Un an après la mort d’Oussama Ben Laden, l’islamologue Mathieu Guidère décrypte la transformation de l’organisation terroriste.

« Al-Qaida fonctionne désormais comme un label, que cherchent à décrocher les groupes djihadistes », affirme l’islamologue Mathieu Guidère. « Al-Qaida est désormais à notre portée.

C’est Barack Obama qui le dit. Un an jour pour jour après la mort d’Oussama Ben Laden, le président américain est revenu mardi sur son principal succès de premier mandat, à l’occasion d’une visite-surprise de quelques heures en Afghanistan, pays que les forces américaines doivent quitter en 2014.

Or, le même jour, son probable adversaire républicain à la présidentielle, Mitt Romney, a fustigé le fait d’utiliser le combat contre al-Qaida à des fins politiques.

Les déclarations présidentielles s’inscrivent-elles dès lors dans un cadre électoraliste ou sont-elles véritablement le signe du déclin de la nébuleuse terroriste ?

Dans une interview au Point.fr, l’islamologue Mathieu Guidère, auteur du Printemps islamiste (éditions Ellipses), explique la nouvelle stratégie d’al-Qaida.

Le Point : La mort de Ben Laden a-t-elle été fatale à al-Qaida ?

Mathieu Guidère : La mort de Ben Laden a porté un coup symbolique à l’organisation terroriste. Tout d’abord, elle a signé la fin d’un leadership historique incontesté. Ensuite, elle a mis un terme au plus grand réseau de financement dont bénéficiait l’organisation. L’ancien chef d’al-Qaida possédait un carnet d’adresses très fourni. Les divers donateurs avaient confiance en lui. Ce n’est pas le cas du nouveau chef.

L’Égyptien Ayman al-Zawahiri serait donc contesté ?

Il n’a pas la même légitimité que Ben Laden, et cela, pour une raison toute simple : il symbolise la rivalité historique entre Mashrek et Maghreb, c’est-à-dire entre l’est et l’ouest du monde musulman.

En effet, il est bien plus prestigieux d’être issu de la terre sainte de l’islam, à savoir le Golfe, que du Maghreb.

Ainsi, Ben Laden était très valorisé dans la mouvance islamiste, car il venait d’Arabie saoudite et possédait des origines yéménites.

Ce n’est pas le cas d’al-Zawahiri, qui vient d’Égypte.

Si celui-ci possède des réseaux au Maghreb, il demeure quasiment coupé du Golfe, dont les groupes sont plus riches et mieux structurés.

Vaincre al-Qaida est-il désormais « à la portée » des États-Unis, comme l’a annoncé ce matin Barack Obama ?

Tout à fait. Barack Obama parle ici du canal historique d’al-Qaida, c’est-à-dire d’Oussama Ben Laden, Ayman al-Zawahiri et d’autres. Ils forment l’organisation centrale d’al-Qaida, al-Qaida AFPAK (al-Qaida en Afghanistan et au Pakistan, NDLR).

En effet, les Américains lui ont infligé de nombreux coups durs en attaquant ses bases et en abattant ses chefs.

Globalement, il ne reste dans l’organigramme des instigateurs du 11 Septembre que cinq chefs encore en vie, alors qu’à l’origine il en comptait une centaine. Mais cette pression sur l’organisation centrale a généré une multiplication de cellules au moins aussi puissantes à la périphérie.

Où se situent-elles ?

Dans le Golfe et au Maghreb. Il y a al-Qaida en Mésopotamie, qui opère en Irak.

Il y a également al-Qaida dans la péninsule arabique, basée au Yémen, mais dont le champ d’action se situe également en Arabie saoudite.

Il existe également al-Qaida en Somalie et enfin al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi).

Ces quatre branches officielles ont été adoubées par le pouvoir central et demeurent très actives.

Pourtant, les Américains ne les considèrent plus comme une menace.

En effet, ces derniers ne sont intéressés que par les menaces globales, qui caractérisaient la vision d’al-Qaida centrale.

Il s’agissait pour l’organisation d’attaquer partout où se trouvaient les Américains, y compris sur leur propre sol.

Les organisations régionales d’al-Qaida n’ont pas cette prétention.

Depuis que les Américains se sont retirés d’Irak, al-Qaida s’est recentrée sur l’Iran et les gouvernements pro-iraniens, car ils tuent des sunnites.

On se situe donc plutôt sur des agendas locaux, voire régionaux.

Peut-on imputer à al-Qaida les deux échecs américains en Irak et en Afghanistan ?

Je ne crois pas.

Le non-succès attendu des Américains dans ces deux pays est dû à l’insurrection populaire provoquée par leur occupation des pays.

Al-Qaida s’est bien alliée à elles, entre 2004 et 2006 en Irak, et entre 1999 et 2002 en Afghanistan, mais a cessé ses activités depuis.

Ces réseaux insurrectionnels sont bien ancrés dans les deux pays, car ils bénéficient de complicités au sein de la population.

Al-Qaida enverrait également des combattants en Syrie, coupables d’attentats contre le régime de Damas…

Il s’agit d’attaques ponctuelles, revendiquées par des groupes syriens djihadistes, qui ont été immédiatement désavoués par l’armée syrienne libre et les mouvements pacifiques à l’intérieur du pays.

À ma connaissance, al-Qaida n’est pas impliquée en Syrie.

La seule branche qui pourrait y intervenir est al-Qaida en Irak.

Or, depuis plus d’un an, elle est trop occupée à se battre à l’intérieur de l’Irak contre les forces de sécurité irakiennes chiites et les forces pro-iraniennes.

Comment fonctionne al-Qaida aujourd’hui ?

L’organisation fonctionne davantage comme un « label » que cherchent à décrocher les groupes djihadistes.

Al-Qaida impose un certain nombre de critères : il s’agit tout d’abord de s’attaquer prioritairement aux Occidentaux.

Ensuite, l’organisation demande d’imposer la charia là où les combattants islamistes prennent le pouvoir.

Enfin, ceux-ci sont tenus d’employer de préférence un mode opérationnel spectaculaire et simultané, c’est-à-dire des opérations kamikazes.

Dès lors que les conditions sont respectées, le chef djihadiste fait acte d’allégeance par écrit au chef actuel d’al-Qaida, Ayman al-Zawahiri. Celui-ci réunit le comité militaire ainsi que le comité politique d’al-Qaida central pour examiner la demande.

Lorsque l’allégeance est entérinée, al-Zawahiri émet l’avis sur tous les forums djihadistes.

À parti de ce jour, le groupe en question devient la branche d’al-Qaida dans la région où il opère.

Mais ce procédé ne s’applique qu’aux groupes djihadistes implantés dans les pays musulmans.

Pourquoi ce label est-il tant recherché ?

C’est tout d’abord l’unité du mouvement djihadiste international qui est recherché autour d’al-Qaida.

D’autre part, les groupes djihadistes estiment que al-Qaida demeure la marque de fabrique la plus visible et la plus efficace contre les Occidentaux.

Le procédé de « labellisation » s’applique-t-il à l’étranger ?

L’organisation a compris depuis longtemps qu’il lui était désormais quasi impossible de créer de branche en Occident.

Ainsi, dès 2009, al-Qaida a développé une nouvelle stratégie, l’individualisation du terrorisme, qu’elle nomme le « djihad individuel ».

Ce n’est plus un groupe mais un seul individu qui se rattache à al-Qaida, en suivant exactement le processus menant à l’allégeance.

Celui-ci rentre alors en contact avec l’organisation, par le biais d’un référent ou guide spirituel, qui va se charger de l’adouber et de valider son action.

Dès lors, l’individu est considéré comme partie prenante de la mouvance al-Qaida.

C’est le cas de Mohamed Merah… ?

Tout à fait. Mohamed Merah est entré en contact avec l’organisation « Jund al-Khilafah » (les soldats du Califat), liée à al-Qaida AFPAK.

C’est pour cette raison qu’elle a revendiqué la tuerie de Toulouse.

Récemment, al-Qaida a sorti un document intitulé Les leçons de la bataille de Toulouse, où elle revendique les tueries de Toulouse.

Aqmi semble être aujourd’hui la véritable menace. Qui est-elle ?

AQMI, autrefois nommée GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), a été intronisée après avoir adapté le mode d’action d’al-Qaida le 11 septembre 2006.

Tandis qu’elle s’attaquait auparavant essentiellement au gouvernement algérien à travers des escarmouches, elle s’est mise à attaquer un ennemi global, la France, par le biais d’attentats-suicides.

Après avoir mené des actions spectaculaires contre les intérêts occidentaux, notamment en Algérie, Aqmi est passée à l’enlèvement de ressortissants étrangers, pour assurer son financement.

Tout d’abord opposée à ces pratiques, al-Qaida les a finalement acceptées, convaincue par Aqmi que les civils occidentaux présents au Maghreb n’étaient en réalité que des représentants des soldats de leur pays, envoyés pour occuper les terres musulmanes.

Al-Qaida n’est donc pas en voie de disparition…

Al-Qaida n’est pas morte.

Si l’organisation centrale s’est considérablement affaiblie, face aux moyens mis en oeuvre par les États-Unis, ce n’est pas le cas des branches régionales de l’organisation, qui sont florissantes.

Nous sommes passés d’une menace globale à une menace régionale.

Quel a été l’effet du Printemps arabe sur al-Qaida ?

Le Printemps arabe a eu une influence considérable sur al-Qaida, bien plus que la mort de Ben Laden.

Le renversement par la rue de nombreux dirigeants arabes a signé l’échec de la politique d’al-Qaida, qui, depuis 20 ans, menait en vain le djihad avec le même objectif.

Face à ce constat, nombreux sont les combattants qui ont quitté l’organisation.

Surtout que la situation postrévolutionnaire s’est révélée favorable aux islamistes, y compris salafistes, qui ont choisi d’occuper le terrain politique.

Armin Arefi/ LePoint.fr Article original

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