasion.

Jusqu’à ce jour, le combat s’est mené sur la scène idéologique, symbolique et intellectuelle. C’est la légitimité de l’existence même d’Israël comme Etat qui a été en question durant toutes ces années. L’attaque symbolique constitue toujours la première étape d’une agression violente. On dépeint d’abord son ennemi comme un monstre avant de l’abattre, « moralement » et « légitimement ». Vient ensuite la deuxième étape, celle de l’agression proprement dite. La mouvance pro-palestinienne mondiale pense que ce stade est arrivé. Il n’est que de voir déjà ce qui se trame avec les flottilles (une autre est en préparation et ses instigateurs envisagent même de louer des avions)… La crainte, c’est que septembre prochain ne voie le déferlement du passage à la deuxième étape. Son impact concernera autant Israël que la diaspora, car l’antisionisme est depuis toujours l’antisémitisme des « moralistes ».

Nécessité de l’électrochoc

Ce qui m’inquiète, c’est que nous avons été très peu nombreux à mener le combat idéologique et intellectuel, à faire face à la première étape. Ce n’est que depuis un an que l’Etat israélien se rend compte de la menace de la « délégitimation ». Les activistes de la première phase, parmi lesquels je me compte depuis la création en 2001 de l’Observatoire du monde juif, n’ont eu ni moyens ni relais, tant des institutions juives que des Israéliens. C’est dire combien les esprits ne sont ni informés, ni aguerris, ni en position de faire face à la deuxième étape éventuelle.

C’est là où l’électrochoc est nécessaire.

Je vois des esprits qui sont sûrs de leur bon droit, de l’évidence de leur situation, de la confiance dans la société environnante. C’est qu’ils n’ont rien compris à ce qui s’est passé ces 10 dernières années. Le cadre dans lequel nous vivions depuis la deuxième guerre mondiale a vacillé. Nous avons vu comment les critères de la morale pouvaient être inversés, comment les situations pouvaient être déformées, comment la Shoa pouvait devenir un argument contre les Juifs, comment la mauvaise foi pouvait favoriser les contrevenants à la loi et à la morale, comment la violence était qualifiée de paix et comment la victime devenait l’agresseur. L’évolution du droit international depuis quelques années donne le spectacle d’un dérapage en roue libre qui ne repose sur aucune base juridique : on a inventé un droit international sans nations ni Etats, sous le signe illusoire d’une « communauté internationale » qui n’a aucune consistance et qui a la prétention d’être la société civile des Etats, échappant à leurs règles, alors qu’ils sont les seuls acteurs internationaux du système international. L’univers international qui se profile, derrière les discours vertueux, n’est pas un univers de droit sur lequel on peut compter en toute bonne foi. Le meilleur exemple est donné par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève qui fut récemment présidé par la Libye de Khadafi… L’instrumentalisation de la justice est inscrite dans les us et coutumes de la nouvelle « communauté internationale » dont Sodome et Babel sont les archétypes dans la tradition biblique.

La stratégie palestinienne

Cet état de choses va comme un gant à la stratégie palestinienne qui a excellé à transformer une attitude amorale ou illégale en posture vertueuse et morale. Ainsi une attaque guerrière et exterminatrice contre le nouvel Etat d’Israël (en 1947-8) fut transformée en « Nakba ». Le refus de se constituer en Etat et de reconnaître Israël sur la base du partage se vit transformé en colonialisme israélien. Le refus du partage de Jérusalem et de la remise des territoires (Barak en 2000) fut maquillé en révolte d’un peuple opprimé pour la libération.

Les attentats contre des civils devinrent des sacrifices religieux. L’envoi d’enfants et de femmes au combat furent grimés en crimes contre l’humanité d’Israël. La concession par Israël d’un territoire, d’une armée, d’une administration (accords d’Oslo) – ce que les Palestiniens n’avaient jamais eu – fut définie comme une occupation. Et, en Israël, le refus des citoyens israéliens arabes de s’intégrer à la nation se transforma en accusation de racisme à l’encontre d’Israël, etc. La dernière falsification en date est bien sûr la rupture de tout processus de négociation avec Israël transformée en « déclaration d’indépendance » de l’Etat de Palestine occupé par Israël. Ce qui est, par ailleurs, une violation de l’article XXXI (7) de 1995 de l’accord intérimaire israélo-palestinien selon lequel les parties s’engageaient « à ne prendre aucune mesure ou décisions qui changerait le statut de la Judée-Samarie ou de la bande de Gaza en attendant le résultat des négociations sur le statut permanent ». Cela l’est aussi de la résolution 242 qui prévoit expressément de s’entendre sur « des frontières sures et reconnues » et donc en conséquence de ne pas imposer des limites en dehors de tout processus convenu. Et de la résolution 338 qui appelle à « des négociations…entre les parties concernées…visant à établir une paix juste et durable au Moyen-Orient ».

Mais qui se soucie des traités ?

Les Puissances occidentales elles mêmes qui les garantissaient les ont oubliés. Comme dans l’Algérie des années 1960 : vous négociez avec le GPRA, les « modérés », (ici le Fatah) et vous vous retrouvez avec le FLN (ici le Hamas). Les traités ne sont dans le monde arabe que des chiffons de papier (et de ce point de vue, il faut surveiller ce qui va se passer avec le traité de paix avec l’Egypte post-Moubarak et avec les progrès du salafisme en Jordanie). Le traité est toujours une étape vers la guerre.

C’est parce que le cœur de cible de la propagande arabe est l’Occident, et notamment l’Europe, que nous avons assisté à cette gigantesque manipulation de la morale depuis plus de 10 ans. L’objectif est de faire agir l’Europe contre Israël au bénéfice de la Palestine. En effet, Cette propagande a surfé sur une culture dans laquelle la condition de victime passée ou présente est devenue la source de la légitimité et de la moralité. L’Occident d’après la guerre de 40 et la décolonisation est traversé du sentiment d’une double culpabilité : la Shoa et le colonialisme.

Le bluff de la « Nakba » comme substitut de la Shoa, ou comme équivalent, montre très bien comment une affabulation de cette ampleur a pu se greffer sur l’imaginaire de la Shoa. Elle dédouanait l’Occident de sa culpabilité en la reportant sur les Israéliens, ce qui consacrait les Palestiniens, le « peuple en danger », comme le seul héritier des victimes de la Shoa et le récipiendaire unique de la culpabilité de l’Occident envers les Juifs . Je dis bien le « bluff » car les réfugiés de 1948 – de toutes façons déjà plus des « réfugiés » 60 ans après – sont les vaincus d’une guerre d’extermination qu’ils ont lancée de concert avec la Ligue arabe sur l’Etat d’Israël naissant. Ils ne sont nullement des « victimes » mais des agresseurs vaincus. On peut aisément comparer leur destin à celui du million de Juifs du monde arabe chassés et spoliés alors qu’ils étaient en dehors du conflit.

Quel état d’esprit ?

Il ne faut pas avoir d’états d’âme, même si c’est difficile, mais il faut se confronter à la réalité telle qu’elle est ou pourrait être. J’espère, cela va de soi, que ce scénario ne se réalisera jamais.

S’y confronter mentalement doit au contraire nous aider à puiser dans nos forces les plus profondes, autant spirituelles que physiques. Un combat décisif et vital mettant en jeu la continuité juive et la qualité même de l’existence d’un peuple juif parmi les peuples de l’humanité, est à l’horizon. Je me propose d’aborder de développer ces enjeux dans un autre blog.

C’est pour cela qu’il est important d’étudier la stratégie palestinienne, afin de trouver le moyen de la retourner contre elle même. La situation présente est aussi le résultat de graves erreurs politiques commises par Israël dont la première fut le « processus d’Oslo » et la passivité devant ses premières trahisons par la nouvelle « Autorité palestinienne » du temps d’Arafat.
On aura du mal à effacer les conséquences de ces erreurs d’un revers de main. Il est clair que le slogan de « deux Etats pour deux peuples » est profondément irréaliste et suicidaire dans la situation présente. S’il venait à être mis en œuvre, il donnerait le coup d’envoi d’une guerre terrible dans laquelle Israël jouerait son existence même.

On mesure à cet égard l’irresponsabilité du camp occidental, et en premier lieu de l’Union Européenne, 60 ans après la Shoa, de vouloir imposer à Israël une « solution » bancale, en dépit de toutes considérations de sa sécurité et de son existence, et sans aucune exigence vis à vis de la partie palestinienne dont le bellicisme se manifeste jour après jour dans sa société et sa culture.

Une « solution finale » pour le Moyen Orient ou pour les Juifs?

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1 « C’est prévu à l’automne. Nous sommes prêts et nous avons été préparés depuis longtemps mais nous voulions nous assurer de la reconnaissance de la communauté internationale… La voix palestinienne ne sera pas seule. Elle sera reprise en chœur par des voix tout autour du monde, des voix crédibles qui diront : »oui ils sont prêts ! Oui, ils méritent un Etat ! »

2 Cf. S. Trigano Les frontières d’Auschwitz

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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Dlorthois

C’est ce qui s’appelle « courber le dos à l’ennemi »… Nulle part dans Notre Bible, je trouve le mot de Palestine mais partout celui d’Israël…
La Palestine a été « inventée » en 135 de notre ère par les Romains comme une opération de « camouflage »
pour faire oublier l’existence d’Israël ! Et Jérusalem d’ailleurs « rebaptisée » Aélonia Capitolinia.
Ne faisons pas le jeu de l’Ennemi, mais appelons « un chat » un chat.

René Pailloucq

Il faut presque s’excuser de parler du long terme, voire du très long terme, alors que des événements difficiles sont prévisibles (jamais certains, heureusement, mais hélas probables) non pas à court terme mais à très court terme (septembre 2011).

La culpabilité, jamais reconnue, de l’Occident vis-à-vis du monde juif ne date pas des dix dernières années, ni des soixante-six années écoulées depuis la Shoah, ni de la Shoah elle-même, mais bien de ce qui a précédé la Shoah pendant des siècles et l’a préparée en préparant les esprits (pas tous mais la plupart) à l’indicible, un mot commode pour ne pas devoir nommer les choses. Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde mais pour l’Occident comme pour les Etats islamistes qu’il cajole, c’est une technique sinon une stratégie pour se disculper. A posteriori ou à l’avance.

Un seul exemple pour ne pas être trop long (mais il y en a des dizaines): le succès et l’assentiment rencontrés il y a un peu plus de dix ans par le film « La vie est belle » sur … les camps de concentration et d’extermination allemands, rien de moins. Cannes 1998, Grand Prix du Jury. Trois Oscars 1999, Meilleur acteur, Meilleur film étranger, Meilleure musique. César 1999, Meilleur film étranger. Les millions d’hommes, de femmes et d’enfants assassinés? Les montagnes de corps enchevêtrés? Les très rares survivants décharnés entrevus en 1945 par les troupes alliées « stupéfaites » (comme par hasard, les services secrets ne savaient pas …)? Rien de tout cela, sous l’habile prétexte supérieurement « artistique » d’un père responsable qui se doit de ne pas effrayer son enfant. La guerre exterminatrice faite aux Juifs et à leurs enfants? Non, ma chère, vous exagérez, la vie est belle.

Tout cela précédé en 1938 par Munich et en 1939-1940 par la « drôle de guerre », une guerre déclarée (à contre-coeur) qu’on ne faisait pas, suivie par la vraie, celle des Allemands qui eux ne prenaient aucunement la peine de la déclarer mais la faisaient, y compris à des enfants et à des bébés. Toute ressemblance avec des événements actuels en Israël serait purement fortuite, « disproportionnée », exagérée: la vie est belle.

Tout cela suivi après 1945 par l’extrême clémence vis-à-vis des pires criminels de l’histoire, les filières d’exfiltration notamment par la « route des monastères » vers le Vatican puis l’Amérique du Sud, l’Egypte ou la Syrie, les recrutements par la CIA américaine et la complaisance des services britanniques. Amabilités dont ont bénéficié entre autres Ante Pavelic, Klaus Barbie, Aloïs Brunner, Franz Stangl, Josef Mengele, Adolf Eichmann, … (la liste est très longue).

A propos de ce dernier, dont on a commémoré il y a quelques jours en Israël le cinquantième anniversaire du début du procès, des archives américaines déclassifiées il y a quelques années ont prouvé que les services secrets ouest-allemands savaient depuis le début des années 1950 où se cachait l’architecte de la solution finale, et approximativement sous quel nom d’emprunt. Une arrestation aurait été gênante au moins pour Hans Globke, un des artisans des lois raciales de Nuremberg en 1935, devenu l’un des ministres du chancelier Konrad Adenauer. Lorsque le magazine Life, suite à une interview, était sur le point de faire quelques révélations gênantes sur ce sujet, les dirigeants ouest-allemands ont fait pression sur la CIA qui elle-même ne s’est pas fait prier pour faire pression à son tour sur Life. Ainsi « aidés », les services secrets israéliens récemment créés, qui savaient seulement qu’Eichmann se cachait en Argentine, n’ont pas pu en savoir plus et, devant l’ampleur de la tâche (l’Argentine est infiniment plus grande que l’Etat juif « expansionniste », pour qui l’ignorerait), ils ont dû renoncer à de plus amples recherches pendant de longues années.

Mais il y a « mieux », si c’est possible, lorsqu’on lit ce qu’écrit Ofer Aderet le 12 avril dernier, dans la version en anglais de Haaretz (un quotidien parfois surprenant …) Une lettre d’Adolf Eichmann lui-même, envoyée d’Argentine en 1956 au chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer lui-même, a été découverte dans des archives allemandes par le Dr. Bettina Stangneth, une historienne de Hambourg. En voici une partie du contenu publié par Haaretz en anglais: « The time has come for me to step out of the cloak of anonymity and present myself … Name: Adolf Eichmann. Occupation: SS Obersturmbannfuehrer … »

En fait, Eichmann en avait assez de se cacher à Buenos Aires, sous le nom de Ricardo Klement. Que demandait-il à Adenauer, dix ans après la Shoah dont il avait orchestré la partie la plus monstrueusement efficace? De rentrer chez lui en Allemagne. Il avait le mal du pays. « I do not know how long fate will allow me to live. I do know, however, that someone must be allowed to explain to the coming generation about what happened. There should be an explanation. I had to steer and lead large parts of this complex in those years. » Le « complexe » était évidemment la Shoah. Eichmann écrivait aussi qu’il prévoyait qu’il serait jugé à son retour au pays, mais ne croyait pas qu’il serait mis en prison pour longtemps.

D’après Stangneth, la lettre montre qu’il « n’était pas heureux en Argentine ou dans sa situation. Le tueur de masse (mass killer) ne voulait plus être l’anonyme Ricardo Klement mais l’important Adolf Eichmann. » Au lieu du « mass killer », la presse occidentale dirait
probablement « l’activiste », sinon « le militant », simplement à plus grande échelle que ceux du Hamas, du Jihad islamique, etc., et avec davantage de technologie.

Le journaliste Ofer Aderet ajoute que des documents sont apparus un peu partout dans le monde ces récentes semaines, montrant que l’Allemagne savait où était Eichmann, des années avant sa capture par Israël, et l’aidait même à éviter l’emprisonnement. Il ajoute: « Recently revealed documents show there was fear in Germany after the war from the outcome of the Eichmann trial in Israel. According to the CIA, Adenauer was on the brink of hysteria over the possibility that Eichmann would reveal at his trial that several ex-Nazis who were part of the extermination machine were serving in the German government. »

Même le Président des Etats-Unis, l’homme « le plus puissant » du monde, même le roi de France à l’époque de la monarchie absolue de droit divin, même l’empereur de Chine ou l’empereur romain, s’il leur prenait ou s’il leur avait pris l’envie de planter un arbre, ils auraient pu danser sur leur tête, l’arbre n’aurait pas poussé plus vite que s’il avait été planté par le plus humble de leurs sujets. Qu’ils aient sur celui-ci droit de vie et de mort, l’arbre n’en a cure.

J’en viens ainsi au très long terme dont je suis un peu confus de parler après que Shmuel Trigano se soit préoccupé très concrètement, à juste titre et de manière magistrale, de ce qui risque de nous arriver bientôt si nous ne parvenons pas à nous défendre suffisamment. On ne combat pas l’antisémitisme sans cesse renaissant, on s’en protège quand on le peut, et depuis 1948 on le peut. Mais l’armée dont le peuple juif a réussi à se doter, qui par miracle a tenu bon contre une nouvelle tentative d’extermination lors de la naissance d’Israël, et s’est renforcée depuis, bien qu’elle constitue de loin le rempart le plus efficace, mérite de ne pas rester seule.

Les arguments sérieux, par définition immatériels, ne sont certes que des paroles, des textes que les médias européens méprisent, ignorent ou tentent d’ignorer par tous les moyens. Mais ce sont quand même des arguments et, s’ils sont solides comme les textes de la tradition juive, ils survivent aux plus grands empires, à la barbarie et aux imbéciles. Tout rayonnement radioactif décroît mais ne disparaît jamais totalement. On a l’habitude de donner comme mesure de la rapidité de cette décroissance la durée de la « demi-vie », c’est-à-dire le temps qu’il faut pour que la radioactivité tombe à la moitié de son niveau initial. Pour ce qui est de l’Europe et de l’Occident vis-à-vis du peuple juif, si aux dix siècles de massacres et de furie écoulés succède désormais le même nombre de siècles enfin calmes, les pessimistes diront d’ici un millénaire que le verre est encore à moitié vide et les optimistes qu’il est déjà à moitié plein. Ma pensée sera-t-elle alors plutôt d’un côté que de l’autre? Je ne serai pas là pour en décider et de toute façon, à lire la presse et à entendre la plupart des gouvernements européens, les dix siècles de calme n’ont pas encore débuté, s’ils commencent un jour. A tout le moins, l’Europe peut danser sur sa tête, c’est en ces termes-là que le problème se pose et se posera pour elle. Le peuple juif, lui, est désormais très puissamment armé. Et personne n’a le pouvoir de faire pousser l’arbre plus vite.

Kogan

Pourquoi ne pas inverser ce qui pointe, en se nommant PALESTINE au lieu d’ISRAEL ?