Paradoxalement, tout le monde au Proche-Orient ou presque a intérêt aujourd’hui à un certain succès des négociations entre les Palestiniens et les Israéliens: l’Autorité palestinienne, le gouvernement israélien, l’Egypte, la Syrie… et même le Hamas.

Le calme semble revenu à Gaza après une période d’attaques et de ripostes qui étaient sur le point de mener à une nouvelle opération «plomb durci» tant l’opinion israélienne était excédée par les dizaines de roquettes envoyées sur le sud du pays. Il semble en fait que des négociations secrètes se poursuivent activement entre les différentes parties qui ont presque toutes intérêt au retour de la situation de ni-guerre ni-paix qui existait depuis de longs mois.

Dôme de fer insuffisant

La justification par les israéliens d’une accalmie grâce à l’installation du système de défense anti-missiles«dôme de fer» est purement de la communication à destination des populations du sud du pays. Le système ne répond que partiellement aux tirs de Gaza car il n’a aucun effet sur les roquettes et obus d’une portée inférieure à cinq kilomètres. Par ailleurs, son coût très élevé en rend l’emploi systématique compliqué. L’interception d’un seul missile coûte environ 40.000 dollars.

En face, l’arsenal des islamistes est aujourd’hui impressionnant. Le Times avait déjà révélé, dès 2009, que le Hamas détenait des milliers de Qassams et des centaines de missiles Grad de taille intermédiaire tandis que plus de 45.000 roquettes étaient entreposées au Sud-Liban. Par ailleurs, selon Tsahal, des missiles sol-air pouvant à présent atteindre les appareils de l’armée de l’Air volant à basse altitude, sont parvenus aux combattants islamistes. Ces derniers disposent aussi de missiles anti-char guidés par laser Kornet que la Russie avait garantie ne vendre qu’à la Syrie et qui sont néanmoins parvenus jusqu’à Gaza. Un de ses missiles a touché un bus scolaire le 6 avril provoquant une riposte israélienne immédiate et l’engrenage auquel nous avons assisté ensuite.

Il est vrai que le front de Gaza ne s’échauffe pas régulièrement par le seul fait du Hamas puisqu’il n’est plus le seul à imposer ses vues dans la région. Trois organisations islamistes sont présentes sur la scéne politique et militaire à Gaza. La plus importante, le Hamas, créé par les Frères Musulmans égyptiens, a fortement évolué. Après l’assassinat de son fondateur, le cheik Ahmed Yassine, et de son successeur Abdel Aziz Al-Rantissi, l’organisation a décidé de s’impliquer d’avantage dans la vie politique et de prendre le pouvoir ainsi.

Le Djihad islamique est une émanation d’anciens du Fatah de Yasser Arafat, inspirés, financés et formés par les iraniens à travers des envoyés des pasdarans qui avaient choisi Imad Moughnieh comme leader basé à Damas. Ce dernier a été assassiné à quelques encablures du bâtiment des services secrets syriens, semant ainsi le doute sur le réel commanditaire de son élimination. Enfin, al-Qaida vient de s’implanter à Gaza. Ce mouvement islamique, fondé en Afghanistan par Oussama Ben Laden en 1987, est d’inspiration sunnite fondamentaliste. Mais cette organisation donne l’impression de ne pas être contrôlable car elle ne dépend d’aucune structure hiérarchisée ce qui en fait d’ailleurs sa force. Elle est surveillée étroitement par les américains.

Organisations antagonistes

L’existence de trois organisations antagonistes prenant leurs ordres auprès de trois pays ou mentors différents, la Syrie, l’Iran et l’Afghanistan, complique la situation. Bien que les israéliens veuillent faire porter sur le seul Hamas censé contrôlé Gaza la responsabilité des actes terroristes menés à partir de son territoire, ils sont persuadés que les exécutants n’appartiennent pas à son mouvement. Ils pensent qu’il est prisonnier de sa rhétorique extrémiste et belliqueuse alors que certains de ses éléments commencent à prôner un politique plus pragmatique. Sous la pression américaine et compte tenu de la destabilisation des pouvoirs régionaux face aux révolutions arabes en Egypte mais aussi en Syrie, le gouvernement israélien semble avoir décidé d’essayer de tenter sa chance auprès des éléments apparemment les plus réalistes du Hamas.

La perte de certains alliés arabes, dont ils avaient le soutien actif, amène l’organisation islamiste à réviser des positions intransigeantes. Son représentant à Damas, Khaled Mechaal, avait ainsi négocié le soutien du colonel Kadhafi lors d’une visite le 19 mai 2010. La redistribution des cartes dans les pays arabes impose une réévaluation de la politique à Gaza. Des rencontres secrètes sont organisées pour canaliser l’ardeur des dirigeants islamistes et pour les amener à plus de réalisme. Les projets économiques du milliardaire palestinien Mounaib Al-Masri illustrent la possibilité d’un autre avenir et d’une autre perspective que la guerre et la misère permanentes. Il mise sur un développement économique de la Cisjordanie. Après avoir passé sa vie aux côtés de Yasser Arafat, il a fait fortune dans l’industrie pétrolière et vit actuellement à Naplouse. Il est l’inspirateur de la création d’une nouvelle ville à 9kms au nord de Ramallah, Rawabi, à l’intention de 40.000 palestiniens. A ce titre, il a donc été amené à présider le comité de réconciliation palestinienne.

Dans cet esprit, les nouvelles autorités égyptiennes ont convié les protagonistes à une réunion au Caire sous l’égide du ministère des affaires étrangères. Mounaib Al-Masri, le secrétaire général du Djihad islamique Ramadhan Abdullah Chalah et Khaled Mechaal tenteront de négocier une position commune pour une réconciliation entre palestiniens. Impliqué dans la réussite de ce projet, le Hamas a réussi à imposer aux deux autres organisations l’arrêt des opérations militaires contre Israël. En fait, il n’est pas prêt, pour l’instant, à supporter le choc éventuel d’une opération militaire israélienne d’envergure à Gaza dont l’objectif final pourrait bien être cette fois d’extirper les dirigeants islamiques de leur bastion de Gaza.

Négociations secrètes

Des indiscrétions précisent que des négociations seraient en cours entre toutes les parties, incluant les israéliens, chacune ayant un intérêt à calmer le jeu. Le président Assad a exigé de son protégé, Khaled Mechaal, qu’il donne ses ordres pour assurer la passivité des troupes du Hamas. Les risques de représailles israéliennes pourraient compromettre la stabilité du régime syrien au moment où il subit de plein fouet une véritable révolution intérieure qui destabilise son armée et toutes les institutions du pays.

Des négociations secrètes ont été engagées par le gouvernement Netanyahou avec les palestiniens, et indirectement avec les islamistes. Il a proposé aux uns d’accepter la proposition égyptienne d’ouvrir de manière permanente le passage de Rafah vers Gaza en échange d’un contrôle des marchandises par les autorités égyptiennes. Cette concession n’aurait aucun effet sur la sécurité d’Israél puisque les matériels sensibles continueront à être acheminés par les tunnels de contrebande. Mais l’impact psychologique auprès des occidentaux et de leurs opinions publiques pourrait être important car le blocus de la bande sera partiellement levé.

Benjamin Netanyahou a assuré aux autres parties qu’une situation stabilisée lui permettra de mettre en application, en plusieurs étapes, son projet d’évacuation partielle de la Cisjordanie même si l’évacuation de Gaza n’a pas vraiment ensuite apportée la sécurité à Israël. En tout cas, Netanyahou est à présent convaincu que la garantie d’une identité juive de son pays passe par la séparation avec les populations arabes. Il veut par ailleurs prendre de vitesse à la fois le projet d’Obama d’imposer la restitution de 96% de la Cisjordanie et aussi la déclaration unilatérale d’indépendance de la Palestine qui serait entérinée par la majorité des pays de l’ONU. En doublant ses adversaires, il espère bloquer la déclaration unilatérale palestinienne qui pourrait être retardée pour donner une chance au processus de paix.

Le président palestinien Mahmoud Abbas cherche lui aussi à faire bouger les lignes. Il semble avoir réussi à convaincre Ismaël Haniyeh, le chef du Hamas,  d’user de son autorité pour faire cesser les hostilités contre Israël afin de mettre fin à la division en formant un gouvernement commun qui rendrait plus crédible une déclaration d’indépendance appliquée en Cisjordanie et à Gaza: «Je suis prêt à aller à Gaza pour mettre fin à la division et former un gouvernement de personnalités nationales indépendantes pour préparer des élections présidentielles et législatives dans les six mois». Il a fait comprendre que cette visite ne pourra être envisagée que si le calme règne aux frontières avec Israël. Le Hamas s’est rapidement félicité de cette proposition et espère ainsi satisfaire les doléances des dizaines de milliers de manifestants qui ont défilé à Gaza pour réclamer la fin de la division.

Le cessez-le-feu réclamé et accepté par le Hamas pourrait aussi lui permettre d’être inséré dans le processus de paix s’il acceptait les trois conditions posées par Israël: la reconnaissance de jure de l’Etat d’Israël, le respect des accords signés par l’Autorité palestinienne et ses prédécesseurs et la cessation de toute action de guerre contre le peuple israélien. C’est sans doute une marche trop grande à franchir en une fois pour le Hamas.

Jacques Benillouche

Slate.fr

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