Au fil des années, le trafic de drogue a pris une telle ampleur qu’il a gangrené le quartier de la Villeneuve, où ont éclaté les récentes émeutes. De nouveaux gangs ont fait irruption dans une ville à la longue tradition de banditisme.Les vitres ouvertes de l’Opel grise laissent échapper les lourds battements d’un rap teigneux. Quelques retraités paisiblement attablés au café du coin font mine de ne rien entendre. Cisaillant le silence de l’été, le refrain résonne pourtant comme une provocation, une incivilité calculée dans ce quartier de la Villeneuve, à Grenoble, étiqueté « zone ultraviolente » depuis les très vives émeutes du mois dernier. Le 16 juillet, Karim Boudouda décède, pistolet-mitrailleur et fusil d’assaut kalachnikov en mains, après un échange de tirs avec les hommes de la BAC. Il vient de braquer le casino voisin d’Uriage-les-Bains.

Durant les jours houleux qui suivent, plusieurs coups de feu sont tirés contre les policiers, accusés par la rumeur locale d’avoir froidement achevé le voyou sur le trottoir. Nicolas Sarkozy prend la peine de se rendre lui-même à Grenoble pour déclarer une « guerre nationale » contre les délinquants et annoncer la mise en place d’un groupe d’intervention spécial dans la région. Quatre hommes sont interpellés et le 4 août, c’est Brice Hortefeux, le ministre de l’Intérieur, qui effectue une tournée nocturne sur les lieux. En trois semaines, le quartier de la Villeneuve devient le symbole d’une France vérolée par la violence.

A première vue, pourtant, l’endroit n’a rien d’un coupe-gorge. Dans cette vaste cité de 12 000 habitants conçue par les urbanistes des années 1960 imprégnés d’idéaux sociaux, les ruelles piétonnes sont ombragées, les espaces verts nombreux et bien entretenus; les enfants font du vélo sous le regard attentif de leur mère et les gamins du centre aéré jouent au foot sur le terrain de sport.

Des écoles, des collèges, un tissu associatif développé, tout est là pour rendre le quartier vivant. « On est loin des zones très dégradées de certaines banlieues de Paris », affirme un enseignant à la retraite, croisé dans le grand parc à l’herbe fraîchement coupée ancré au coeur de la cité.

On est loin des zones très dégradées de certaines banlieues

Mais il y a l’autre Villeneuve. Celui des jeunes déscolarisés qui gravitent autour des caïds de la drogue. Guetteurs, dealers, ils s’activent dans les galeries des immeubles et font régner un climat de violence. « Les émeutes qui ont suivi la mort de Karim Boudouda sont la suite logique de l’évolution des quartiers périphériques de Grenoble, estime un enquêteur longtemps en poste dans l’agglomération. Aujourd’hui, ce sont les équipes de trafiquants de stups qui font la loi. » Et pour financer leurs coûteux investissements, les malfrats ont parfois recours aux braquages. « Ils se bourrent le pif de coke, se prennent pour Tony Montana, le héros de Scarface, reprend le policier. Il ne faut pas s’étonner ensuite s’ils n’hésitent pas à ouvrir le feu contre les flics! »

Des membres du Groupe d’intervention de la Police Nationale (GIPN) et des CRS viennent d’interpeller une personne, le 10 août 2010 dans le quartier de la Villeneuve à Grenoble, lors d’une opération de police.

Les stations de ski proches de la capitale de l’Isère, où vivent de nombreux jeunes – surtout des étudiants – offrent aux dealers, pendant les vacances, une clientèle fournie et dotée d’un bon pouvoir d’achat. Selon certaines estimations, dix tonnes de cannabis s’écouleraient chaque année dans la région. « La ville est riche, souligne le sociologue Sébastien Roché. Les fils de cadres supérieurs sont de gros consommateurs qui stimulent l’offre. Les quartiers pauvres, eux, fournissent les jeunes « entrepreneurs » ambitieux ».

« Chicago-sur-Isère »

Le système est devenu encore plus rentable ces dernières années avec la montée en puissance de la cocaïne, dont le business s’est ajouté au traditionnel commerce du « shit » et des diverses pilules de type « ecstasy ». L’économie souterraine s’est ainsi renforcée, et il n’y a guère de raison que la tendance s’inverse. « Environ 50% des jeunes non-diplômés sont au chômage », relève le chercheur Laurent Mucchielli, autre observateur affûté de la délinquance juvénile.

Avant les dernières émeutes, les habitants de la Villeneuve avaient déjà enduré l’une des péripéties les plus féroces de la guerre à laquelle se sont livrées, jusqu’à l’année dernière, deux équipes de dealers. Le 8 novembre 2007, trois faux policiers armés de fusils et de pistolets automatiques ouvrent le feu sur un groupe d’individus assis sur un muret, abattant de vingt projectiles deux membres d’une famille d’origine manouche implantée de longue date à la Villeneuve. D’autres faits d’armes ultraviolents font à l’époque de la ville un véritable « Chicago-sur-Isère ». Cette vendetta alpine, due à un différend territorial entre revendeurs de cannabis, s’est soldée par une dizaine de victimes. Certaines ont été abattues à la kalachnikov, comme le veut la nouvelle mode des cités; les autres, plus classiquement, au fusil chargé de balles à sanglier. Le dernier malfrat est tombé sous les balles d’un fusil à lunette alors qu’il se promenait dans la cour de sa prison… Faute de combattants, le harcèlement sanglant entre les gangs du quartier de la Villeneuve et celui de Fontaine s’est interrompu, mais les règlements de compte n’ont pas cessé pour autant. Début juillet, quelques jours avant le braquage tragique du casino d’Uriage-les-Bains, deux jeunes, dont un mineur, ont été mis en examen pour assassinat, soupçonnés d’avoir abattu en pleine rue un homme de 24 ans déjà connu pour ses talents dans le commerce de la poudre blanche.

« Trafic de stups ou pas, la ville a toujours vécu dans la violence » tempère un ancien de la police judiciaire. Une note de cinq pages intitulée « réflexion sur le milieu du banditisme grenoblois », rédigée par les enquêteurs de la brigade criminelle locale, le rappelle: « Lors de vingt-sept années d’enquête (1975-2002), les assassinats et « disparitions » des membres de gangs se sont succédé ». Corses, Italo-grenoblois, manouches du quartier de l’Abbaye… La lutte acharnée pour dominer le marché de la prostitution, des bars de nuit et du racket a fait passer de vie à trépas au moins 40 voyous. A l’époque, les truands prenaient garde à ne pas s’en prendre aux policiers. Désormais, dans les quartiers sensibles tenus par les jeunes rois de la drogue, les « flics » sont une bande rivale comme une autre.

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