Mogadiscio : L’ambassade de Turquie a été la cible, le 27 juillet dernier, d’un attentat-suicide commis par une voiture chargée d’explosifs, conduite par 3 kamikazes. Un policier turc a été tué, tandis que trois de ses collègues étaient blessés. Le gouvernement turc a affrété un avion spécial pour ramener les victimes en Turquie. Les obsèques du policier décédé ont d’ailleurs pu avoir lieu, le 29 juillet, dans la ville d’Amasya dont il était originaire.
De la Somalie à la Syrie en passant par l’Egypte et la question kurde…

Le mouvement islamiste Al-Shabaab, lié à Al-Qaida, a revendiqué cette action sur Twitter, en la reliant au soutien qu’Ankara apporte actuellement au régime somalien en place. La Turquie est en effet très investie, depuis deux ans, en Somalie où elle joue un rôle politique, économique et humanitaire particulièrement important, qui est révélateur des ambitions de sa nouvelle diplomatie africaine. Elle est ainsi l’un des rares pays à avoir rouvert une ambassade dans ce pays, après la visite qu’y avait effectuée, Recep Tayyip Erdoğan, en août 2011, au moment de la famine qui frappait alors cette partie de l’Afrique. Le secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), Ekmeleddin İhsanoğlu, et le président somalien, Hassan Cheikh Mohamud, ont condamné un attentat que le premier ministre turc a attribué, pour sa part, à de «prétendus musulmans», en promettant que «cette lâcheté» ne découragerait pas la Turquie de continuer à agir dans ce pays.

Loin de rester confinée à de considérations liées à la politique africaine de la Turquie, cette regrettable affaire a toutefois réveillé d’autres dossiers stratégiques régionaux, illustrant la dimension d’acteur global, acquise par la Turquie, au cours des dernières années.

L’avion affrété par la Turquie bloqué par l’Egypte ?

Selon la presse turque, l’avion affrété par le gouvernement turc aurait connu des problèmes pour traverser l’espace aérien égyptien. Le Caire est actuellement en froid avec Ankara qui a, comme l’on sait, très sévèrement critiqué le renversement du président Morsi, en le qualifiant de «coup d’Etat». Cette condamnation n’est pas simplement Mogadiscio2venue du gouvernement, mais aussi de l’ensemble de la classe politique turque, et elle a provoqué des tensions très vives entre les deux pays, au point que l’on a même évoqué un possible rappel des ambassadeurs. Recep Tayipp Erdoğan, quant à lui, s’en est pris non seulement au nouveau gouvernement intérimaire égyptien de Hazem al-Beblaoui, qualifié de «pseudo-nouvelle administration», mais aussi aux pays occidentaux, accusés de «refuser d’appeler un coup d’Etat, un coup d’Etat.» (cf. notre édition du 17 juillet 2013).


Hazem al-Beblaoui, 1er Ministre égyptien par intérim

Il y a quelques jours néanmoins, les deux pays avaient paru en revenir à une relation plus apaisée. Les autorités turques, tout en démentant qu’une enquête ait été ouverte par les autorités égyptiennes contre leur actuel ambassadeur au Caire, Hüseyin Avni Botsalı, avaient annoncé qu’un nouveau représentant serait bientôt nommé. Mais la réaction d’Ankara à la récente répression conduite au Caire, qui aurait fait au moins 70 morts dans les rang des Frères musulmans, a relancé les tensions de plus belle. Comme il l’avait fait lors de la première répression qui avait suivi la déposition du président Morsi, le gouvernement de l’AKP n’a pas hésité à parler en l’occurrence de «massacre», en s’indignant que de tels faits aient pu avoir lieu en période de ramadan. Conséquence de ces nouvelles tensions : l’avion turc, ramenant le corps du policier mort à Mogadiscio et ses collègues blessés, aurait du attendre plusieurs heures à Djibouti pour pouvoir emprunter l’espace aérien égyptien. Le vice-premier ministre Bekir Bozdağ a cependant démenti cette annonce et justifié la complexité du trajet emprunté par l’avion en question, par des raisons techniques, liées aux exigences des vols de nuit. Mais ces propos rassurants risquent de ne pas épuiser les possibles sujets de discordes entre les deux pays. L’Egypte a durci hier, en effet, le régime des délivrances de visas, applicable aux voyageurs turcs, ce qui pourrait donner lieu à de nouveaux accrochages dans les prochains jours…

Un message à la Turquie suite à son soutien implicite aux Kurdes syriens du PYD ?

L’attentat de Mogadiscio a croisé un autre dossier régional épineux : celui de l’interminable guerre civile syrienne. Pour certains experts turcs, il pourrait être une réponse, venant des mouvements islamistes les plus radicaux, aux positions prises par la Turquie à l’égard des derniers développements de la crise syrienne. Récemment en effet, le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu a estimé que les islamistes radicaux «trahissaient la Révolution syrienne». Mais la vengeance d’al-Qaïda concernerait un développement encore plus récent et plus concret du positionnement de la Turquie vis-à-vis du conflit syrien : la réception, ces derniers jours, par desMogadiscio3 diplomates et membres de services secrets turcs, à Istanbul, de Saleh Muslim (photo à droite), le leader kurde du PYD, la branche syrienne du PKK. La venue en Turquie de ce personnage controversé, pourtant théoriquement considéré comme un «terroriste» par Ankara, aurait en effet une signification complexe mais capitale. Elle marquerait l’appui des autorités turques aux forces kurdes qui affrontent actuellement les milices islamistes al-Nosra dans le nord de la Syrie, et plus généralement elle serait le prélude à une acceptation par Ankara de la création dans ce pays frontalier d’une région autonome kurde, comparable à celle qui existe dans le nord de l’Irak. Cette évolution avait déjà été perceptible dans certaines déclarations d’Ahmet Davutoğlu lorsque l’armée syrienne de Damas avait évacué les zones kurdes syriennes, l’été dernier (cf. nos analyses dans notre article du 4 juillet 2012). En tout cas l’hypothèse d’une stabilisation des relations avec les Kurdes de l’extérieur, s’inscrirait par ailleurs dans l’initiative de règlement en cours de la question kurde en Turquie même, qui a été lancée à la fin de l’année dernière par le processus d’İmralı (cf. notre édition du 7 janvier 2013). Car ce processus est toujours à l’ordre du jour, bien que son élan ait été quelque peu entamé par les événements politiques et sociaux qui ont secoué le pays au cours des dernières semaines (mouvemet de Gezi Parkı, en particulier). Pure coïncidence ? Le 26 juillet dernier, le premier ministre turc a partagé un iftar avec des représentants des familles des victimes d’Uludere, cette bavure meurtrière de l’aviation turque qui avait causé la mort d’une trentaine de villageois kurdes, en décembre 2011 (cf. notre édition du 31 décembre 2011). Le co-leader du BDP Selahattin Demirtaş a estimé qu’il y avait dans ce geste un premier pas que le gouvernement devrait néanmoins poursuivre pour faire toute la clarté sur cette affaire…

29 juillet 2013

Par Jean Marcou

/ ovipot.hypotheses.org Article original

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