Depuis la mort du leader d’Al-Qaïda, Islamabad est au centre de toutes les interrogations. Comment l’homme le plus recherché du monde a-t-il pu vivre sept ans au Pakistan ? Quels rôles ont réellement tenu les autorités pakistanaises dans la traque d’Oussama Ben Laden?Un double-jeu? Alors que depuis le début de la guerre menée contre le terrorisme international par les Etats-Unis en Afghanistan, le Pakistan est un allié fidèle et objectif, il ne fait aujourd’hui guère de doute qu’une partie des services secrets de l’Inter-Services Intelligence (ISI) étaient en contact avec Al-Qaïda et connaissaient certainement la localisation de la cache d’Oussama Ben Laden.
Il apparait en effet que le leader d’Al Qaïda vivait depuis de nombreuses années au Pakistan. Selon une des veuves de Ben Laden, arrêtée dimanche dernier dans la propriété de la ville d’Abbottabad où ce dernier a été tué par les forces spéciales américaines et interrogée par les autorités pakistanaises, le terroriste avait passé environ deux ans et demi dans un village pakistanais avant de s’installer à Abbottabad, non loin de là.
Cette femme, Amal Ahmed Abdoulfattah, avait auparavant affirmé que le chef d’Al Qaïda et ses proches avaient vécu cinq ans à Abbottabad. «Amal a déclaré aux enquêteurs qu’ils avaient vécu dans un village du district de Haripur pendant près de deux ans et demi avant de s’installer à Abbottabad à la fin de l’année 2005», a déclaré à Reuters un responsable des services de sécurité pakistanais sous le sceau de l’anonymat. Selon le «New York Times», de fortes tensions sont apparues entre Washington et Islamabad après l’intervention de dimanche dernier.
L’administration américaine a demandé au Pakistan de lui révéler l’identité de ses principaux agents secrets pour déterminer si des contacts ont existé entre ces agents secrets et le clan d’Oussama ben Laden avant l’intervention du commando américain.
LES RÉVÉLATIONS DE WIKILEAKS
On se souvient qu’en juillet dernier, le site Wikileaks.org, avait diffusé des écrits top-secrets concernant la guerre en Afghanistan qui mettaient déjà en lumière les doutes de l’administration américaine quant aux agissements des services secrets pakistanais. «Les autorités pakistanaises, alliés ostensibles des Etats-Unis, autorisent des représentants de ses services secrets à rencontrer en personne des taliban lors de réunions stratégiques secrètes destinées à organiser les réseaux rebelles en lutte contre les soldats américains en Afghanistan et même à fomenter des complots visant à assassiner des dirigeants afghans», expliquait une note. Selon certains rapports, «des membres du renseignement pakistanais» travaillent aux côtés d’Al-Qaïda pour planifier des attaques terroristes.
Les services secrets pakistanais (l’ISI, pour Inter-Services Intelligence) étaient clairement désignés dans les documents. Créé en 1948, l’ISI est aujourd’hui dirigé par le général Ahmad Shuja Pasha, proche allié du chef de l’armée de terre pakistanaise, le général Ashfaq Kayani, lui-même ancien chef de l’ISI. «The Guardian» avait raconté une autre affaire, évoquée aussi dans les documents diffusés par WikiLeaks. En 2007, le Pakistan aurait fourni au réseau Haqqani, proche des taliban, un millier de motos destinées à lancer des attentats suicides dans les provinces de Khost et de Logar…
En octobre dernier, alors qu’un haut-fonctionnaire de l’Otan, sous couvert d’anonymat, avait déclaré à CNN qu’il était impossible que les chefs d’Al-Qaïda, soient toujours dans la région de Tora Bora, en Afghanistan, affirmant alors que ceux-ci trouvaient au Pakistan, dans le nord du pays, dans les zones tribales frontalières avec l’Afghanistan, protégés par les services de secrets pakistanais et la population locale, dans un confort relatif – des informations qui se sont avérées exactes -, le ministre de l’Intérieur pakistanais Rehman Malik avait farouchement nié la possibilité de la chose. Ben Laden et ses sbires ne pouvaient être sur le sol de son pays et qu’en cas d’informations contraires, il fallait qu’elles soient partagées avec les autorités pakistanaises. «Ce sont des terroristes, des assassins», avait martelé Rehman Malik lors d’une conférence de presse donnée à Karachi. On connait la suite. Washington n’a pas communiqué à «son ami» l’opération en cours et le leader d’Al Qaïda a trouvé la mort… à quelques kilomètres de la capitale du Pakistan.
Amal, la plus jeune femme de Ben Laden, commence à parler aux services pakistanais.
Amal Ahmed Abdullfattah
Leurs aveux valent de l’or. Amal, la jeune Yéménite avec laquelle Oussama Ben Laden se maria au printemps 2000, a commencé de parler. L’homme le plus recherché au monde vivait depuis cinq ans avec sa famille à Abbottabad, a confié la dernière épouse de Ben Laden à ses interrogateurs pakistanais, dans «un lieu sûr» où quinze autres parents du chef d’al-Qaida sont actuellement détenus.
Blessée pendant l’assaut, Amal Ahmed Abdullfattah, 28 ans, bénéficie de soins médicaux. Même si ses dires n’ont pas encore été corroborés, la jeune veuve a ajouté que son mari n’avait pas quitté sa maison d’Abbottabad depuis qu’ils s’y sont installés, en 2005 ou 2006. Auparavant, la famille Ben Laden aurait passé environ deux ans et demi dans le village de Chak Shah Mohammad dans le district de Haripur, dans le nord du Pakistan. Ce qui voudrait dire que le leader d’al-Qaida aurait quitté les Zones tribales, bordant l’Afghanistan, depuis 2003-2004, pour s’installer, sans être inquiété, dans les secteurs urbains du nord du Pakistan. De quoi renforcer encore les soupçons sur une complicité entre des membres de l’appareil sécuritaire pakistanais et les extrémistes islamistes.
Deux autres épouses de Ben Laden, retrouvées dans le refuge d’Abbottabad, devraient être également interrogées par les Pakistanais. Il s’agit d’Oum Hamza et d’Oum Khaled, deux Saoudiennes, qui connaissent beaucoup de choses sur le réseau terroriste. Surtout Oum Hamza (la mère de Hamza en arabe).
«C’était la favorite de Ben Laden, en raison de son érudition en sciences islamiques», se rappelle Nasser al-Bahri, le garde du corps du chef d’al-Qaida entre 1997 et 2000 à Kandahar, où il vivait aux côtés de la famille Ben Laden dans ce qui était alors le QG de l’organisation terroriste.
Problèmes dans la maisonnée
Ben Laden consultait régulièrement cette femme, de huit ans son aînée (62 ans aujourd’hui), issue d’une famille aisée de La Mecque (les al-Kindi). Il n’eut qu’un enfant avec elle (Hamza). Selon al-Bahri, «Oum Hamza était un peu la mère de tous les djihadistes. Elle réglait les problèmes de couple ou aidait les femmes à accoucher.» C’est encore elle qui enseignait le Coran à tous les fils Ben Laden.
Oum Khaled, de son côté, apprenait l’arabe aux rejetons Ben Laden, dont l’éducation laisse fortement à désirer. Khaled, le fils aîné de son union avec le chef d’al-Qaida, aurait été tué pendant l’attaque américaine.
Ben Laden aurait vécu avec ses trois épouses lors de ses dernières années de cavale. Entre elles, la cohabitation n’a, pourtant, pas toujours été harmonieuse. Oum Hamza était furieuse du mariage de Ben Laden, âgé alors de 43 ans, avec Amal, qui n’avait, elle, que 17 ans. «Oum Hamza n’assista que très brièvement à la noce, se souvient al-Bahri, l’ambiance était pesante.»
Saad, Mohammad et Othman, les fils les plus âgés du chef terroriste, étaient, eux aussi, en colère contre leur père. «Comment peux-tu épouser une fille qui est plus jeune que certains de tes enfants ?», ronchonnait Saad, qui retournait ses critiques contre Nasser al-Bahri.
Mariage arrangé
Quelques mois plus tôt, Ben Laden avait en effet chargé son garde du corps d’aller remettre 5000 dollars de dot à la famille d’Amal au Yémen. Un mariage arrangé, destiné à s’allier la tribu de sa promise, au cas où Ben Laden et ses hommes devraient revenir s’installer dans la patrie ancestrale du chef d’al-Qaida. Mais lorsqu’al-Bahri relayait ces critiques à cheikh Oussama, ce dernier se contentait de répondre qu’il ne savait pas qu’elle était aussi jeune. «On m’avait parlé d’une fille de 25-30 ans. Maintenant qu’elle est là, on ne va pas la laisser repartir», esquivait le chef d’al-Qaida.
Ensemble, le couple eut une fille, Safiyah, née à Kandahar, peu avant les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. C’est probablement cette fillette de dix ans qui a vu son père tué par les Américains, comme une déclaration d’«une fille Ben Laden» l’indique. Treize de ses frères et sœurs, arrêtés pendant l’assaut, sont aujourd’hui également à la discrétion des services pakistanais (ISI). Eux aussi connaissent certains arcanes du fonctionnement d’al-Qaida, surtout Saad et Mohammad, les fils préférés de Ben Laden.